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Catécholamines
Bien qu’il y ait peu d’évidence scientifique pour justifier le choix d’un agent particulier comme routine, il est important de sélectionner les agents inotropes en fonction de la situation clinique et de leur profil pharmacologique. Qu’elles soient naturelles (dopamine, adrénaline, nor-adrénaline) ou synthétiques (dobutamine, dopexamine, isoprénaline), les catécholamines interagissent avec un certain nombre de récepteurs (voir Tableau 4.16).
- Récepteurs α1 : postsynaptiques, ils déclenchent la vasoconstriction artérielle et veineuse ; très peu nombreux dans l’arbre vasculaire pulmonaire ; dans le cœur, effet inotrope positif et chronotrope négatif.
- Récepteurs α2 : présynaptiques, ils diminuent la production de nor-adrénaline par un rétro-contrôle négatif sur les terminaisons nerveuses sympathiques.
- Récepteurs β1 : ils augmentent la contractilité myocardique, la fréquence, la conduction et l’automaticité, améliorent la relaxation protodiastolique et stimulent la sécrétion de rénine.
- Récepteurs β2 : ils relâchent la musculature lisse dans les vaisseaux et les bronches ; responsables des effets métaboliques (hyperglycémie, acidose) ; dans le myocarde, ils sont inotropes et chronotropes positifs à un degré moindre que les récepteurs β1.
- Récepteurs β3 : dans le cœur sain, effet inotrope négatif ; ils ne sont actifs que lors de fortes stimulations sympathiques ou dans l’insuffisance ventriculaire.
- Récepteurs δ (DA1 et DA2) : vasodilatation mésentérique, splanchnique et rénale.
Les cardiostimulants et les vasopresseurs améliorent le débit cardiaque et la pression artérielle au prix d’une augmentation du travail myocardique. Le bénéfice réel est déterminé par le rapport DO2/VO2 ; il est quantifié par la SvO2. Chez le coronarien, les agents inotropes élèvent le DO2 au détriment de la mVO2 : l’effet est contre-productif au-delà d’un certain seuil.
La plasticité des récepteurs leur permet de s’adapter constamment au milieur ambiant (voir Chapitre 5, Couplage excitation-contraction). Une stimulation β continue comme une perfusion de catécholamine met en marche les systèmes inhibiteurs ; sur un cœur sain, la tolérance s’installe en moins d’une heure. La désensibilisation (down-regulation) des récepteurs β est l’affaire de 24 heures à quelques jours [3]. Il est donc naturel qu’il n’y ait pas de dosage fixe pour les catécholamines, et que l’efficacité de ces substances diminue avec la durée. Lors de la stimulation sympathique chronique engendrée par l’insuffisance ventriculaire, la proportion des récepteurs β1 diminue de moitié : ils représentent moins de 40% du total des récepteurs (au lieu de 80%). La proportion des récepteurs β2 (chronotropes positifs) augmente à 40% et celle des récepteurs α1 (inotropes positifs) à 20% [2]. Dans ces conditions, les stimulants β1 sont moins efficaces que les agents α et β (adrénaline) ou les agents qui utilisent d’autres voies que les récepteurs β (milrinone, levosimendan). C’est la raison de l’efficacité de la combinaison adrénaline + milrinone en sortant de CEC chez les patients qui ont une FE basse (< 0.3). Le polymorphisme génétique des récepteurs fait que certains patients sont de forts répondeurs et d’autres de faibles répondeurs ; les variations individuelles dans les effets hémodynamiques sont très importantes. L’activité des agents qui ont un effet indirect, comme la dopamine ou l’éphédrine, dépend des réserves en noradrénaline des termninaisons nerveuses sympathiques ; elle est donc faible chez les patients dont le système neuro-humoral est épuisé (longs séjours en soins intensifs, situations de stress prolongé, etc).
Comme pour toute substance puissante, l’administration de catécholamine doit répondre à un besoin, non à une routine. Elle est fondée sur une indication précise, basée sur la recherche d’un effet particulier. Une indication indiscriminée entraîne davantage d’effets secondaires inopportuns (tachycardie, arythmie, augmentation de la VO2, infarctus) que de bénéfices hémodynamiques : chez les malades qui n’en dépendent pas pour leur survie, la dobutamine double le risque de morbidité cardiaque (OR 2.2) [5]. Dans une étude observationnelle portant sur 6'005 patients et basée sur un appariement par score de propensité, l’utilisation d’agents inotropes en périopératoire s’est avérée être associée à une augmentation de la mortalité à 1 an (HR 2.5), du risque d’infarctus (HR 2.1) et du risque d’ictus (HR 2.4) [7]. En cardiologie, les malades en insuffisance cardiaque traités par dobutamine ont une mortalité 50% plus élevée que celle des patients contrôles (HR 1.47) [8]. Plus récemment, une vaste méta-analyse portant sur 177 études (28’280 patients) s’est révélée moins pessimiste [1]. Dans cette étude, les agents inotropes ne modifient pas la mortalité (RR 0.98), sauf le lévosimendan qui la diminue (RR 0.80); dans les situations particulières de la vasoplégie, de la sepsis et de la chirurgie cardiaque, ils tendent même à améliorer la survie (RR 0.73, 0.76 et 0.70, respectivement). Le bénéfice des catécholamines est donc limité à l’amélioration à court terme de la défaillance ventriculaire, par exemple après chirurgie cardiaque.
Les perfusions d’agents inotropes et vasopresseurs sont connectées à une voie veineuse centrale confirmée en place (ETO, aspiration de sang veineux, etc) pour deux raisons.
- Le débit périphérique est faible et la distribution aléatoire ;
- L’extravasation sous-cutanée entraîne une nécrose tissulaire.
En l’absence de voie centrale, la perfusion peut être momentanément raccordée à une voie périphérique si le débit de perfusion y est élevé et si le point de ponction peut être surveillé en permanence.
Adrénaline
L’adrénaline est la catécholamine naturelle sécrétée par la médullo-surrénale. Elle a des effets directs α1, α2, β1 et β2 dont la traduction hémodynamique varie en fonction de la dose.
- 0.01-0.03 mcg/kg/min : effet β prédominant ; augmentation de la contractilité mais baisse des RAS ;
- 0.03 – 0.15 mcg/kg/min : effets α et β, mais β > α ;
- > 0.15 mcg/kg/min : effets α et β, mais α >> β.
A tous les dosages l’adrénaline augmente la contractilité, la fréquence et le débit cardiaque, mais à hautes doses la vasoconstriction périphérique peut représenter une élévation excessive de la postcharge pour le VG. A augmentation égale du volume systolique, la tachycardie est moins importante qu’avec la dopamine ou la dobutamine. Les effets métaboliques se caractérisent par une hyperglycémie et une lactacidémie. La demi-vie est de 1-2 minutes.
Indications cliniques :
- Bas débit cardiaque, choc cardiogène ; particulièrement efficace si associée à la milrinone pour les sorties de pompe difficiles, l’insuffisance gauche décompensée et l’insuffisance droite avec HTAP. Certains centres l'utilisent à bas dosage en lieu et place de dopamine ou de dobutamine.
- Arrêt cardiaque, dissociation électro-mécanique, réanimation.
- Réaction anaphylactique.
- Bronchospasme.
- Perfusion iv 0.01-0.3 mcg/kg/min (voie veineuse centrale).
- Bolus iv 0.03-0.2 mcg/kg ; en réanimation, bolus 0.5 -1.0 mg iv, à répéter selon besoins.
Un dosage excessif pendant la phase d’hypotension ou de réanimation conduit souvent à une poussée hypertensive lorsque la circulation se rétablit ; le risque est une tempête sympathique conduisant à une dilatation et à une dysfonction aiguë du VG par augmentation disproportionnée de la postcharge.
Dopamine
La dopamine (Dopamine®, Intropin®) possède des effets α1, β1, β2 et δ dont l’importance varie de manière différente selon la dose perfusée.
- 1-3 mcg/kg/min : effet δ dominant ; vasodilatation splanchnique et rénale ;
- 3-10 mcg/kg/min : effets β1 et β2 dominants ; augmentation de la contractilité myocardique et de la fréquence ; risque d’arythmie > 5 mcg/kg/min ; maintien des RAS par faible effet α1, mais possible augmentation des RAP ;
- > 10 mcg/kg/min : effet α1 dominant ; augmentation des RAS et des RAP, baisse du débit périphérique par vasoconstriction artérielle, HTAP.
Ces effets sont partiellement directs et partiellement indirects (libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques). La réponse hémodynamique à la dopamine est donc variable selon la population des récepteurs et selon les stocks de noradrénaline (diminution chez les patients en insuffisance ventriculaire chronique). Chez les patients β-bloqués, les RAS augmentent de manière disproportionnée car les effets β sont inhibés par compétition sur les récepteurs. Sa demi-vie plasmatique est de 2 minutes.
Indications cliniques :
- Amélioration du DC et maintien des RAS ; pratique dans les cas de dysfonction ventriculaire passagère après CEC avec PAP normale ;
- Amélioration de la perfusion rénale et splanchnique (?) ;
- Perfusions iv 2-5 mcg/kg/min ; éviter de dépasser 5 mcg/kg/min ; si l’effet hémodynamique est insuffisant, passer à dobutamine/noradrénaline ou adrénaline/milrinone.
Bien qu’elle augmente la diurèse, la dopamine n’a pas d’effet protecteur rénal ; elle ne modifie pas l’incidence de dysfonction ou d’insuffisance rénale postopératoire [6]. Tant que la dose reste ≤ 5 mcg/kg/min, l’arythmogénicité de la dopamine et de la dobutamine ne sont pas significativement différentes ; à ces doses, la tachycardie est davantage liée à une hypovolémie ou à une anémie aiguë. La dopamine tend à tomber en désuétude.
Dobutamine
La dobutamine (Dobutrex®) est une catécholamine synthétique avec un effet essentiellement β1 ; les effets α1 et β2 sont très faibles ; il n’y pas d’effets α2 ni δ. Elle augmente la contractilité et la fréquence, améliore la relaxation protodiastolique, et diminue les RAS et les RAP (le métabolite de la dobutamine est un antagoniste α1). C’est un agent inotrope mais non un vasopresseur. A augmentation similaire du volume systolique, elle élève davantage la fréquence cardiaque que l’adrénaline [4]. Sa demi-vie plasmatique est de 2 minutes.
Indications cliniques :
- Bas débit cardiaque avec RAS et/ou RAP élevées ;
- Insuffisance ventriculaire ne répondant pas à 5 mcg/kg/min de dopamine ;
- Perfusion iv 1-15 mcg/kg/min.
La vasodilatation de la dobutamine oblige fréquemment à lui adjoindre une perfusion de nor-adrénaline pour maintenir la pression de perfusion des organes. La dobutamine n’est pas recommandée en cas de cardiomyopathie obstructive ou de sténose aortique. La dobutamine est plus onéreuse que la dopamine et que l’adrénaline.
Dopexamine
La dopexamine est un analogue synthétique de la dobutamine, peu utilisé en clinique. Elle a un effet δ puissant mais un effet α minime ; elle possède un effet β2 direct mais un effet β1 indirect, activé par la libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques. Elle augmente le flux plasmatique rénal et mésentérique, le DC et la fréquence, mais n’a pas d’effet vasoconstricteur. Sa demi-vie plasmatique est de 10 minutes.
Indications cliniques :
- Bas débit cardiaque sans hypotension artérielle ;
- Perfusion iv 1-4 mcg/kg/min.
Isoprénaline
L’isoprénaline (Isuprel®) est une catécholamine synthétique dépourvue d’effets α, qui est le plus puissant stimulant β1 et β2. Elle augmente la contractilité, la fréquence et la conductivité mais baisse les RAS et les RAP. Le débit cardiaque augmente par effet inotrope et chronotrope positifs et par baisse de la postcharge, mais la pression artérielle diminue. C’est un bronchodilatateur très efficace. Le risque de tachycardie extrême, d’arythmies et d’hypotension est élevé. Sa demi-vie plasmatique est de 3 minutes.
Indications cliniques :
- Bradycardie, bloc AV (dans l’attente d’un pace-maker) ;
- Bas débit cardiaque avec HTAP ou sur cœur dénervé (transplant) ;
- Bronchospasme réfractaire, status asthmatique ;
- Surdosage en β-bloqueur ;
- Torsades de pointe ;
- Bolus iv 10 mcg, à répéter selon besoin ;
- Perfusion iv 0.01-0.05 mcg/kg/min.
Catécholamines |
Les catécholamines agissent en stimulant les récepteurs α1 (vasoconstricteur), α2 (↓ libération de noradrénaline), β1 (inotrope, chronotrope et dromotrope positif), β2 (vaso- et bronchodilatateur) et δ (vasodilatateur splanchnique et rénal). Une désensibilisation progressive des récepteurs survient lors d’administration de > 24 heures. L’augmentation du DC et de la PA s’accompagne toujours d’une augmentation de la mVO2. Le choix, l’indication et le dosage des catécholamines sont le fruit d’une évaluation du bénéfice attendu par rapport au risque encouru en fonction de la situation clinique.
Adrénaline : stimulation α (prédominante si > 0.15 μg/kg/’) et β (prédominante si < 0.15 μg/kg/’) ; réanimation : bolus 0.5-1.0 mg iv
Dopamine : stimulation δ (< 3 μg/kg/’), β (5-10 μg/kg/’) et α (> 10 μg/kg/’) ; agent simple, équilibré et bon marché en cas de dysfonction ventriculaire passagère après CEC avec PAP normale ; éviter de dépasser 5 μg/kg/’
Dobutamine : stimulation essentiellement β1, baisse les RAS et les RAP ; indication : bas DC avec RAS et/ou RAP élevées
Dopexamine : stimulation δ et β, baisse les RAS et les RAP, léger effet inotrope et chronotrope
Noradrénaline : stimulation α, augmentation des RAS, léger effet inotrope
Isoprénaline : le plus puissant stimulant β1 et β2 ; inotrope et chronotrope positif, vaso- et bronchodilatateur
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© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
Références
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- BRISTOW MR. Antiadrenergic therapy of chronic heart failure. Surprises and new opportunities. Circulation 2003; 107:1100-2
- BRODDE OE, DAUL A, MICHEL-REHNER L, et al. Agonist-induced desensitization of beta-adrenoreceptor function in humans. Circulation 1990; 81:914-21
- BUTTERWORTH JF, PRIELIPP RC, ROYSTER RL, et al. Dobutamine increases heart rate more than epinephrine in patients recovering from aortocoronary bypass surgery. J Cardiothorac Vac Anesth 1992; 6:535-41
- FELLAHI JL, PARIENTI JJ, HANOUZ JL, et al. Perioperative use of dobutamine in cardiac surgery and adverse cardiac outcome. Anesthesiology 2008; 108:979-87
- JONES DR, LEE HT. Protecting the kidney during critical illness. Curr Opin Anesthesiol 2007; 20:106-12
- NIELSEN DV, HANSEN KM, JOHNSEN SP, et al. Health outcomes with and without use of inotropic therapy in cardiac surgery. Anesthesiology 2014; 120:1098-108
- TACON CL, McCAFFREY J, DELANEY A, et al. Dobutamine for patients with severe heart failure: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. Intensive Care Med 2012; 38:359-67
04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque
- 4.1 Remarques générales
- 4.2 Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie
- 4.3 Conduite de l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 4.3.1 Prémédication
- 4.3.2 Choix de la technique d'anesthésie
- 4.3.3 Induction
- 4.3.4 Ventilation
- 4.3.5 Période précédant la circulation extra-corporelle
- 4.3.6 Anticoagulation pour la CEC
- 4.3.7 L'anesthésie pendant la circulation extra-corporelle
- 4.3.8 Sevrage de la CEC
- 4.3.9 Période suivant la CEC
- 4.3.10 Insuffisance ventriculaire post-CEC
- 4.3.11 Arythmies post-CEC
- 4.3.12 Réveil et extubation
- 4.3.13 Circuit rapide (fast-track)
- 4.3.14 Besoins liquidiens
- 4.3.15 Epargne sanguine et transfusions
- 4.3.16 Contrôle métabolique
- 4.3.17 Situations particulières
- 4.4 Anesthésie loco-régionale
- 4.5 Médicaments cardiovasculaires peropératoires
- 4.6 Conclusions