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Valvulopathies

La représentation graphique de la boucle pression/volume est extrêment utile pour illustrer les effets des valvulopathies et de leur correction chirurgicale sur la fonction du VG. Or ces modifications physiopathologiques conditionnent la prise en charge en postopératoire, car les conditions hémodynamiques sont très différentes entre une dysfonction ventriculaire, une insuffisance mitrale ou une sténose aortique. La compréhension de ces mécanismes est essentielle pour adapter le traitement à chaque cas. 
 
Insuffisance mitrale
 
L'insuffisance mitrale (IM) crée une surcharge de volume pour le coeur gauche, puisqu’une partie du volume systolique ne fait que des allers et retours entre l’oreillette et le ventricule. Le VG est hypertrophié et dilaté, l’OG est agrandie. La surcharge de volume est illustrée par l’agrandissement et le déplacement vers la droite de la boucle pression-volume (Figure 23.7). 
 

Figure 23.7 : Boucle P/V en cas d’insuffisance mitrale chronique. La pente Emax et la courbe de compliance sont normales, mais le volume éjecté (VS, en rouge) est très augmenté par rapport à la normale (en pointillé jaune). Comme la valve mitrale fuit dès que la pression monte dans le VG, la phase de contraction isovolumétrique est quasi-inexistante et le VG régurgite dans l’OG avant même d’éjecter dans l’aorte ; c’est la raison de la pente oblique de cette phase (flèches blanches). Le travail de pression (Tp, triangle pointillé bleu clair) est abaissé par rapport à la normale. 
 
La fuite dans l’OG maintient une postcharge constamment basse, et la phase de contraction isovolumétrique est pratiquement supprimée parce que la régurgitation commence dès la mise sous tension du VG, bien avant l'ouverture de la valve aortique. L’IM représente une surcharge de volume à postcharge basse, situation énergétiquement très favorable pour le VG. Etant une bonne pompe-volume, le ventricule gauche tolère une fraction régurgitée de 40% et ne se détériore que lorsque cette fraction dépasse 50% [14]. La boucle P/V démontre aussi la répartition du travail ventriculaire entre le travail interne de pression (surface du triangle Tp) et le travail externe d’éjection (surface de la boucle P/V rouge). En cas d’IM, la majeure partie de l’énergie est consacrée au travail externe d’éjection ; le travail de pression est réduit puisque l’insuffisance agit comme une soupape qui maintient la postcharge basse. L’efficience énergétique (rapport Tp/Téj) est très bonne, et la consommation d’O2 est modestement augmentée, bien moins que dans une surcharge de pression. Toutefois, la diminution de postcharge chronique, bien que favorisant l'éjection ventriculaire, réduit aussi le stress de paroi à long terme et diminue la performance contractile des fibres myocardiques, qui involuent progressivement [5]. Dans l’IM aiguë, la dilatation ventriculaire n’existe pas, le volume est à la limite supérieure de la normale, mais la pression télédiastolique est très élevée. 
 
Après la correction chirurgicale de la valve, la baisse de contractilité intrinsèque du VG devient apparente en sortant de CEC, lorsque le ventricule retrouve les conditions de charge normales dont l'IM l'avait dispensé [3,17]. Il doit alors éjecter contre l’impédance systémique sans la soupape de pression de l’insuffisance mitrale; le stress de paroi augmente, et sa fraction d’éjection diminue par inadéquation à la nouvelle postcharge (afterload mismatch) (Figure 23.8) [20,22]. 
 

Figure 23.8 : Boucle P/V d’un patient en insuffisance mitrale avant (IM, rouge) et après remplacement valvulaire mitral (post-RVM, jaune et vert). La compétence de la prothèse impose une phase de contraction isovolumétrique inconnue avant l’éjection (ascension verticale au lieu d’oblique de la pente de pression systolique). Même si le volume télédiastolique est agrandi, le volume systolique et la fraction d’éjection diminuent, comme l’illustre la surface diminuée de la boucle P/V. La pente de l’élastance maximale (Emax) est abaissée après CEC (E’max) parce que la contractilité est diminuée [3,17]. Par rapport à la situation avant CEC, le travail de pression (surface du triangle pointillé Tp) a augmenté, alors que le travail d’éjection (surface du quadrilatère vert-jaune) a diminué [d’après réf 16].
 
En réalité, le VG fait une mauvaise affaire : il échange une surcharge de volume bien tolérée contre une surcharge de pression qu’il supporte mal. Sur le diagramme pression-volume, la pente ascensionnelle de la pression intraventriculaire est maintenant verticale au lieu d’être oblique, et la phase de contraction isovolumétrique est rétablie. Par rapport à la situation avant la CEC, le travail de pression a augmenté, alors que le travail d’éjection a diminué ; pour le VG, le rendement énergétique est donc moins bon. De plus, la pente de l’élastance maximale (Emax) est abaissée par plusieurs phénomènes : problèmes mécaniques liés à la prothèse, perte de l’appareil sous-valvulaire, altérations de la contraction des segments de la base, présence d’une cardiomyopathie inflammatoire (RAA), diminution de la contractilité après une CEC, syndrome post-cardiotomie [16]. Comme elle interfère moins avec les structures fonctionnelles, la plastie est mieux tolérée que le remplacement valvulaire.
 
Un soutien inotrope est presque toujours nécessaire pour la sortie de CEC [8]. Celui-ci doit se faire au moyen d'amines sans effet alpha ou au moyen d’inodilatateurs, comme la dobutamine ou la milrinone. L'addition d'un vasodilatateur artériel peut être occasionnnellement nécessaire lorsque les RAS sont trop hautes. Les cavités cardiaques agrandies nécessitent des volumes de remplissage importants et une précharge maintenue, surtout lors de rythme non-sinusal. La présence d’une hypertension pulmonaire crée un risque de décompensation ventriculaire droite à la sortie de CEC. Comme elle diminue la postcharge effective du VG, la ventilation en pression positive est bénéfique. Son sevrage peut être un moment particulièrement délicat et ne doit pas être envisagé trop tôt, mais seulement lorsque la fonction gauche s’est stabilisée. La gestion de l’hémodynamique après correction d’une IM demande donc :
 
  • Une précharge haute, 
  • Une postcharge basse, 
  • Une contractilité élevée.
Dans ce contexte, il faut éviter de traiter une hypotension artérielle exclusivement par des vasopresseurs, car on ne fait qu’augmenter les difficultés du VG. Les agents alpha qui relèvent les RAS ne sont indiqués que pour assurer la pression de perfusion coronarienne, cérébrale et rénale lorsque celle-ci est compromise. Dans ces conditions, le plus judicieux est d’installer une contre-pulsion intra-aortique (CPIA), de manière à soulager le VG de l’augmentation de postcharge tout en assurant une pression de perfusion optimale.
 
 
Post correction chirurgicale d'IM
Prise en charge : 
- Soutien inotrope sans effet alpha (dobutamine, milrinone ± adrénaline)
- Baisse de postcharge (vasodilatation systémique)
- CPIA (très performante dans le cadre d’une IM)
- Ventilation en pression positive (pas d’extubation trop précoce)
- Ne pas gérer l’hypotension artérielle exclusivement avec des vasopresseurs
- Maintenir une précharge adéquate
 
La plastie est fonctionnellement mieux tolérée que le remplacement par une prothèse.
 
Sténose mitrale
 
Lors de sténose mitrale, le ventricule gauche ne peut guère modifier son débit, car son remplissage est limité par la restriction de l'orifice mitral. Il fonctionne à volume diastolique bas et fixe, et se trouve dans l’impossibilité d’augmenter sa fréquence : s’il accélère, la diastole se raccourcit et le remplissage devient insuffisant. Il ne dispose d’aucune réserve de précharge pour modifier sa position sur la courbe de Starling et améliorer sa performance systolique à l’effort : le volume systolique reste lui aussi bas et fixe. Le VG ne peut pas non plus compenser une vasodilatation artérielle ou une hypovolémie par une tachycardie. Sa fonction contractile est à la limite inférieure de la norme, car elle tend à involuer avec la baisse de la tension de paroi due au petit volume de remplissage. Lors de myocardite rhumatismale le VG est franchement dysfonctionnel, la pente Emax est diminuée et la courbe de compliance est redressée. La boucle P/V illustre la situation hémodynamique typique: pressions intraventriculaires normales, volume systolique limité (< 50 mL), fraction d'éjection normale (FE 0.5 - 0.6) ; le travail d’éjection est réduit, mais le travail de pression est normal (Figure 23.9). 
 

Figure 23.9 : Boucle pression-volume en cas de sténose mitrale. La restriction au remplissage ventriculaire conduit à un tout petit volume ventriculaire placé sur des valeurs d’Emax et de compliance encore normales. Le volume systolique (VS) et le travail éjectionnel sont réduits, mais le travail de pression est normal.
 
Le volume systolique est limité par le débit à travers la sténose et par la durée de la systole. La pression artérielle systémique, qui correspond au produit du débit cardiaque et des résistances artérielles systémiques (PA ≈ DC x RAS), dépend essentiellement des RAS, qui doivent rester élevées. La stase imposée par la sténose provoque une dilatation massive de l'OG et une hypertension pulmonaire postcapillaire.
 
Après le remplacement par une prothèse mitrale, le VG, qui est petit, subit soudainement un remplissage diastolique normal, ce qui représente un volume télédiastolique (Vtd) élevé pour lui. Au sortir de CEC, il présente donc une insuffisance fonctionnelle de type congestif (Figure 23.10). 
 

Figure 23.10 : Boucle pression/volume lors de sténose mitrale avant (SM, en rouge) et après CEC (vert et jaune, post RVM). Le volume systolique (VS) est augmenté mais déplacé vers la partie redressée de la courbe de compliance, donc vers des pressions de remplissage élevées ; un volume télédiastolique normal est l’équivalent d’une surcharge de volume pour un VG de sténose mitrale.
 
Un support inotrope est souvent nécessaire. La tachycardie est maintenant bénéfique, car elle permet de diminuer le Vtd par le raccourcissement de la diastole. Comme la fonction du VG est en général satisfaisante, l’hypotension est traitée par un vasopresseur alpha. Le rythme sinusal est avantageux pendant les premières heures et doit être maintenu autant que possible, même chez les patients qui étaient en FA en préopératoire et qui repassent le plus souvent en FA dans les 48 heures postopératoires. Même si l’hémodynamique est améliorée par un rythme auriculaire stable, le rétablissement du rythme sinusal ne signifie pas forcément que la contraction auriculaire soit mécaniquement performante et contribue significativement au remplissage du ventricule, car l'OG est très dilatée; sa paroi très fine n'a aucune puissance contractile. A l’échocardiographie, on ne voit le plus souvent aucun flux A correspondant à la propulsion télédiastolique par l’oreillette. En cas d'hypertension pulmonaire préopératoire (HTAPmoy > 25 mmHg), la composante postcapillaire diminue considérablement, mais la composante précapillaire persiste dans le postopératoire.
 
 
Post correction de sténose mitrale 
La levée de l’obstacle mitral provoque une surcharge relative de volume pour le VG, qui est de petite dimension mais de fonction en général satisfaisante.
 
Prise en charge :
- Restriction de la précharge
- Soutien inotrope, tachycardie bénéfique
- Vasoconstriction artérielle pour le maintien de la pression
- Vasodilatation pulmonaire et traitement de l’insuffisance droite selon besoins
 
Sténose aortique
 
La sténose aortique est caractérisée par un ventricule gauche à la paroi très épaisse dont la cavité est de petite taille, et par une oreillette gauche modérément dilatée à cause de l’augmentation de la PtdVG. La boucle pression-volume lors de sténose aortique pure illustre bien ces modifications (Figure 23.11).
 

Figure 23.11 : Boucle pression-volume en cas de sténose aortique. L’augmentation de postcharge déplace la boucle PV vers le haut et vers la droite. La pente de l’élastance maximale (Emax) est inchangée, mais la courbe de compliance est anormale. A surface équivalente (travail externe inchangé), la boucle est plus étroite, donc le volume éjecté est plus petit (VS : volume systolique). Alors que la performance éjectionnelle diminue, le travail de pression est très augmenté, comme le montre l’augmentation de la surface du triangle Tp, (pointillé bleu pâle). L’efficience dynamique est très diminuée, même si la pression développée est plus haute.
 
L’augmentation de postcharge déplace la boucle P/V vers le haut et vers la droite. La pente de l’élastance maximale (Emax) est inchangée, mais la boucle devient plus étroite pour conserver la même surface (travail externe inchangé). De ce fait, le volume systolique (VS) est plus petit. La pente ascentionnelle systolique (contraction isovolumétrique) est droite, indiquant une fonction éjectionnelle conservée; lorsque le myocarde atteint ses limites fonctionnelles (pour une pression télésystolique de 250-300 mm Hg), cette pente s’incline, la fraction éjectée baisse et le volume systolique est encore réduit. La courbe de compliance diastolique est surélevée et plus inclinée; pour le même volume diastolique, la pression de remplissage est plus élevée [23]. La lecture de la PAPO induit donc en erreur et sous-estime le remplissage réel du VG; un patient peut être hypovolémique avec une PAPO normale. L’échocardiographie est un meilleur critère pour juger de la volémie, car elle visualise directement le volume des cavités cardiaques. La surface du triangle compris entre la pente Emax, la courbe de compliance et la boucle P/V représente le travail de pression (Tp) ; cette surface est très agrandie, représentant une augmentation massive de la mVO2, alors que le volume éjecté est diminué ; l’efficience du myocarde (Téj/Tp) est très faible. 
 
Lorsque la surface valvulaire devient de plus en plus petite, l’hypertrophie ventriculaire et l’épaisseur de paroi augmentent moins que la postcharge: la situation est dite d’afterload mismatch [18]. Comme les possibilités de compensation sont dépassées, la fonction systolique diminue. Ceci se traduit par une baisse des indices fonctionnels et par une progressive dilatation de la cavité ventriculaire gauche [19]. 
 
Après correction chirurgicale par implantation de prothèse en CEC (RVA, remplacement valvulaire aortique) ou à cœur battant (TAVI, transcatheter aortic valve implantation), les suites opératoires sont étonnamment simples s'il n'y a pas de facteurs de risque associés: la levée de l’obstacle est un soulagement instantané pour le VG. Dans la mesure où la taille de la prothèse est adéquate par rapport à celle du malade, la baisse de la postcharge après correction chirurgicale permet une amélioration clinique immédiate et une récupération ultérieure importante (Figure 23.12). 
 

Figure 23.12 : Représentation schématique de l’effet de la levée de la sténose éjectionnelle lors de RVA. La surface de la boucle P/V avant et après la CEC est identique. Pour le même travail d’éjection, représenté par la surface de la boucle P/V, le VG éjecte un volume systolique supérieur (VS), à un régime de pression inférieur. Le travail de pression, représenté par la surface du triangle Tp, est beaucoup plus petit qu’avant le remplacement valvulaire. Pour le VG, l’amélioration est immédiate.
 
Les patients en insuffisance congestive avant l’intervention sont subjectivement améliorés, même si leurs indices de fonction systolique (fraction d’éjection) et la morphologie de leur ventricule (hypertrophie et dilatation) ne sont guère modifiés [9]. Dès la sortie de CEC, la fonction du VG est soulagée, mais non celle du VD [7]. La dysfonction diastolique due à l'HVG persiste dans le postopératoire et impose des pressions de remplissage élevées par rapport aux valeurs normales. La compliance et la distensibilité ventriculaires ont tendance à s’améliorer à long terme après le remplacement valvulaire, dans la mesure où l’hypertrophie régresse pendant les 3 premiers mois [21]. 
 
Tout gradient moyen entre le VG et l’aorte supérieur à 20 mmHg doit faire suspecter une dysfonction de la prothèse (ailette bloquée) ou un défaut d’appariement entre la prothèse et le patient (taille de la prothèse trop petite par rapport à celle du patient : S < 0.85 cm2/m2). Toutefois, plusieurs phénomènes peuvent induire un gradient trans-prosthétique faussement élevé [15]: épisode momentané de haut volume systolique (hypervolémie, transfusion trop rapide), sténose sous-aortique dynamique (voir ci-après), contrepulsion intra-aortique. La CPIA abaisse considérablement la pression dans l'aorte ascendante en début de systole lorsque le ballon se dégonfle; il s'ensuit un gradient exagéré entre le VG et l'aorte; il faut mesurer le gradient pendant un arrêt momentané de la CPIA. Une dilatation importante de l’aorte ascendante a le même effet.
 
Pour autant que la fonction préopératoire soit conservée, les suites postopératoires immédiates sont simples, même chez les patients âgés; le support inotrope, s'il est nécessaire, peut être rapidement interrompu [12]. De l’air ou des débris de valve calcifiée peuvent aisément se fourvoyer dans les ostia coronariens, occasionnant une image d’ischémie tronculaire avec surélévation du segment ST. Des déficits neurologiques sont toujours possibles par embolisation de fragments friables lors de l'aortotomie et de la résection de la valve. Le taux d’AVC postopératoire est de 3-6%, soit 2-3 fois plus élevé que la moyenne. La proximité du nœud AV avec l’anneau aortique au niveau septal peut conduire à un bloc AV complet iatrogène après implantation de la prothèse. Si le rythme du patient doit être électro-entraîné à cause d’une bradycardie ou d’un bloc, il est préférable de le stimuler en mode auriculo-ventriculaire (DDD) pour pouvoir bénéficier de l’apport de la contraction auriculaire, car l’HVG ne régresse que lentement et la dysfonction diastolique persiste dans le postopératoire. Celle-ci maintient des pressions de remplissage anormalement élevées par rapport au volume du VG.
 
 
Post correction de sténose aortique
Le RVA/TAVI lève l’obstacle à l’éjection, ce qui soulage immédiatement le VG et apporte une nette amélioration à sa fonction. Le pronostic est excellent, même chez la personne âgée. Cependant, la dysfonction diastolique due à l’HVG persiste dans le postopératoire (pressions de remplissage élevées).
 
Plusieurs problèmes peuvent toutefois se présenter.
    - Gradient excessif (ΔPmoy > 20 mmHg) : taille de la prothèse insuffisante (S < 0.85 cm2/m2), 
      ailette bloquée 
    - Effet CMO : augmenter la précharge, vasoconstricteur, réduire les catécholamines β, 
      esmolol 
    - IM nouvelle : dysfonction, traction sur le feuillet antérieur, SAM 
    - Dysfonction VG : défaut de cardioplégie, ischémie 
    - Bloc AV
 
Insuffisance aortique
 
La loi de Laplace implique que, pour développer la même pression systolique, le stress de paroi est d’autant plus élevé que le ventricule est plus grand. L’insuffisance aortique (IA) chronique provoque le plus important agrandissement ventriculaire de toutes les cardiopathies, car la régurgitation a lieu à la pression aortique diastolique (bien plus élevée que la POG dans l'IM). La masse ventriculaire peut être imposante et atteindre > 600 g (coeur bovin). Le débit de la régurgitation pouvant atteindre 5-8 L/min, le VG est contraint à un débit de 10-12 L/min pour maintenir la perfusion périphérique ! L’effort physique peut être relativement bien toléré, parce que les RAS baissent et que la tachycardie raccourcit la diastole: la fraction régurgitée diminue [11]. Les indices habituels de fonction systolique telle la fraction d’éjection sont en général dans les limites normales, mais, avec une utilisation maximale de la réserve de précharge, ils ne traduisent pas la contractilité réelle du myocarde. La dimension télésystolique du VG (diamètre > 2.5 cm/m2) est un indice plus utile pour déterminer le pronostic du patient, car elle est peu dépendante de la précharge [4]. Tant que la fonction systolique est conservée, la compliance est préservée ; le ventricule dilaté accomode de grands volumes pour des pressions de remplissage encore normales (compliance élevée); la surcharge progressive de volume a déplacé toute la courbe de compliance vers la droite. Cependant, la pente de la relation P/V diastolique tend à se redresser à très haut volume (Figure 23.13) [19]. 
 

Figure 23.13 : Boucle pression-volume en cas d’insuffisance aortique (IA) chronique. La courbe de compliance est déplacée vers la droite à cause de l’augmentation de volume diastolique due à la régurgitation qui se fait à la pression diastolique de l’aorte, mais sa pente reste très plate car le VG est encore souple. Le volume éjecté est immense (VS) par rapport à sa valeur normale (jaune), car l’IA provoque une très forte dilatation ventriculaire. Le travail de pression (Tp, triangle pointillé bleu clair) est augmenté à cause de la tension de paroi élevée (dilatation) en protosystole. 
 
On voit aussi sur le diagramme pression/volume de l’IA que la surface du triangle représentant le travail de pression (Tp) est de dimension variable. Dans la période de compensation, le ventricule dépense davantage d’énergie en travail externe d’éjection; ce rapport est favorable à l’efficience énergétique et à la consommation d’O2. Lorsque la dilatation s’aggrave, par contre, la tension de paroi devient excessive et la postcharge effective du VG augmente ; le travail de pression s’élève. Tant que la géométrie du VG est conservée, le remplacement de la valve défectueuse permet une bonne récupération fonctionnelle, mais lorsque le VG devient sphérique, le remodelage et les lésions fonctionnelles sont irréversibles [2]. De ce fait, la taille du VG en télésystole est le meilleur critère prédictif de la performance ventriculaire après RVA. En cas d’IA aiguë, le volume du VG est à la limite supérieure de la normale, car le ventricule n’a pas le temps de s’agrandir ; par contre, l’excès de remplissage diastolique avec une compliance normale conduit à une augmentation très importante de la pression diastolique ; la boucle PV est réduite, mais surélevée.
 
A la sortie de CEC, le VG doit disposer d’une réserve de précharge suffisante pour fonctionner adéquatement, car il est inefficace à bas volume de remplissage vu sa taille (Figure 23.14). 
 

Figure 23.14 : Boucle P/V d’un patient en insuffisance aortique avant (IA, en rouge) et après (en vert et jaune) remplacement valvulaire aortique. La compétence de la prothèse diminue le remplissage diastolique et déplace la boucle P/V vers la gauche; la pression et le volume systoliques baissent [d’après réf 16].
 
Le VG reste dilaté même si les pressions de remplissage diminuent immédiatement; il faut donc maintenir une certaine hypervolémie et une précharge élevée. Mais un ventricule de grand diamètre est une mauvaise pompe-pression car sa tension de paroi est plus élevée que celle d’un petit ventricule pour éjecter le même volume systolique (loi de Laplace). Un soutien par des catécholamines béta est nécessaire, de même qu’une vasodilatation artérielle en cas d'hypertension. Le rétablissement d'une pression diastolique normale assure une bonne perfusion coronaire. 
 
 
Post correction d’insuffisance aortique 
Risque majeur de dilatation aiguë du VG lors de la bradycardie ou de la fibrillation ventriculaire. 
 
Prise en charge: la grande taille du VG contraint à maintenir une précharge élevée et un soutien inotrope (dobutamine) ; éviter l’hypertension artérielle (excès de postcharge).
 
Sténose sous-aortique dynamique
 
On réunit sous ce terme deux entités différentes présentant le même comportement hémodynamique:
 
  • La cardiomyopathie obstructive (CMO), ou cardiomyopathie hypertrophique asymétrique, avec prédominance de l’hypertrophie au niveau du septum interventriculaire ; c’est une maladie primaire du myocarde qui conduit à une obstruction musculaire dynamique de la chambre de chasse (voir Chapitre 13 Cardiomyopathie obstructive).
  • L’effet CMO, ou sténose sous-aortique dynamique ; elle survient secondairement en cas d’hypertrophie ventriculaire gauche concentrique et de conditions hémodynamiques particulières:
  • HVG de type concentrique, paroi du VG épaisse, cavité du VG restreinte, chambre de chasse étroite.
  • Diminution exagérée du volume télésystolique du VG due à deux phénomènes: hypovolémie sévère, et baisse aiguë de postcharge (vasoplégie, levée de l’obstacle de la sténose aortique après RVA ou TAVI).
  • Stimulation sympathique excessive qui augmente la course concentrique de la paroi postérieure en systole et pousse le feuillet antérieur de la valve mitrale dans la chambre de chasse. Elle est due à une administration de béta-catécholamines ; elle est amplifiée par une stimulation sympathique endogène (réveil, douleur).
Dans ces conditions, la paroi postéro-basale du VG est déplacée vers l’avant et la zone de coaptation mitrale se rapproche de la zone d’éjection. En effet, la zone postérieure de l’anneau mitral est fine et souple, alors que sa partie antérieure est fixée au trigone fibreux, qui est le centre de gravité mécanique du cœur sur lequel sont ancrées les valves mitrale, aortique et tricuspide. C’est donc la zone postérieure qui va se déplacer vers l’avant si le VG se rétrécit excessivement. La diminution de taille de la cavité ventriculaire se traduit donc par un déplacement antérieur des structures basales postérieures (Figure 23.15) [10].
 

Figure 23.15 : Sténose sous-aortique dynamique, ou effet CMO. En protosystole, l’hypertrophie concentrique et le rétrécissement de la cavité ventriculaire (hypovolémie, baisse de postcharge, stimulation inotrope béta) déplacent tout l'appareil mitral postérieur vers l'avant et poussent le feuillet antérieur et le point de coaptation (Pcoapt) de la valve mitrale vers la chambre de chasse (CCVG). L’angle entre le plan de la valve aortique et celui de la valve mitrale (angle mitro-aortique : pointillé vert) se referme. L’accélération du flux dans la CCVG crée un effet Venturi qui aspire le feuillet antérieur de la mitrale (SAM, systolic anterior motion). En mésotélésystole, le feuillet mitral contribue à l’obstruction dynamique de la CCVG; la valve mitrale n’est plus occluse et une régurgitation mitrale (IM) apparaît dans la deuxième moitié de la systole. Ep : éperon septal. 
 
Ce mouvement a quatre effets en systole.
 
  • Déplacement antérieur de la zone de coaptation mitrale;
  • Occlusion mitrale entre l’extrémité distale du feuillet postérieur et le corps du feuillet antérieur et non plus bord-à-bord;
  • Augmentation de la course des cordages du pilier postérieur permettant davantage de déplacement antérieur des feuillets;
  • Partie distale du feuillet antérieur flottant à l’intérieur de la cavité du VG en protosystole.
En systole, la pression intraventriculaire va pousser la partie distale du feuillet antérieur vers l’avant en direction de la CCVG, où l’éjection commence. Comme la Vmax s’élève dans la CCVG, la partie distale de ce feuillet peut y être aspirée par effet Venturi et induire un phénomène appelé systolic anterior motion (SAM) : le feuillet antérieur se coude et vient occlure partiellement la CCVG. C’est l’effet CMO, par analogie au mécanisme de la cardiomyopathie obstructive. Le SAM crée un gradient de pression important au sein de la CCVG (Vmax > 2.5 m/s, ΔP > 25 mmHg), et le débit systolique baisse brusquement [13]. L'aspiration du feuillet antérieur dans la CCVG a pour effet secondaire de rouvrir la valve mitrale en mésosystole et de provoquer une insuffisance méso-télésystolique. Cette IM fait que la PAPO lue sur le cathéter pulmonaire est trompeusement élevée malgré l’hypovolémie ventriculaire [10].
 
Après un RVA, les conditions pour un effet CMO sont fréquemment remplies: il existe une HVG concentrique, la postcharge a baissé parce que la sténose est levée, l’hypovolémie est banale en postopératoire, et l’administration de catécholamines force la contraction de la paroi postérieure, le rétrécissement de la CCVG et la vélocité d’éjection du sang. Le phénomène est confirmé par l’échocardiographie: la cavité ventriculaire est de petites dimensions, la Vmax dans la chambre de chasse est supérieure à 2.5 m/sec, le feuillet mitral se rabat dans la chambre de chasse (SAM) en mésosystole, une insuffisance mitrale apparaît en deuxième moitié de systole. Ce phénomène survient dans 14% des RVA pour sténose [1]. Cliniquement, l'effet CMO se caractérise par une hypotension artérielle et un bas débit cardiaque qui ne réagissent pas aux catécholamines. La thérapeutique consiste en:
 
  • Augmentation du volume ventriculaire: perfusions; 
  • Augmentation de la postcharge : vasoconstricteur artériel alpha pur;
  • Diminution de contractilité: arrêt des catécholamines à effet β, éventuellement esmolol (bolus répétés de 10 mg);
  • Si l’effet persiste malgré un traitement maximal, on peut procéder ultérieurement à une embolisation alcoolique de la première artère septale pour provoquer une nécrose partielle du muscle.
En cas d’hypertrophie du VD, le même phénomène peut se produire dans la chambre de chasse droite [6].
 
 
Effet CMO
Hémodynamique recherchée:
    - Précharge élevée
    - Contractilité diminuée 
    - Vasoconstriction systémique
    - "Plein – mou – fermé"
 
Traitement :
- Réduire les catécholamines β, bolus d’esmolol 
- Augmentation de la précharge (perfusions)
- Augmentation de la postcharge (vasoconstricteurs α)
 
 
© CHASSOT PG, MUSTAKI JP, BOVY M, Juin 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
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