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Contrôle de la glycémie

Impact du contrôle de la glycémie
 
Ces dernières années, plusieurs études ont démontré l’importance d’un contrôle serré de la glycémie pour la maîtrise des complications postopératoires chez les diabétiques (type I et type II) comme chez les non-diabétiques (voir Chapitre 21 Impact du contrôle de la glycémie). En soins intensifs chirurgicaux, la morbidité et la mortalité sont diminuées significativement lorsque la glycémie est maintenue normale (4.4 – 6.1 mmol/L) au lieu d’être > 11.1 mmol/L [18]. Dans les soins intensifs médicaux, en revanche, la baisse de morbidité ne s'accompagne pas de différence de mortalité [19]. En peropératoire, le bénéfice maximal est enregistré avec des glycémies situées entre 6 et 8 mmol/L [7,8,16] ; le risque de complications cardiaques augmente de 17% pour chaque unité de glycémie au dessus de 6.1 mmol/L [13]. Il semble donc que le contrôle proactif de la glycémie (5-6 mmol/L) en soins intensifs soit bénéfique surtout pour les patients de chirurgie cardiaque. Dans les autres cas, les meilleurs résultats sont obtenus avec des glycémies maintenues entre 6 et 8 mmol/L [6]. Les études réalisées en peropératoire, essentiellement en chirurgie cardiaque, tendent vers un contrôle plus flexible, parce que la stimulation sympathique est très fluctuante en cours d’intervention et parce que la crainte d’une hypoglycémie est toujours présente chez les patients endormis. Mais les données confirment la nécessité d’une gestion serrée de la glycémie, que les patients soient diabétiques ou non. Plusieurs études randomisées récentes ont montré qu’un contrôle trop serré de la glycémie (4.5-5.6 mmol/L) aboutissait à davantage d’épisodes d’hypoglycémie et à un taux d’ictus plus élevé qu’un contrôle standard (6-10 mmol/L) [6]. 
 
Sous anesthésie générale ou sédation profonde, l’hypoglycémie est clairement un danger plus grave que l’hyperglycémie, car elle passe inaperçue entre deux échantillonnages de sang. Seules des glycémies fréquentes (toutes les 30-60 minutes) permettent de s’en prémunir. Basées sur l’expérience de ces dix dernières années, les recommandations actuelles pour la chirurgie cardiaque sont donc les suivantes [3,11,15].
 
  • Les patients diabétiques doivent bénéficier d’une perfusion continue d’insuline pour maintenir leur glycémie en permanence < 10 mmol/L.
  • Chez les patients non-diabétiques, on peut tolérer une glycémie jusqu’à 12 mmol/L (215 mg/dL) ; un traitement par insuline ne devient nécessaire que lorsque la glycémie se maintient en peropératoire > 12 mmol/L.
  • En salle d’opération, une glycémie maintenue entre 6.0 et 10 mmol/L (110-180 mg/dL) est probablement la plus sûre.
  • En soins intensifs, la glycémie recherchée est < 8.5 mmol/L (150 mg/dL).  
  • Un contrôle strict de la glycémie (5-6 mmol/L, 90-110 mg/dL) n’est pas bénéfique car il fait courir davantage de risque d’hypoglycémie.
  • Un malade incapable de signaler son malaise courre un risque élevé d'hypoglycémie dangereuse dès que sa glycémie voisine 4 mmol/L [12]. Chez un patient endormi ou sédaté, il peut être indiqué d'accompagner l'administration d’insuline d’une administration simultanée de glucose. 
 
 
Contrôle de la glycémie
Le risque opératoire est d’autant plus élevé (de 1.5 à 6 fois) que le contrôle préopératoire de la glycémie est moins bon. La glycémie augmente proportionnellement à la durée de la CEC. Les besoins en insuline augmentent 2-3 fois en chirurgie cardiaque par rapport aux besoins normaux du patient. 
 
La morbidité et la mortalité augmentent en cas d’hyperglycémie peropératoire sévère (> 12 mmol/L).
 
Recommandations :
    - Chez les diabétiques, maintien rigoureux de la glycémie peropératoire entre 8.0 et 10 mmol/L 
    - Chez les non-diabétiques, perfusion insuline/glucose (± potassium) si glycémie > 12 mmol/L 
    - Le risque d’hypoglycémie est plus dangereux que celui d’hyperglycémie tant que la valeur ne dépasse pas 10 mmol/L 
    - En soins intensifs, maintien de la glycémie < 8.5 mmol/L
    - Chez un patient endormi, sédaté ou non-surveillé, il peut être prudent d'accompagner l'administration d’insuline d’une perfusion de glucose
 
Contrôle de la glycémie en chirurgie cardiaque
 
La perfusion intraveineuse continue d'une insuline rapide (Actrapid®, Novorapid®, Apidra®) à vitesse variable est la technique de choix pour contrôler la glycémie dans la situation instable d'une période périopératoire associée à un jeûne prolongé. Une perfusion d'insuline chez un malade endormi présente toutefois certaines contraintes [3,9,12].
 
  • Le contrôle de la glycémie doit avoir lieu au minimum toutes les heures (maintien à 6-10 mmol/L); les larges oscillations dans les valeurs doivent être évitées à tout prix.
  • Si le malade est inconscient (anesthésie, coma, sédation), toute hypoglycémie passe inaperçue.
  • L'administration d'insuline et de glucose entraîne un apport important d'eau libre et peut conduire à une hyponatrémie.
  • La combinaison d'insuline et de glucose force le transport intracellulaire du K+ et peut aboutir à une hypokaliémie.
  • La perfusion d'insuline fait partie des manœuvres médicales les plus souvent associées à des accidents iatrogènes.
  • L'arrêt d'une perfusion d'insuline rapide supprime toute substance circulante en 5 minutes et provoque une flambée d'hyperglycémie; elle ne doit jamais être interrompue sans que le relai ne soit pris par une forme lente.
  • Certains centres recommandent un apport de glucose sous la forme d'une perfusion continue parallèle et indépendante de glucose (10%, 20% ou 50% selon le degré de restriction hydrique nécessaire) pour éviter le risque d'hypoglycémie; le schéma de Portland, qui est le plus largement utilisé, ne contient pas d'apport glucidique (Tableau 23.20).
Chez le patient insulino-dépendant (type I), le réglage de départ de la perfusion correspond au besoin horaire basé sur la dose quotidienne d'insuline divisée par 24 (total journalier en UI/24 heures); les besoins sont multipliés par 1.2-1.5 en cas de sepsis, de consommation de stéroïdes ou de CEC [2,11]. Toutefois, il faut se souvenir que les besoins periopératoires en insuline sont largement imprévisibles. Une alimentation parentérale totale induit un besoin insulinique de 4 U/heure.
 
Deux régimes possibles sont proposés ici pour la chirurgie cardiaque. Le premier est une modification du schéma de Portland, qui ne comporte pas d'apport glucidique; il est exposé dans le Tableau 23.20.
 
Le deuxième comprend une perfusion d'insuline rapide comme le premier, avec en plus une perfusion simultanée et permanente de glucose pour parer au risque d'hypoglycémie. Il se déroule comme suit.
 
  • Pas d'injection d'insuline le matin opératoire (opération programmée en début de matinée).
  • Glycémie et gazométrie artérielle à l'arrivée en salle d'opération.
  • Perfusion continue d'insuline (Actrapid®); deux préparations possibles dans pousse-seringue de 50 mL: 1 UI/mL (50 UI dans 49.5 mL glucose 5%), ou 2 UI/mL (100 UI dans 49 mL glucose 5%).
  • Débit horaire: dose quotidienne totale / 24 et multipliée par 1.2-1.5; 
  • Dans le doute : 0.05-0.1 UI/kg/h, puis selon glycémies itératives au minimum aux 60 minutes (prélèvements par la CEC ou par voie centrale/artérielle, mais non par voie capillaire); 
  • 1 U iv abaisse la glycémie d'un adulte de 70 kg de 1.4-1.7 mmol/L.
  • Perfusion indépendante de glucose 10%, 20% ou 50% (pompe-seringue) ; la solution de glucose est concentrée pour diminuer l’apport hydrique à cause de la CEC.
  • Points de repère : 
  • 2 g glucose / UI insuline pour abaisser la glycémie, 
  • 3 g glucose /UI pour maintenir la glycémie stable ; 
  • En cas de simple hyperkaliémie : 5 g glucose / 1 UI insuline.
  • Lorsque les variations de la glycémie sont faibles, il est plus simple de maintenir stable la perfusion d’insuline et de modifier le débit de celle de glucose, qui est plus rapide.
  • Glycémie toutes 30-60 minutes; contrôle fréquent de l'équilibre acido-basique.
  • Arrêt des perfusions d’insuline et de glucose pendant le temps hypothermique de la CEC (sécurité à cause de la baisse du métabolisme < 32°C).
  • Reprise des perfusions dès le réchauffement (après glycémie de contrôle).
  • Administration de potassium selon la kaliémie; se souvenir que la cardioplégie est déjà responsable d'une hyperkaliémie pendant et après la CEC.
  • Le régime de perfusion insuline-glucose est continué pendant au moins trois jours dans le postopératoire. 
Une solution de Hartmann ou de Ringer-lactate complète l'arsenal pour assurer les besoins hydro-électrolytiques; la faible quantité de lactate administrée de cette manière ne provoque pas de glucogenèse significative. Afin d'éviter une hyponatrémie et une hypokaliémie, la perfusion d'insuline rapide doit s'accompagner d'un apport continu de Na+ et de K+. Une alternative plus sophistiquée à la méthode décrite ci-dessus consiste à diluer l'insuline dans du NaCl (50 UI Actrapid dans 49.5 mL NaCl 0.9%) et à administrer en parallèle une solution de 0.45% NaCl + 5% glucose + 20 mmol/L de K+. En cas d'hyponatrémie, le NaCl est augmenté à 0.9% (normal saline) [3,4]. Plus physiologique et plus équilibrée, cette solution n'est cependant pas disponible dans tous les pays. En remplacement, le Plasmalyte 148/dextrose contient 5% de glucose, 140 mmol/L de Na+ et 5 mmol/L de K+, mais il est hypertonique par rapport au plasma car il contient encore du Mg+, du Cl-, de l'acétate et du gluconate. Le Polionique B66 est une solution de Ringer avec seulement 1% de glucose [12]. 
 
