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Physiopathologie

Lorsque la surface mitrale diminue, la POG augmente progressivement, ce qui dilate l’oreillette ; cette dilatation permet de freiner l’élévation de pression par augmentation de la compliance auriculaire. La formule de Gorlin utilisée en cathétérisme montre que le débit et le gradient de pression à travers un orifice sont liés de manière géométrique [4,6]:
 
            SVM (cm2)    =  K  •   DC /  √ΔPm        
 
où:        DC = débit cardiaque (L/min)
             ΔPm = gradient de pression moyen (mmHg)
             K = constante
 
On en déduit que le gradient de pression transvalvulaire est fonction du carré de la vitesse du flux (∆P ≈ V2), quelle que soit la surface de la valve. C’est ce que démontre également l’équation de Bernoulli : ∆P = 4 (Vmax)2. Doubler le débit cardiaque quadruple donc le gradient de pression, et augmente d’autant la POG. Une sténose mitrale asymptomatique au repos devient ainsi rapidement limitante à l’effort. L’exercice, le stress, l’hypervolémie, la grossesse ou l’hyperthyroïdisme sont responsables d’une ascension brutale de la POG, qui induit une fuite liquidienne intersticielle pulmonaire, d’où dyspnée aiguë et risque d’œdème pulmonaire. 

La résistance à travers une sténose valvulaire dépend du degré d'ouverture de la valve et du débit sanguin qui la traverse. Elle répond à l'équation [1]:

            RES  =   K  •  DC / SO2

où:       RES = résistance totale
            DC = débit cardiaque (L/min)
            SO = surface d'ouverture (cm2)
            K = constante (1'333)
      
La résistance, donc le gradient de pression et la pression d'amont (pression de l'OG), augmente linéairement avec le débit, mais exponentiellement avec la diminution de la surface d'ouverture. Ceci explique la décompensation qu'induit la grossesse sur une sténose mitrale jusque-là bien supportée, et le gain majeur obtenu par un élargissement au moyen d'une commissurotomie, même si la surface d'ouverture reste modeste.
 
Comme la tachycardie raccourcit la diastole davantage que la systole, l’accélération du rythme cardiaque diminue le temps à disposition pour faire passer le volume de chaque cycle cardiaque à travers la valve mitrale dont le débit est très restreint; le flux doit accélérer, donc le gradient augmente géométriquement. Il s’ensuit une hypertension dans l’oreillette gauche, qui retentit sur les veines pulmonaires et induit une stase pulmonaire. D’autre part, le faible remplissage et la petite taille du VG limitent le volume systolique, qui ne peut guère augmenter lorsque la fréquence ralentit. Le débit cardiaque est ainsi doublement limité par rapport à la fréquence.
 
  • La tachycardie diminue le remplissage diastolique, qui est très lent;
  • La bradycardie diminue le débit, parce que le volume systolique est fixe et bas. 
Le remplissage du VG est moins dépendant de la contraction auriculaire que lors d’un défaut de compliance ventriculaire [8]. C’est l’accélération du rythme ventriculaire global qui décompense l’hémodynamique lors du passage en fibrillation auriculaire. Même s’il est un avantage électrique, le rythme sinusal n’est pas forcément efficace. En effet, l’immense oreillette de la sténose mitrale, dont la paroi dilatée est fine, n’est pas capable de générer une pression susceptible de franchir l’obstacle de la valve. Cette dissociation éléctro-mécanique peut s’objectiver à l’écho Doppler: malgré le rythme sinusal, on ne voit aucun flux A de contraction auriculaire en télédiastole à travers la mitrale. Dans la cavité de l’OG, qui peut atteindre 350 mL, le flux est extrêmement lent. A l’échocardiographie, on voit en général un lent tournoiement de la masse sanguine ressemblant à des volutes de fumée (contraste spontané) (Vidéo).


Vidéo: Vue de l'appendice auriculaire gauche; celui-ci est dilaté et rempli de contraste spontané apparaissant comme des volutes de fumée.


Le risque de thrombus mural est élevé, particulièrement dans l’appendice auriculaire (AAG) où la stase est marquée (Figure 11.89) ; l’anticoagulation est recommandée (agent anti-vitamine K pour un INR 2-3), car le risque d’embolisation artérielle est élevé.
 
  


Figure 11.89 : Stase auriculaire gauche dans la sténose mitrale. A : contraste spontané dans l’appendice auriculaire gauche (état préthrombotique). B : présence d’un thrombus dans l’appendice auriculaire gauche. C : flux Doppler pulsé dans l’appendice auriculaire gauche ; à gauche, le flux normal consiste en un aller-retour rapide pendant la contraction et la relaxation auricuaire (Vmax 0.5 m/s) ; en fibrillation auriculaire (à droite), le flux est anarchique et de basse vélocité (Vmax 0.1-0.2 m/s). D : exemple de flux en cas de FA enregistré dans le corps de l’appendice auriculaire gauche (même cas que la Figure B).
 
Le VG est en général de petites dimensions en cas de sténose mitrale pure, mais sa fonction systolique est conservée ; la FE est normale dans 75% des patients [2]. La masse ventriculaire est normale ou réduite. Des altérations de la cinétique segmentaire apparaissent fréquemment à la base du VG, parce que la rigidité de la valve mitrale empêche une contraction normale des segments sous-jacents [10]. La fonction peut être réduite par une myocardite d’accompagnement propre au RAA, qui est présente dans 20% des cas.
 
L’hypertension pulmonaire (HTAP) est habituelle dans la sténose mitrale parce que la pression moyenne de l’OG reste élevée pendant tout le cycle cardiaque, alors qu’elle n’est élevée que pendant la systole en cas d’IM. Cette élévation chronique de la POG retentit sur les veines pulmonaires et induit une hypertension veineuse pulmonaire par stase (hypertension postcapillaire). L’accumulation de liquide interstitiel altère les échanges gazeux, ce qui occasionne une dyspnée. Le travail ventilatoire est augmenté. Ultérieurement se développe une augmentation réactionnelle des RAP, qui devient fixée à long terme (hypertension précapillaire). C’est elle qui est la principale responsable de l’accroissement de postcharge pour le VD, car elle est hors de proportion par rapport à la pression auriculaire gauche [3]. Elle représente un phénomène adaptatif qui restreint le débit vers le cœur gauche, diminue l’accumulation de sang dans l’OG et limite le risque d’œdème pulmonaire [9,11]. Il s’ensuit une cascade de dysfonctionnements à droite: hypertrophie et dilatation du VD, insuffisance tricuspidienne, dilatation de l’OD, et stase veineuse systémique (voir Figure 11.86). Lorsque la PAP systolique dépasse 50 mmHg au repos (PAPmoy ≥ 35 mmHg), les limites fonctionnelles du VD ne permettent plus l’effort, car la PAP augmente alors de manière disproportionnelle. Cette combinaison d'HTAP pré- et post-capillaire dans une pathologie du cœur gauche en triple la mortalité [7]. La prévalence de l’HTAP est de 75% dans la sténose mitrale, mais d’environ 30% dans l’insuffisance mitrale [5]. D’une manière générale, la sténose mitrale est caractérisée par une dysfonction du VD mais par une fonction préservée du VG.
 
Malgré une fonction contractile conservée, le ventricule gauche ne peut guère modifier son débit car son remplissage est limité. Il fonctionne à volume diastolique bas et fixe, et se trouve dans l’impossibilité d’augmenter sa fréquence : s’il accélère, le remplissage diastolique devient insuffisant. Il ne dispose d’aucune réserve de précharge pour modifier sa position sur la courbe de Starling et améliorer sa performance systolique à l’effort : le volume systolique reste lui aussi bas et fixe. Le VG ne peut pas non plus compenser une vasodilatation artérielle ou une hypovolémie par une tachycardie. La boucle P/V (Figure 11.90) illustre la situation hémodynamique typique: pressions intraventriculaires normales, volume systolique limité (< 50 mL), fraction d'éjection normale (FE 0.5 - 0.6) ; le travail d’éjection est réduit, mais le travail de pression est normal. Le volume systolique est limité par le débit à travers la sténose et par la durée de la diastole. La pression artérielle systémique, qui correspond au produit du débit cardiaque et des résistances artérielles systémiques (PA ≈ DC • RAS), dépend essentiellement des RAS, qui doivent rester élevées.
 

Figure 11.90 : Boucle pression-volume en cas de sténose mitrale. La restriction au remplissage ventriculaire conduit à un tout petit volume ventriculaire placé sur des valeurs d’Emax et de compliance encore normales. Cela n’est cependant pas toujours le cas : lors de myocardite rhumatismale, par exemple, le VG est dysfonctionnel, la pente Emax est diminuée et la courbe de compliance est redressée. Le volume systolique (VS) et le travail éjectionnel sont réduits, mais le travail de pression est normal.
 
 
Caractéristiques hémodynamiques de la sténose mitrale 
Défaut de remplissage du VG : volume systolique fixe et bas
Remplissage diastolique du VG ralenti : intolérance à la tachycardie
Intolérance à l’hypovolémie
Augmentation massive de la POG à l’effort (tachycardie) ou à l’hypervolémie
Dilatation de l’OG : risque de FA et de thrombus
Fonction systolique du VG conservée
Stase et hypertension pulmonaire : HTAP veineuse (postcapillaire) et artérielle (précapillaire)
Surcharge de pression du VD : dilatation, HVD, dysfonction, insuffisance tricuspidienne


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Novembre 2019
 

Références
 
  1. BLAIS C, PIBAROT P, DUMESNIL JG, et al. Comparison of valve resistance with effective orifice area regarding flow dependence. Am J Cardiol 2001; 88:45-52
  2. CHOI BW, BACHARACH SL, BARBOUR DI, et al. Left ventricular systolic dysfunction, diastolic filling characteristics and exercise cardiac reserve in mitral stenosis. Am J Cardiol 1995; 75:526-33
  3. GERGES C, GERGES M, LANG MB, et al. Diastolic pulmonary vascular pressure gradient: a predictor of prognosis in "out-of-proportion" pulmonary hypertension. Chest 2013; 143:758-66
  4. GORLIN R, GORLIN SG. Hydraulic formula for calculation of the area of the stenotic mitral valve, other cardiac valves, and the central circulatory shunts. I. Am Heart J 1951; 41:1-29
  5. HADDAD F, KUDELKO K, MERCIER O, et al. Pulmonary hypertension associated with left heart disease: Characteristics, emerging concepts, and treatment strategies. Progr Cardiovasc Dis 2011; 54:154-67
  6. HAKKI A, ABKULMASSIH IS. A simplified formula for the calculation of stenotic cardiac valves. Circulation 1981; 63:1050-5
  7. LIM GB. Prognostic relevance of pulmonary hypertension in valvular disease. Nat Rev Cardiol 2015; 12:194
  8. MEISNER JS, KEREN G, PAJARO OE, et al. Atrial contribution to ventricular filling in mitral stenosis. Circulation 1991; 84:1469-75
  9. NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease. Circulation 2014; 129:e521-e643 
  10. OTTO CM. Mitral stenosis. In: OTTO CM, ed. Valvular heart disease 2nd edition. Philadelphia, WB Saunders, 2004; 252-5
  11. VACHIÉRY JL, ADIR Y, BARBERÀ JA, et al. Pulmonary hypertension due to left heart disease. J Am Coll Cardiol 2013; 62:D100-8
11. Anesthésie et valvulopathies