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Risque de l’ALR rachidienne

Le risque majeur de l'anesthésie loco-régionale en chirurgie cardiaque est celui de l'hématome intrarachidien au cours d’interventions pendant lesquelles le malade est anticoagulé: ACT > 450 sec en CEC et > 300 sec à coeur battant. Les études réalisées jusqu’ici ont été conduites avec des patients à risque relativement bas et n’ont pas la puissance nécessaire pour juger de l’incidence réelle des complications [4]. Les estimations sont donc fondées sur des évaluations théoriques. Le risque d’hématome spinal compressif silencieux terrorise avec raison les anesthésistes [1,14]. Le calcul de ce risque dans le cadre de la chirurgie cardiaque donne une incidence d'hématome péridural variant de 1:1'500 à 1:10'000 [8]. Un audit de 2'113 cas sans accident neurologique diminue cette valeur à 1:4'000 [2]. L’estimation la plus basse est de 1 :12'000 [15] et la moyenne probablement de 1:2'700 [11]. Il n'existe qu'environ 25 cas isolés d'hématome péridural thoracique décrits jusqu'ici dans le cadre de la chirurgie cardiaque en CEC, sur approximativement 90'000 cas réalisés. Ce chiffre donne une incidence de 1:3'552 [10]; celle-ci est supérieure à celle des péridurales thoraciques placées en chirurgie vasculaire (1:5'493 cas) [7], mais voisine de celle des rachianesthésies single-shot (1:3'610) [8]. Rappelons que sans anticoagulation l’incidence d’hématome spinal est de 1:220'000 par voie intrathécale et de 1:150'000 par voie péridurale [6,12]. Le risque théorique d'abcès s’élève jusqu’à 1:2'000 si le cathéter reste en place plus 48 heures [13]. En cas d’hypotension artérielle, la compression extrinsèque de la moëlle par le volume de liquide de la péridurale peut favoriser une complication rare : l’infarcissement médullaire [5]. D’une manière générale, la situation est moins dangereuse pour la chirurgie de revascularisation à cœur battant, car le niveau d’anticoagulation recherché est moindre.
 
Par précaution, le cathéter est mis en place la veille de l’intervention; aucune ponction répétitive n'est tolérée en cas de difficulté. Une ponction hémorragique commande de renvoyer l’opération. Les agents anti-vitamine K sont arrêtés 5-10 jours à l'avance pour obtenir une normalisation de l'INR, si la pathologie thrombo-embolique l'y autorise. Par manque d'expérience clinique en périopératoire, l'ALR rachidienne est déconseillées chez les patients sous un nouvel anticoagulant oral (dabigatran, xabans). L'aspirine cardio (100-300 mg/j) peut être maintenue en chirurgie vasculaire, mais la prudence veut qu'elle soit stoppée cinq jours en chirurgie cardiaque (voir Tableau 8.7B). Les patients qui présentent un angor ou une sténose instables sont en général sous bithérapie antiplaquettaires (aspirine + clopidogrel, prasugrel ou ticagrelor) ; ces substances sont essentielles à la prévention des thromboses sur des plaques instables ou des stents coronariens non encore endothélialisés (< 6 semaines pour les stents passifs et < 6-12 mois pour les stents actifs) [3,9]. Il est trop dangereux de les arrêter uniquement pour faire bénéficier le malade du confort d’une analgésie loco-régionale. Dans ce cas particulier, le rapport risque/bénéfice penche indubitablement du côté de la prophylaxie antiplaquettaire. 
 
Pour maintenir le risque neurologique aussi bas que possible, il est impératif de respecter les recommandations d’usage pour l'ALR rachidienne en chirurgie cardiaque [4].
 
  • Absence de coagulopathie ;
  • Absence de traitement anticoagulant ou de bithérapie antiplaquettaire;
  • Arrêt de l'aspirine au minimum 5 jours;
  • Tests de coagulation normaux ;
  • Cathéter péridural placé la veille de l’opération ; abandon en cas de ponction hémorragique et opération renvoyée de 24 heures ;
  • Ponction C6-C7 ou D3-D4 médiane ;
  • ACT peropératoire maintenu en dessous de 500 secondes ;
  • Pas d’anticoagulation ni d’antiplaquettaire tant que le cathéter est en place ; 
  • Tests de coagulation normalisés avant de mobiliser le cathéter ;
  • Recherche compulsive des troubles neurologiques éventuels et indication agressive à l'IRM en cas de doute.
 
 
Risque de l'anesthésie loco-régionale rachidienne
Vu le danger qu’elle présente lors de l’anticoagulation en CEC, le rapport risque/bénéfice de l'ALR rachidienne reste incertain en chirurgie cardiaque. Le risque d'hématome épidural (1:3'552 cas) est supérieur à celui des péridurales thoraciques placées en chirurgie vasculaire (1:5'493 cas). Conditions de sécurité : pas de coagulopathie ni d’anticoagulation, arrêt des antiplaquettaires 5-7 jours, ponction la veille de l’opération, surveillance complusive des troubles neurologiques.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
  1. AUROY Y, NARCHI P, MESSIAH A, et al. Serious complications related to regional anesthesia: results of a prospective study in France. Anesthesiology 1997; 87:479-86
  2. CHAKRAVARTHY M, THIMMANGOWDA P, KRISHNAMURTY J, et al. Thoracic epidural anesthesia in cardiac surgical patients: A prospective audit of 2'113 cases. J Cardiothorac Vasc Anesth 2005; 19:44-8
  3. CHASSOT PG, MARCUCCI C, DELABAYS A, SPAHN DR. Perioperative antiplatelet therapy. Am Fam Physician 2010; 82:1484-9
  4. DJAIANI G, FEDORKO L, BEATTIE S. Regional anesthesia in cardiac surgery: A friend or a foe ? Semin Cardiothorac Vasc Anesth 2005; 9:87-104
  5. GEYER TE, NAIK MJ, PILLAI R. Anterior spinal artery syndrome after elective coronary artery bypass grafting. Ann Thorac Surg 2002; 73:1971-3
  6. GOGARTEN W, VANDERMEULEN E, VAN AKEN H, et al. Regional anaesthesia and antithrombotic agents: recommendations of the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2010; 27:999-1015
  7. HEMMERLING TM, CYR S, TERRASINI N. Epidural catheterization in cardiac surgery: the 2012 risk assessment. Ann Cardiac Anaesth 2013; 16:169-77
  8. HO AM, CHUNG DC, JOYNT GM. Neuraxial blockade and haematoma in cardiac surgery: estimating the risk of a rare adverse event that does not (yet) occured. Chest 2000; 117:551-5
  9. KORTE W, CATTANEO M, CHASSOT PG, et al. Perioperative management of antiplatelet therapy in patients with coronary artery disease. Thromb Haemost 2011; 105: 743-9
  10. LANDONI G, ISELLA F, GRECO T, et al. Benefits and risks of epidural analgesia in cardiac surgery. Br J Anaesth 2015; 115:25-32
  11. MEHTA Y, ARORA D. Benefits and risks of epidural analgesia in cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2014; 28:1069-75
  12. OWENS EL, KASTEN GW, HESSEL EA. Spinal subarachnoid hematoma after lumbar puncture and heparinization: a case report, review of the literature, and discussion of anesthetic implications. Anesth Analg 1986; 65:1201-7 
  13. PHILIPS JM, STEDEFORD JC, HARTSILVER E, ROBERTS C. Epidural abscess complicating insertion of epidural catheters. Br J Anaesth 2002; 89:778-2
  14. ROSEN DA, HAWKINBERRY DW, ROSEN KR, et al. An epidural hematoma in an adolescent patient after cardiac surgery (case report). Anesh Analg 2004; 98:966-9 
  15. ROYSE C, ROYSE A, SOEDING P, et al. Prospective randomized trial of high thoracic epidural analgesia for coronary artery bypass surgery. Ann Thorac Surg 2003; 75:93-100
 
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04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque