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Circuit rapide (fast-track)

Alors que les cas de plus en plus complexes réclament de lourds investissements et de longs séjours en soins intensifs, les cas plus standards sont susceptibles d'être pris en charge de manière simplifiée et accélérée. Le raccourcissement de la durée en ventilation contrôle/assistée est un avantage en terme de complications pulmonaires et en terme de coût. Le principal bénéfice financier est de diminuer la durée de séjour en soins intensifs. Mais pour créer un circuit rapide, il ne suffit pas d'extuber précocement; c'est toute l'organisation du séjour hospitalier et toute la prise en charge anesthésique qui doivent être repensées [1,6].
 
Les malades susceptibles d'être inclus dans ce système doivent répondre à un certain nombre de critères (Tableau 4.21) [3,10].

 
  • Chirurgie cardiaque élective, technique opératoire rapide et atraumatique;
  • Pontages aorto-coronariens ou RVA simples, fermeture de CIA ou de FOP;
  • Chirurgie à cœur battant ou CEC de < 100 minutes;
  • Hypothermie légère (≥ 34°C) ou normothermie;
  • Absence de comorbidité majeure;
  • Fonction ventriculaire conservée, pression pulmonaire normale;
  • Angor stable;
  • Contre-indications:
    • Patient débilité, psychiquement ou neurologiquement inadéquat;
    • Coagulopathie, traitement antithrombotique préopératoire autre que aspirine;
    • Comorbidités majeures;
    • Dysfonction ventriculaire, assistance ventriculaire, angor instable, polyvalvulopathie, hypertension pulmonaire;
    • Reprise, urgence;
    • Intervention complexe ou combinée, chirurgie aortique, endocardite; 
    • Longue CEC prévue, hypothermie, arrêt circulatoire; 
    • Indisponibilité du personnel ou des structures hospitalières.
Lorsque les conditions requises sont remplies, la technique d'anesthésie est adaptée à un réveil rapide et à une extubation dans les deux premières heures postopératoires (pour autant que les critères d’extubation soient remplis) (6,7). 
 
  • Induction au propofol (1.0-2.0 mg/kg) ; en AIVOC, la valeur-cible est 2-4 mcg/mL ; maintien au propofol (5-10 mg/kg/heure ; valeur-cible : 1-3 mcg/mL);
  • Induction au propofol et maintien au sevoflurane ou à l’isoflurane (≥ 1 MAC) en cas de revascularisation coronarienne;
  • Intubation: spray laryngé de lidocaïne 4% pour réduire la poussée hypertensive;
  • Analgésie (doses cumulatives): fentanyl < 15 mcg/kg, sufentanil < 10 mcg/kg ou rémifentanil en perfusion (0.2 – 1.0 mcg/kg/min);
  • Alternative pour l'analgésie: péridurale cervico-thoracique (bupivacaïne-fentanyl) ou rachi-analgésie (sufentanil-morphine) (voir Anesthésie loco-régionale) ;
  • Curare: rocuronium (0.6-1.0 mg/kg, entretien 0.1 mg/kg par dose), cisatracurium (0.1-0.4 mg/kg, entretien 0.03 mg/kg par dose);
  • Pas de midazolam ni de morphine.
L'équipement est peu invasif: cathéter artériel et voie veineuse centrale (2-lumières), ETO. La CEC est normotherme ou légèrement hypotherme (T° ≥ 34°C) et dure < 100 minutes; le réchauffement est complet au sortir de salle d'opération (T° ≥ 36.5°C). Les patients opérés à cœur battant sont maintenus à ≥ 36.5°C tout au long de l'intervention. Pour réaliser ce maintien de la température, on agit sur plusieurs points: réchauffement de la salle d'opération (24°C), chauffage par air pulsé autour du malade, matelas chauffant, réchauffement des perfusions. La volémie est ajustée avant de quitter la salle d'opération de manière à éviter l'hypotension d'une hypovolémie et la surcharge pulmonaire d'une hypervolémie. L'hypertension ou la tachycardie sont traitées par des agents hémodynamiques et non par approfondissement de l'anesthésie. En fin d'intervention, des techniques loco-régionales sont un appoint efficace pour les premières heures d'antalgie [4].
 
  • Bloc paravertébral : injection dans le triangle bordé par la plèvre, l’apophyse transverse vertébrale et les muscles paravertébraux de 15-20 mL de lidocaïne ou de bupivacaïne ; ce bloc est peu risqué, même chez des malades anticoagulés ; on peut laisser un cathéter en place pour une administration continue. Pour être efficace lors de sternotomie, le bloc doit être bilatéral.
  • Blocs intercostaux : utiles pour l’antalgie immédiate après une incision de thoracotomie, ils sont inefficaces contre la douleur d’une sternotomie qui nécessiterait de bloquer une dizaine de niveaux des deux côtés, sauf en cas de ministernotomie où le bloc de 3-4 niveaux suffit.
  • Infiltration intercostale parasternale bilatérale en fin d'intervention (bupivacaïne, ropivacaïne); l'antalgie est efficace et la réduction des opiacés significative.
Le réveil en salle d'opération est possible, mais elle est moins confortable pour le patient que dans une salle de soins. Elle ralentit le programme opératoire pour remplir les critères d'extubation (voir Réveil et extubation); or l'heure de salle d'opération coûte beaucoup plus cher que l'heure de soins intensifs. D'autre part, un réveil dans l'heure qui suit l'opération ne modifie pas le pronostic ni la durée de séjour en unité intensive par rapport à une extubation immédiate [5,9]. Le patient est pris en charge dans les soins postopératoires par un personnel entrainé à ce type de chirurgie selon un protocole d'antalgie, et de physiothérapie bien établi [1,2,6,12]. 
 
  • Disponibilité médicale de soins intensifs;
  • Monitorage hémodynamique complet;
  • Laboratoire au lit du malade (gazométrie, électrolytes, glycémie, ACT, thromboélastographie);
  • Extubation dans les deux heures après l'arrivée de salle d'opération selon les critères de routine;
  • Ventilation non-invasive (NIV), CPAP au masque;
  • Physiothérapie respiratoire;
  • Antalgie (score de douleur < 4): 
    • Opiacé en PCA (selon protocole intitutionnel);
    • Tramadol (Tramal®), 100 mg iv 3-4 x/24 heures;
    • Kétorolac (Toradol®), 30 mg iv 3x/24 heures; dose maximale: 90 mg/24 heures pendant 2 jours;
    • Paracétamol, 1 g iv toutes les 6-8 heures.
  • Sédation: dexmédétomidine (Dexdor®, Precedex® 0.2 – 1.0 mcg/kg/heure);
  • Traitement anti-émétique: métoclopramide (Primperan® 10 mg iv), odansétron (Zofran® 2-4 mg iv en 10 min);
  • Réhabilitation active, mobilisation précoce;
  • Reprise alimentaire dès 24 heures.
Le circuit rapide présuppose une infrastructure hospitalière adaptée: passage rapide en unité de surveillance intensive postopératoire, transfert accéléré en chambre, séjour hospitalier inférieur à 1 semaine [6,8]. Pour être efficace sur le plan logistique, le patient en circuit rapide doit être opéré en début de matinée et l'intervention terminée avant midi. Il peut alors quitter les soins intensifs en fin d'après-midi pour rejoindre une unité de surveillance continue à l'étage. De cette manière, sa place en soins intensifs est disponible pour un cas lourd opéré en deuxième position. Il est évident que ce système à flux tendu ne fonctionne qu'en absence de toute complication anesthésique ou chirurgicale et pour autant que la place soit disponible aux soins intensifs et à l'étage d'hospitalisation, mais on peut s'attendre à une baisse des coûts de l'ordre de 25% par rapport à une hospitalisation standard [10,11].
 
Il est évident que la survenue d'une complication (hémorragie, hypoxie, défaillance ventriculaire, arythmie, etc) interrompt le processus rapide et replace le patient dans un déroulement standard avec intubation prolongée le temps nécessaire à la solution du problème et séjour en soins intensifs de la durée exigée par la gravité du cas. 
 
 
Circuit rapide
Un circuit rapide en chirurgie cardiaque s'adresse aux patients souffrant d'une cardiopathie stable et subissant une intervention simple et bien codifiée. L'anesthésie est adaptée à un réveil et à une extubation rapides (< 2 heures postop) selon un protocole qui peut varier selon les institutions, mais qui comprend plusieurs points importants: sélection des malades, choix de substances à effets courts, normothermie, passage rapide en soins intensifs, suivi en salle de surveillance intensive, antalgie efficace, réhabilitation active. 


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 

Références
 
  1. CHENG DCH. Fast-track cardiac surgery: Economic implications in postoperative care. J Cardiothor Vasc Anesth 1998; 12:72-9 
  2. CHENG DCH, KARSKI J, PENISTON C, et al. Early tracheal extubation after coronary artery bypass graft surgery reduces costs and improves resource use. Anesthesiology 1996; 85:1300-10 
  3. CONSTANTINIDES VA, TEKKIS PP, FAZIL A, et al. Fast-track failure after cardiac surgery: development of a prediction model. Crit Care Med 2006; 34:2875-82
  4. ELJEZI V, DUALÉ C, SCHOEFFLER P, et al. The analgesic effects of a bilateral sternal infusion of ropivacaine after cardiac surgery. Reg Anesth Pain Med 2012; 37:166-74
  5. DJAIANI GN, ALI M, HEINRICH L, et al. Ultra-fast anesthetic technique facilitates operating room extubation in patients undergoing off-pump coronary revascularization surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2001; 15:152-7
  6. ENDER J, BORGER MA, SCHOLZ M, et al. Cardiac surgery fast-track treatment in a postanesthetic care unit: 6-month results of the Leipzig fast-track concept. Anesthesiology 2008; 109:61-6
  7. ENGOREN MC, LUTHER G, FENN-BUDERER N. A comparison of fentanyl, sufentanil, and remifentanil for fast-track cardiac anesthésia. Anesth Analg 2001; 93:859-64
  8. FLYNN M, REDDY S, SHEPHERD W, et al. Fast-track revisited: routine cardiac surgical patients need minimal intensive care. Eur J Cardiothorac Surg 2014; 25:116-22
  9. MONTES FR, SANCHEZ SI, GIRALDO JC, et al. The lack of benefit of tracheal extubation in the operating room after coronary artery bypass surgery. Anesth Analg 2000; 91:776-80
  10. PROBST S, ENDER J. Enhanced recovery from heart surgery. In: ALSTON RP, MYLES P, RANUCCI M, eds. Oxford Textbook of Cardiothoracic Anesthesia. Oxford: Oxford University Press, 2015, 303-8
  11. SILBERT BS, MYLES PS. Is fast-track cardiac anesthesia now the global standard of care ? Anesth Analg 2009; 108:689-91
  12. SVIRCEVIC V, NIERICH AP, MOONS KGM, et al. Fast-track anesthesia and cardiac surgery: a retrospective cohort study of 7989 patients. Anesth Analg 2009; 108:727-33
04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque