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Traitement de l’insuffisance rénale postopératoire

La prise en charge d’un patient développant une néphropathie aiguë postopératoire relève de trois niveaux [2,7,8,9] :
 
  • Adapter l’administration hydro-électrolytique à la fonction rénale déficiente.
    • L’urine est plus ou moins iso-osmotique, et le débit peu fluctuant;
    • L’apport liquidien recommandé est égal au débit urinaire quotidien additionné de 500 mL/j pour les pertes insensibles ;
    • L’apport sodique est de ≤ 2 g/j ;
    • L’hyperkaliémie est traitée par des résines échangeuses d’ions, une perfusion de glucose-insuline, et du Ca2+ iv en cas d’urgence ;
    • L’apport protéique est limité à 0.6 g/kg/j.
  • Eviter toute altération supplémentaire en maintenant une hémodynamique normale et en évitant les substances potentiellement néphrotoxiques.
    • Maintenir la volémie normale et la PAM ≥ 75 mmHg;
    • Adapter le dosage des médicaments à élimination rénale ou à métabolites excrétés par le rein;
    • Eviter les colloïdes (HES, gélatines et dextrans) ; utiliser préférentiellement de l’albumine comme expandeur plasmatique;
    • Proscrire toute substance néphrotoxique (voir page précédente).
  • Assurer une vicariance à l’épuration rénale par hémofiltration ou hémodialyse. Le pronostic est d’autant meilleur que l’indication est précoce [6,10]. Indications dans le cadre d’une dysfonction rénale sévère.
    • Surcharge liquidienne non excrétée;
    • Hyperkaliémie et/ou acidose réfractaire;
    • Symptômes cliniques d’insuffisance rénale.
Le dosage des biomarqueurs de lésion tubulaire (NGAL, TIMP-2, IGFBP7) permet d'évaluer très tôt dans le postopératoire les risques de néphropathie aiguë et de concevoir la prise en charge du patient en fonction de sa probabilité de souffrir de lésion rénale avant que ne se soient installées les altérations fonctionnelles avec leur cortège de problèmes, de morbidités et de mortalité (voir Tableau 23.18). On peut ainsi définir quatre stades, avec une gradation thérapeutique correspondante [3,5].
 
  • Stade 0: biomarqueurs en dessous du seuil de signification, lésion rénale improbable. 
    • Traitement standard.
  • Stade 1: taux de biomarqueur bas, lésion rénale possible mais risque clinique bas. 
    • Surveillance du débit urinaire et de la créatinine aux 24 heures;
    • Bilan hydro-électrolytique à l'équilibre.
  • Stade 2: taux de biomarqueur modéré, lésion rénale avérée, risque intermédiaire.
    • Surveillance du débit urinaire et de la créatinine aux 12 heures;
    • Bilan hydro-électrolytique strict;
    • Maintien de la PVC entre 8 et 12 mmHg;
    • Stop AINS, IEC et ARA; stop substances néphrotoxiques;
    • Prise en charge spécifique (inotropes, diurétiques) si fonction cardiaque altérée.
  • Stade 3: taux de biomarqueur très élevé, lésion rénale sévère, risque grave (même en l'absence de modification significative de la créatininémie ou de la clairance de la créatinine).
    • Bilan hydro-électrolytique restrictif;
    • Stop AINS, IEC et ARA; stop substances néphrotoxiques;
    • Ajustement des doses de médicaments (narcotiques);
    • Maintien de la PVC entre 8 et 12 mmHg; 
    • Maintien du débit cardiaque (> 2.2 L/min/m2) et de la PAM; monitorage de la SvO2;
    • Prise en charge en soins intensifs;
    • Laisser libres les accès pour hémofiltration/hémodialyse.
L'épuration extrarénale est requise dans 2-3% des néphropathies aiguës postopératoires [4]. Elle est indiquée sur la base de plusieurs éléments [7].
 
  • Taux d'urée > 30 mmol/L, créatininémie > 300 mcmol/L;
  • Anurie (débit urinaire négliable pendant > 6 heures), oligurie (< 200 mL/12 heures);
  • Kaliémie > 6.5 mmol/L;
  • Acidose métabolique (pH < 7.2);
  • Surcharge volémique;
  • Rhabdomyolyse.
Elle est d'autant plus efficace qu'elle est débutée plus tôt dans l'évolution de l'insuffisance rénale [6,10]. Malheureusement, la créatinine n'atteint son pic que 48-72 heures après le début de l'atteinte rénale, contrairement aux biomarqueurs de lésion tubulaire (NGAL, TIMP-2, IGFBP7) dont l'élévation est immédiate. L'épuration extrarénale existe sous trois modalités différentes [1].
 
  • Hémodialyse intermittente conventionnelle; les brusques variations du volume circulant et des électrolytes qu'elle implique sont inadaptées aux patients hémodynamiquement instables.
  • Hémofiltration continue; la filtration lente par une membrane semi-perméable dans un circuit artério-veineux ou veino-veineux extracorporel assure une bonne stabilité circulatoire.
  • Hémodiafiltration continue; l'addition d'un flux de dialysat à contre-courant améliore la performance du système.
  • Ces systèmes nécessitent une anticoagulation systémique (héparine pour un ACT 180-210 secondes, argatroban) ou régionale (citrate). Ils peuvent être intégrés dans un circuit d'assistance circulatoire comme l'ECMO.  
L'hémofiltration n'est pas interrompue en cas de reprise en CEC ou d'intervention chirurgicale majeure, mais continuée en salle d'opération au même titre que l'hémofiltration de CEC. Le besoin en vasoconstricteurs est augmenté pour maintenir une PAM adéquate; l'administration d'albumine 20% aide au maintien de la volémie et de la pression oncotique [1]. Le choix des agents d'anesthésie est dicté par la présence de l'insuffisance rénale (voir Chapitre 21, Anesthésie chez l'insuffisant rénal).

 
 
Traitement
La prise en charge d'une néphropathie aiguë est quadruple:
    - Eviter les substances potentiellement néphrotoxiques
    - Adapter l’administration hydro-électrolytique
    - Maintenir une hémodynamique normale
    - Assurer précocement une vicariance à l’épuration rénale (hémofiltration, hémodialyse)
 
L'intensité du traitement est adapté au stade de la néphropathie.


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Décembre 2019
 
 
Références
 
  1. BORISOV AS, MALOV AA, KOLESNOKOV SV, et al. Renal replacement therapy in adult patients after cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2019; 33:2773-86
  2. DAVIDSON IJ. Renal impact of fluid management with colloids: a comparative review. Eur J Anaesthesiol 2006; 23:721-38
  3. DE GEUS HRH, RONCO C, HAASE M, et al. The cardiac surgery-associated neutrophil gelatinase-associated lipocalin (CSA-NGAL) score: a potential tool to monitor acute tubular damage. J Thorac Cardiovasc Surg 2016; 151:1478-81
  4. HU J, CHEN R, LIU S, et al. Global incidence and outcomes of adult patients with acute kidney injury after cardiac surgery: a systemtic review and meta-analysis. J Cardiothorac Vasc Anesth 2016; 30:82-9
  5. KELLUM JA, CHAWLA LS. Cell-cycle arrest and acute kidney injury: the light and the dark sides. Nephrol Dial Transplant 2016; 31:16-22
  6. LIU YH, DAVARI-FARID S, ARORA P, et al. Early versus late initiation of renal replacement therapy in critically ill patients with acute kidney injury after cardiac surgery: a systematic review and meta-analysis. J Cardiothorac Vasc Anesth 2014; 28:557-63
  7. ROMAGNOLI S, RICCI Z, RONCO C. Therapy of acute kidney in the perioperative setting. Curr Opin Anaesthesiol 2017; 30:92-9
  8. WAGENER G, BRENTJENS TE. Renal disease: The anesthesiologist’s perspective. Anesthesiology Clin 2006; 24:523-47
  9. YALLOP KG, SMITH D. The incidence and pathogenesis of acute renal failure following cardiac surgery and strategies for its prevention. Ann Cardiac Anaesth 2004; 7:17-31
  10. ZARBOCK A, KELLUM JA, SCHMIDT C, et al. Effect of early versus delayed initiation of renal replacement therapy on mortality in critically ill patients with acute kidney injury: the ELAIN randomized clinical trial. JAMA 2016; 315:2190-9
 
23. Complications après chirurgie cardiaque