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Syndrome inflammatoire systémique

Pathogenèse
 
Normalement, le sang n’est en contact qu’avec l’endothélium vasculaire, avec lequel il entretient un équilibre constant. Lorsqu’il rencontre une surface non-endothélialisée comme une lésion ou un corps étranger, il déclenche toute une cascade de phénomènes protecteurs. Le processus inflammatoire est conçu pour rester localisé, mais il arrive que la réponse soit exagérée ou que l’agression soit systémique, comme c’est le cas lorsque le sang rentre en contact avec des surfaces étrangères dans une CEC. La réaction de défense de l’organisme se transforme alors en un syndrome inflammatoire systémique (Systemic Inflammatory Reaction Syndrome ou SIRS).   
 
Le syndrome inflammatoire systémique est l'aboutissement commun d'une série de modifications hématologiques, sériques, immunes, protéiques et toxiques déclenchées par un série de phénomènes: le contact du sang avec les surfaces étrangères du circuit de CEC ou avec l’air, l'héparinisation, les aspirations de cardiotomie, l'hypothermie, l'ischémie, l'exclusion des poumons, les variations de flux, de pression et de débit ou encore les toxines libérées dans le tube digestif. Environ 20% des patients à bas risque développent des complications liées au SIRS: coagulopathie, accumulation liquidienne interstitielle (oedème cérébral, péjoration des échanges gazeux), SDRA, dysfonction multiorganique (troubles neurologiques, insuffisance cardiaque, rénale et hépatique) [5,6]. Le sujet a fait l'objet d'innombrables publications ces dernières années, et les conclusions concernant la portée clinique des différents mécanismes sont souvent contradictoires (voir Chapitre 7 Syndrome inflammatoire systémique). 
 
Les endotoxines, le système du complément et les cytokines sont les éléments humoraux de la réaction; ces médiateurs humoraux sont activés par le contact avec des surfaces étrangères et avec l’air (champ opératoire, réservoir de CEC) et/ou par l’ischémie et la reperfusion (clampage et déclampage aortique). Ils activent les neutrophiles et les cellules endothéliales. L'adhésion des leucocytes à ces dernières est l'étape initiale de la réaction inflammatoire; elle est déclenchée par l'expression de molécules spécifiques à la surface des deux types de cellules; les leucocytes peuvent alors migrer dans l'espace extravasculaire, où ils libèrent leurs toxines (protéases et radicaux libres) qui endommagent les tissus voisins. Au niveau de la muqueuse intestinale, ces réactions permettent le passage d’endotoxines qui se répandent dans la circulation (Figure 23.31). Selon son intensité, le SIRS déclenche des lésions fonctionnelles dans tous les organes ; il porte une lourde responsabilité dans les déficiences multi-organiques postopératoires.
 

Figure 23.31 : Représentation schématique des mécanismes mis en jeu dans la genèse du syndrome inflammatoire systémique.
 
La réaction inflammatoire comprend deux phases distinctes liées à des déclencheurs différents [14].
 
  • Phase précoce; elle est mise en route par le contact du sang avec une surface non-endothélialisée comme la CEC (voie de contact), et comprend deux composantes intimement imbriquées:
    • La voie humorale, qui comprend 3 éléments, la coagulation, le complément et les cytokines;
    • La voie cellulaire, constituée par les globules blancs et l’endothélium.
  • Phase tardive: elle est liée aux lésions d’ischémie et de reperfusion, et à la libération d’endotoxines, essentiellement par le tube digestif.
La phase tardive concerne plus particulièrement le postopératoire. Elle comprend deux composantes.
 
  • Les lésions d’ischémie et de reperfusion. Après avoir été privée d’O2 pendant l’ischémie, la cellule en reçoit en masse au moment de la reperfusion, ce qui déclenche une cascade d'évènements pathologiques plus graves que ne l’étaient les dégâts de l’ischémie, notamment par la formation massive de peroxydes (radicaux libres, ROS reactive oxygen species) qui contiennent un nombre impair d'électrons sur leur orbite externe: peroxide (O2•-), H2O2, hydroxyl (OH) (voir Chapitre 24, Ischémie et reperfusion). Les peroxydes libérés lors d'activation leucocytaire ou lors de reperfusion après ischémie déclenchent une réaction inflammatoire majeure. Normalement réduits par des antioxydants naturels (superoxide dismutase, catalase, glutathion, vitamine E), ils débordent dans le liquide extracellulaire lorsqu'ils sont produits en masse et attaquent les phospholipides des membranes, le DNA et les protéines [3].
  • Les endotoxines stimulent massivement la production de complément, de TNF-alpha et d’interleukines. La libération d'endotoxines par les bactéries Gram-négatives qui hantent le tube digestif est liée à la baisse de débit splanchnique en CEC et en hypothermie; le flux dans la muqueuse gastrique, par exemple, est diminué jusqu'à 60% par le bas débit et par la vasoconstriction [10]. 
La question de déterminer la part de la CEC par rapport à celle de la chirurgie cardiaque elle-même dans la genèse du SIRS peut être approchée par l'observation de la chirurgie à coeur battant. Cette dernière est associée à une réduction, mais pas à une disparition, des taux postopératoires de marqueurs de la réaction inflammatoire comme le C3a, le C5a, le TNF-alpha ou l'interleukine-6 et -8 [1]. Toutefois, la signification de ces variations est incertaine, puisque l'IL-8 et le C3a sont liés au traumatisme tissulaire direct et que l'IL-10 a des propriétés anti-inflammatoires [8]. Les effets de la CEC dépendent largement de l'équilibre entre la libération des médiateurs pro-inflammatoires et celle des médiateurs anti-inflammatoires. Certaines populations affichent une réaction pro-inflammatoire dominante, telles les personnes âgées ou celles qui souffrent de dysfonction ventriculaire gauche. Elles pourraient bénéficier particulièrement de la chirurgie à coeur battant. Dans les groupes à risque faible, les taux de complications liés au SIRS sont identiques entre les opérations avec ou sans CEC [12]. Le circuit de CEC est donc un facteur déclenchant majeur, mais il n'est pas le seul responsable de la réaction inflammatoire [13]. 
 
Possibilités thérapeutiques
 
Une série de mesures et d'améliorations techniques liées à la CEC ont probablement un impact sur les cas à haut risque ou sur les interventions complexes, mais ont peu d'influence pour les interventions standards chez des patients à risque faible à modéré. D'autres éléments de prise en charge peuvent entrer en ligne de compte pour influencer le déroulement du postopératoire.
 
Les corticostéroïdes maintiennent l’intégrité des membranes cellulaires, particulièrement dans le cœur et les poumons, freinent l’adhésion leucocytaire et réduisent la production de complément et de cytokines [14,15]. En dépit d’une nette atténuation de la réaction inflammatoire et d’une claire diminution des marqueurs inflammatoires après CEC, ils ne préviennent les dysfonctions multiorganiques que chez les malades en hypocorticisme, et leur impact clinique demeure incertain. Diverses revues et méta-analyses ont synthétisé les résultats acquis jusqu’ici avec les stéroïdes [9].
 
  • La réduction de l’incidence de FA est significative, mais cet effet n'apparait que dans les études portant sur de petites populations.
  • Le temps de séjour aux soins intensifs et le temps de séjour hospitalier sont diminués.
  • La stabilité hémodynamique peropératoire est améliorée, l’utilisation de vasopresseur est réduite.
  • La réduction du taux d’hémorragie est marginale.
  • La durée de ventilation mécanique est un peu raccourcie; certaines études ont montré une atténuation des complications respiratoires, mais d’autres publications montrent une aggravation des échanges gazeux postopératoires et un retard à l'extubation.
  • Le réveil est amélioré: le taux de nausée, vomissement et frisson est diminué.
  • Le taux d’infection de plaie est identique, et le taux d’infections générales peu modifié.
  • Le taux d’épisodes hyperglycémiques est augmenté 1.5 fois dans une méta-analyse et celui d’hémorragies digestives est doublé dans une autre.
  • La mortalité n’est pas modifiée.
Bien que les protocoles des différentes études soient très variables, on peut en conclure que l’administration prophylactique de stéroïdes pourrait diminuer la morbidité postopératoire, pour autant qu’elle ne soit pas elle-même la cause d’un accroissement des infections et des hémorragies. Les dosages traditionnels étant assez élevés (méthylprednisolone 30 mg/kg, dexaméthasone 1 mg/kg), il est possible que des doses plus faibles aient un meilleur rapport bénétice/complication tout en conservant une activité satisfaisante sur la réduction de la réponse inflammatoire [9]. 
 
La question de savoir si une prophylaxie de routine avec des stéroïdes est recommandable a reçu une réponse plutôt négative de deux essais contrôlés et randomisés. Le premier est une étude de 4'494 patients randomisés entre dexaméthasone 1 mg/kg et placebo, administrés à l’induction de l’anesthésie [2]. La mortalité et les complications majeures (infarctus, ictus, insuffisance rénale) sont moindres dans le groupe stéroïde, mais de manière marginale (OR 0.83), alors que d’autres morbidités sont significativement diminuées: infections (OR 0.64), délire (OR 0.79), insuffisance respiratoire (OR 0.69). Les patients à risque élevé (EuroSCORE > 5) tirent le maximum de bénéfice (OR 0.77). Bien que ces résultats ne soient pas renversants, cet essai a clairement démontré l’inocuité du traitement, qui n’a déclenché aucune aggravation du risque hémorragique ni infectieux. Le second essai est une étude multicentrique de 7'507 patients assignés à recevoir 500 mg de méthylprednisolone ou un placebo [16]. La mortalité n'est pas réduite de manière significative (OR 0.87), le taux de complications majeures est inchangé (OR 1.03) et le taux d'infection n'est pas modifié, de même que l'incidence de delirium. Ces deux études, méthodologiquement incontestables, n'incitent donc pas à l'utilisation de stéroïdes comme routine pour diminuer le taux de complications liées la réaction inflammatoire de la CEC.
 
Trois autres éléments importants dans la prise en charge du SIRS sont du ressort de l'anesthésiste et de l'intensiviste [4].
 
  • Ventilation: la baisse du volume courant à 6-8 mL/kg au lieu de 10-12 mL/kg, la limitation de la Pplateau à < 30 cm H2O, la diminution de la FiO2 à 0.3-0.6 et les manœuvres de recrutement aux 30 minutes limitent les lésions mécaniques et cellulaires, et abaissent les taux de cytokines libérées par les poumons [7]. 
  • Stabilité hémodynamique: l’hypoperfusion tissulaire (hypotension et bas débit) active la libération de cytokines et d’endotoxines, en particulier dans le tube digestif. 
  • Préconditionnement: les halogénés ont la propriété de diminuer l’impact des lésions ischémiques sur la cellule, au moins momentanément. Leur utilisation en salle d'opération ou comme sédatifs dans le postopératoire limite les lésions d'ischémie-reperfusion qui handicapent la reprise fonctionnelle du myocarde, des poumons et des reins (voir Chapitre 5 Préconditionnement) [11].
Enfin, toute une panoplie de substances pharmacologiques est potentiellement utile pour atténuer le syndrome inflammatoire, sans qu’on puisse démontrer pour autant que leur impact clinique soit significatif: aprotinine, antioxydants, statines, bleu de méthylène, insuline, inhibiteur du complément. 
 
 
 
Réaction inflammatoire systémique
La réaction inflammatoire est un système rapide, complexe et redondant qui sert à la protection de l’organisme contre des agresseurs. Elle comprend une voie humorale (complément, cytokines, kinines), une voie cellulaire (leucocytes, endothélium) et une phase tardive (lésion d’ischémie-reperfusion, relargage d’endotoxines). Elle est très imbriquée avec la cascade de la coagulation.
 
Le contact direct du sang avec le circuit de CEC et avec l’air induit une réaction inflammatoire systémique (SIRS) massive déclenchée par l’activation du Facteur XII (Hageman), du complément et des leucocytes. Elle est caractérisée par :
    - Elévation de tous les marqueurs inflammatoires 
    - Activation du complément et des leucocytes 
    - Production de thrombine et stimulation de la cascade de la coagulation 
    - Production de plasmine et stimulation de la fibrinolyse
    - Activation et consommation des plaquettes 
    - Relargage d’endotoxines, de TNF-alpha et d’interleukines
    - Relargage de radicaux libres et d’oxydants 
    - Libération de bradykinine, d’histamine et d’anaphylatoxines 
    - Augmentation de perméabilité capillaire, baisse des RAS, augmentation des RAP
    - Altérations de la fonction cardiaque, pulmonaire, rénale et cérébrale 
 
Les possibilités thérapeutiques sont nombreuses, mais elles n’ont d’impact clinique que dans les cas à haut risque :
    - Restriction du contact avec les surfaces étrangères (minicircuits, matériaux biocompatibles)
    - Restriction du contact avec l’air (limitation des aspirations, absence de réservoir veineux)
    - Hémofiltration
    - Antifibrinolytiques
    - Corticostéroïdes
    - Antioxydants, inhibiteurs du complément
    - Opération sans CEC


© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
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  2. DIELMAN JM, NIERICH AP, ROSSEEL PM, et al.  Intraoperative high-dose dexamethasone in cardiac surgery :a randomized     controlled trial. JAMA 2012 ; 308 :1761-7
  3. FRÄSSDORF J, DE HERT S, SCHLACK W. Anaesthesia and myocardial ischaemia/reperfusion injury. Br J Anaesth 2009;     103:89-98
  4. HALL R. Identification of inflammatory mediators and their modulation by strategies for the management of the Systemic     Inflammatory Response during cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013 ; 27 : 983-1033
  5. KRAFT F, SCHMIDT C, VAN AKEN H, ZARBOCK A. Inflammatory response and extracorporeal circulation. Best Pract Res     Clin Anaesthesiol 2015; 29:113-23
  6. LAFFEY JG, BOYLAN JF, CHENG DCH. The systemic inflammatory response to cardiac surgery. Anesthesiology 2002; 97:215-52
  7. LELLOUCHE F, DELORME M, BUSSIÈRES J, OUATTARA A. Perioperative ventilatory strategies in cardiac surgery. Best     Pract Res Clin Anaesthesiol 2015; 29:381-95
  8. MENASCHE P. The systemic factor: the comparative roles of cardiopulmonary bypass and off-pump surgery in the genesis of     patient injury during and following cardiac surgery. Ann Thorac Surg 2001; 72: S2260-5
  9. MURPHY GS, WHITLOCK RP, GUTSCHE JT, et al. Steroids for adult cardiac surgery with cardiopulmonary bypass : update     on dose and key randomized trials. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013 ; 27 :1053-9
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  11. PAGEL PS. Myocardial protection by volatile anesthetics in patients undergoing cardiac surgery : a critical review of the     laboratory and clinical evidence. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013 ; 27 :972-82
  12. PUSKAS JD, WILLIAMS WH, DUKE PG, et al. Off-pump coronary artery bypass grafting provides complete revascularization     with reduced myocardial injury, transfusion requirements, and length of stay: A prospective randomized comparison of two-    hundred unselected patients undergoing off-pump versus conventional coronary artery bypass surgery. J Thorac Cardiovasc Surg     2003; 125:797-808
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23. Complications après chirurgie cardiaque