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Généralités

Nosologie
 
La combinaison de plusieurs affections valvulaires n'est pas rare. Près de 15% des patients opérés en chirurgie cardiaque valvulaire souffrent d'une autre valvulopathie d'importance modérée ou sévère. Une insuffisance tricuspidienne majeure est présente dans 27% des cas de chirurgie mitrale ou aortique. La combinaison de lésions gauches la plus fréquente est celle de la sténose aortique doublée d'une insuffisance mitrale (20% des cas). L'étiologie des atteintes multiples est en général rhumatismale (51% des cas) ou dégénérative (41% des cas); plus rarement, l'origine est liée à l'endocardite, l'irradiation ou la toxicité de certaines substances (drogues, anorexigènes) [3].
 
L’atteinte complexe de plusieurs valves est le domaine par excellence où les recettes ne sont plus applicables. En premier lieu, il s’agit de déterminer quelle est la pathologie la plus contraignante, ce que les examens préopératoires ne permettent pas toujours de saisir. L’échocardiographie transoesophagienne (ETO) peropératoire apporte souvent la réponse, mais malheureusement après l’induction (voir Figure 11.14) (Vidéo).


Vidéo: Polyvalvulopathie sur RAA; la maladie rhumatismale a entraîné une maladie mitrale (sténose et insuffisance) et une insuffisance aortique; comme le VG est de petite taille et l'OG très dilatée, il en ressort que la sténose mitrale est l'élément prédominant, et que les insuffisances sont secondaires.

Ensuite, la prise en charge est guidée par la physiopathologie de l’affection dominante, qui va aussi conditionner la sortie de CEC et la période postopératoire immédiate. En règle générale, les lésions sténosantes sont plus contraignantes que les insuffisances. D’autre part, la symptomatologie clinique est dominée par la lésion la plus proximale en suivant le flux sanguin, par exemple la sténose mitrale dans la combinaison de valvulopathie mitrale et aortique [2]. Enfin, le degré de sévérité de chaque valvulopathie définit son importance au sein de la combinaison d'atteintes valvulaires. 
 


Figure 11.14 : Lors de valvulopathie, la silhouette des chambres cardiaques indique le remodelage des cavités gauches en fonction des contraintes hémodynamiques et permet de déterminer quelle est la pathologie dominante. A : sténose aortique ; HVG concentrique et dilatation de l’OG. B : sténose mitrale ; petit VG et gigantesque OG. C : insuffisance aortique ; dilatation massive du VG, dilatation modérée de l’OG. D : insuffisance mitrale ; dilatation du VG et de l’OG.
 
Les Tableaux 11.16 et 11.17 résument l'attitude conseillée dans les valvulopathies isolées ; on pourra s’en inspirer pour la prise en charge clinique en fonction de la lésion dominante, mais il est difficile de fixer des recommandantions dans les polyvalvulopathies car chaque lésion influence les autres en les exacerbant ou en les masquant: une sténose mitrale, par exemple, diminue le remplissage du VG et le volume systolique, abaissant ainsi le gradient à travers une sténose aortique et diminuant la sévérité hémodynamique de celle-ci; à l'inverse, une insuffisance mitrale (IM) aggrave encore la dilatation ventriculaire due à une insuffisance aortique (IA) [6]. Chaque cas doit être analysé de manière individuelle. Certaines combinaisons de valvulopathies peuvent être bénéfiques pour la fonction ventriculaire en limitant le remodelage de la cavité ou en se contre-balançant l'une l'autre: par exemple, l'IM diminue la postcharge du VG alors que la sténose aortique l'augmente; bien que le débit antérograde soit limité, les indices d'éjection sont améliorés. 
 
Les insuffisances mitrales et tricuspidiennes mineures ou modérées sont souvent des affections fonctionnelles secondaires à la surcharge de pression et/ou de volume, qui s’évaporent avec la correction de la lésion principale. 
 
 

 
Evaluation paraclinique
 
Plus encore que lors de valvulopathie isolée, la quantification de la fonction systolique traduit mal la performance myocardique réelle et doit être interprétée dans le contexte de la maladie. La fraction d’éjection est particulièrement mal adaptée à l’évaluation de la performance systolique du VG, notamment en présence d'une IM qui facilite son éjection. Les dimensions du ventricule sont un meilleur critère de ses capacités contractiles. Les valeurs au-delà desquelles sa fonction est réduite sont [1,4,5] :
 
  • Diamètre télésystolique (court-axe) ≥ 2.5 cm/m2 si prédominance d’insuffisance,
  • Diamètre télédiastolique (court-axe) ≥ 4.0 cm/m2 si prédominance de sténose.
Les mesures échocardiographiques doivent se fonder sur des indices aussi peu dépendants que possible des conditions de charge, comme la planimétrie de l'ouverture valvulaire en 3D, la surface de l'orifice de régurgitation ou de la sténose, et le diamètre de la vena contracta [6]. Une sténose en amont diminue le flux à travers la valve d'aval et réduit son gradient transvalvulaire (sous-estimation de la sténose), alors qu'une insuffisance d'amont augmente le débit et pousse à surestimer le degré de sténose de la valve d'aval. L'équation de continuité ne peut pas être utilisée pour quantifier la surface mitrale en présence d'une IA parce que le flux à travers la mitrale n'est pas le même que celui à travers la valve aortique. Le temps de demi-pression est invalide pour quantifier une sténose mitrale en présence d'une maladie aortique sévère.
 
La thermodilution pulmonaire (cathéter de Swan-Ganz) est invalide en cas d'insuffisance tricuspidienne majeure, et ne traduit pas le débit gauche en cas de pathologie mitro-aortique. Le PiCCO mesure le débit systémique effectif en périphérie, mais non le volume systolique du VG en cas d'insuffisance mitrale ou aortique.
 
Anesthésie
 
Le libellé du diagnostic et les examens préopératoires ne donnent pas toutes les clefs du comportement hémodynamique à l'induction. Il est donc important de prévoir une technique qui altère aussi peu que possible la réactivité cardiovasculaire du patient (voir Chapitre 4, Choix des agents). Un des problèmes majeurs à l’induction est la tolérance du patient à la curarisation et à l’installation de la ventilation en pression positive. Alors qu’elle est relativement prévisible dans les valvulopathies simples, la réponse hémodynamique à l’IPPV est complexe dans les valvulopathies. Le meilleur moyen de prévoir ce qui va se passer est de faire faire au patient une manœuvre de Valsalva pendant 20 secondes une fois le cathéter artériel en place. La variation ou la stabilité de la pression artérielle est une bonne approximation de ce qui va arriver lors du démarrage de la ventilation contrôlée. D'autre part, la non-réponse de la pression artérielle à un vasoconstricteur alpha (2-3 bolus iv de 100 mcg de phényléphrine) doit faire suspecter la présence d’une insuffisance aortique ou mitrale significative.
 
 
Polyvalvulopathie
La combinaison de plusieurs pathologies valvulaires crée des situations hémodynamiques très variables selon les patients. Quelques remarques générales:
    - La sténose est plus contraignante que l'insuffisance
    - La valvulopathie d'amont prime sur la valvulopathie d'aval
    - Quelle que soit la combinaison, une pathologie prédomine et commande l'hémodynamique
    - Le remodelage des cavités cardiaques donne une bonne idée de la lésion dominante
    - La fonction du VG est le mieux évaluée par ses dimensions télésystolique et télédiastolique
    - L'évaluation ETO doit se baser sur des mesures peu dépendantes de l'hémodynamique (planimétrie des sténoses en 3D, vena contracta,
       surface de régurgitation)


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
 
 
Références
 
 
  1. BAUMGARTNER H, FALK V, BAX JJ, et al. 2017 ESC/EACTS Guidelines for the management of valvular heart disease. Eur Heart J 2017; 38:2739-86
  2. BONOW RO, BRAUNWALD E. Valvular heart disease. In: ZIPES DP, et al, eds. Braunwald’s heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. 7th edition. Philadelphie: Elsevier Saunders, 2005, 1553-632
  3. IUNG B, BARON G, BUTCHART EG, et al. A prospective survey of patients with valvular heart disease in Europe: The Euro Heart Survey on Valvular Heart Disease. Eur Heart J 2003; 24:1231-43
  4. NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular     heart disease. Circulation 2014; 129:e521-e643 
  5. NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2017 AHA/ACC focused update of the 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease. J Am Coll Cardiol 2017; 70:252-89
  6. UNGER P, CLAVEL MA, LINDMAN BR, et al. Pathophysiology and management of multivalvular disease. Nat Rev Cardiol 2016; 13:429-40
11. Anesthésie et valvulopathies