L'ancienne technique proposée par Alberti & Thomas sous forme d'une perfusion unique Insuline-Glucose-K+ (GIK) contenant une combinaison de 250 UI Actrapid ad 50 ml Glucose 50% + 50 mmoles KCl dans 50 ml et administrée à raison de 10-20 ml/h n'est actuellement plus recommandée, car elle ne permet pas de dissocier les quantités perfusées de chaque élément [3,4]. Alors qu'elle n'est plus de mise dans le traitement du diabète, la solution GIK reste utilisée dans certains cas d'insuffisance ventriculaire aiguë, sans pour autant que son efficacité soit vraiment prouvée [10].
 
Pour les patients non-insulino-dépendants (diabète type II), la perfusion d'insuline ne s'impose pas nécessairement. Toutefois, on a démontré une baisse de la mortalité de 28% après infarctus du myocarde lorsque ces patients sont mis au bénéfice d'une perfusion de glucose-insuline-potassium [5]. De même, une perfusion d'insuline à faible dose (1 U/h) peut améliorer la fonction myocardique après des pontages aorto-coronariens [10]. La normoglycémie diminue également le taux d'infections sternales [1]. Il paraît donc justifié de recommander l'administration d'insuline en continu pour les diabétiques de type II lorsqu'ils subissent des interventions en CEC dès que la glycémie s'élève au dessus de 10 mmol/L en peropératoire [14]. Le coma hyperosmolaire non-cétosique associé à une hyperglycémie est un mode de décompensation possible de ce type de diabète en cas de résistance à l'insuline; la mortalité de cette complication est de 42% [17]; le traitement est une réhydratation et une perfusion d'insuline. Dans le postopératoire, la stimulation du stress diminue progressivement en fonction de l'évolution clinique; la glycémie fait de même. Il faut prendre soin d'adapter la perfusion d'insuline aux besoins nouveaux.
 
En résumé, il convient de traiter agressivement la glycémie des patients non-diabétiques et des patients diabétiques, qu’ils soient de type I ou de type II. La cible est 6-10 mmol/L en peropératoire et 5-8 mmol/L en postopératoire, en évitant toute hypoglycémie. Les perfusions d’insuline et de glucose doivent être réglées séparément et ne sont en aucun cas interrompues avant que le patient puisse reprendre une alimentation orale et avant que le régime antidiabétique sous-cutané/oral soit rééquilibré. Les schémas décrits ici sont essentiellement pragmatiques. Ils sont le fruit de consensus d'experts et de routines institutionnelles, car on ne dispose pas de suffisamment de données issues d'études contrôlées pour les fonder sur un haut degré d'évidence. Néanmoins, ils sont importants car ils évitent de dangereuses improvisations. Il est capital que chaque institution dispose d'un algorithme écrit qui soit à la portée de tous les soignants.

 
 
Contrôle peropératoire de la glycémie (chirurgie majeure et chirurgie cardiaque)
Pas d'insuline préopératoire le matin, glycémie à l'arrivée en salle d'opération (début de matinée)
Perfusion continue d’insuline (100 UI dans 50 mL glucose 5% en pousse-seringue) : débit horaire de base = dose quotidienne totale / 24 multipliée par 1.2-1.5
Perfusion indépendante de glucose 10%, 20% ou 50% (selon restriction hydrique) à vitesse variable
Arrêt pendant la phase hypothermique de la CEC (< 32°C)
Glycémies de contrôle toutes les 30-60 minutes. Cible: 6-10 mmol/L
1 UI insuline iv abaisse la glycémie de 1.5-2.0 mmol/L
Rapport glucose / insuline : 
    - 1-2 g glucose / UI insuline pour abaisser la glycémie
    - 3 g glucose / UI insuline pour maintenir la glycémie stable
    - 5 g glucose / UI insuline chez les non-diabétiques (hyperkaliémie)
Alternative: schéma de Portland modifié (Tableau 21.11), sans apport de glucose
 
En chirurgie cardiaque, ce régime insuline-glucose iv est prescrit chez tous les diabétiques insulino-requérants et chez tous les patients dont la glycémie persiste à plus de 10 mmol/l. 
Maintenir la PAM à 80 mmHg en peropératoire et à 70 mmHg en CEC à cause de la perte de l’autorégulation cérébrale (dysautonomie).


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
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23. Complications après chirurgie cardiaque