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Période précédant la circulation extra-corporelle

Avant l'incision, ou avant la sternotomie, une série de mesures est effectuée; celles-ci constituent les valeurs de base pour le comparatif après CEC (Tableau 4.9).
 
  • Gazométrie artérielle, glycémie (sauf si déjà prélevé avant l'induction);
  • Hb, Ht, électrolytes, pH, lactate;
  • ACT, ROTEM™; thrombocytes et test d'agrégabilité plaquettaire si anomalie ou traitement antiplaquettaire autre que l'aspirine;
  • Hémodynamique complète (Swan-Ganz), thermodilution transpulmonaire (PiCCO);
  • Examen ETO complet.
 
Prise en charge
 
La période entre l'induction et la CEC est le moment dévolu à l'examen échocardiographique (ETO) et aux mesures hémodynamiques (débit cardiaque, travail ventriculaire, etc). Cependant, cette période réclame une attention maximale parce que la malade est sous le plein effet de sa cardiopathie. 
 
  • La valeur de PAM recherchée dépend de la pression artérielle de base du patient (hypertension, coronaropathie) et de son status (sténose carotidienne, valvulopathie). 
  • Chez le patient coronarien, la survenue d’épisodes d’ischémie peropératoire avant la CEC, souvent associés à une tachycardie, est un facteur de risque pour l’infarctus postopératoire [2]. Il est donc capital de maintenir le meilleur rapport DO2/VO2 possible, en assurant une PAM ≥ 75 mmHg et une FC < 65 batt/min avec les agents vasoactifs indiqués. 
  • En cas de valvulopathie, les conditions de charge sont ajustées à l'hémodynamique recherchée pour chaque situation (voir Figures 4.4 et 4.5). 
  • Lors de dysfonction ventriculaire, il peut être nécessaire de débuter une perfusion de catécholamine pour maintenir le débit cardiaque, dont l'adéquation est surveillée par la SvO2, la ScO2 et le taux de lactate. Comme le patient est profondément endormi et curarisé, les besoins de l'organisme sont faibles; un index cardiaque de 1.5 à 1.8 L/min/m2 peut y suffire. Il faut donc éviter de vouloir normaliser ce chiffre en dehors de son contexte, ce qui pourrait augmenter dangereusement la mVO2.
  • En présence d'hypertension pulmonaire et/ou d'insuffisance droite, on veille à abaisser les RAP (hyperventilation, NO, etc); en présence de shunt (cardiopathies congénitales), on ajuste les RAS et les RAP de manière à minimiser l'effet du shunt.
  • La pression artérielle est maintenue momentanément basse (PAM 50-60 mmHg) pendant la canulation aortique, particulièrement si l'aorte ascendante est calcifiée et fragile. 
  • Une ou plusieurs gazométrie(s) artérielle(s) permet(tent) de contrôler les échanges gazeux, la glycémie, le lactate et d'obtenir une valeur de base de l'ACT (normal: 105-150 secondes) et du ROTEM™. Si la glycémie s'élève > 10 mmol/L, une perfusion d'insuline est démarrée (voir Contrôle métabolique) [3].
  • Le sommeil est assuré par un débit continu d'halogéné à environ 1 MAC, par une perfusion de propofol, ou par des doses itératives de midazolam. Bien qu'ils quantifient une certaine probabilité de sommeil et d'analgésie, le BIS et le SPI ne sont pas des garanties contre l'éveil et la douleur peropératoires [1]. Vu la paucité des signes cliniques sous de hautes doses d'opiacés et lors des manipulations de l'hémodynamique, il est prudent de maintenir les patients sous-curarisés de manière à pouvoir juger de l'adéquation de l'anesthésie par l'apparition de mouvements respiratoires ou somatiques.
  • L'administration liquidienne est très restrictive, car la CEC apportera un volume considérable de cristalloïde; il est préférable de régler l'hypotension par des agents médicamenteux que par du remplissage, sauf en cas de perte sanguine importante. Il est judicieux d'éviter les colloïdes parce qu'ils seront plus utiles après le CEC et dans le postopératoire, dans la mesure où leur utilisation est encore admise (voir Besoins liquidiens).
  • En cas d'hémodilution aiguë (autotransfusion), le prélèvement de sang est effectué entre l'incision et l'héparinisation (voir Epargne sanguine et transfusion).
Après l'intubation, les moments de stimulation sympathique et/ou douloureuse maximale alternent avec des périodes plus calmes. Ces instants de stimulation demandent de l'attention pour éviter un réveil, une poussée hypertensive ou une tachycardie excessive.
 
  • Incision cutanée ;
  • Sternotomie et coagulation de l'os sternal; débrancher momentanément le ventilateur pendant la sternotomie pour éviter les lésions pulmonaires par la scie sternale ;
  • Ouverture de l'écarteur de sternotomie; la rétraction du sternum coude fréquemment le cathéter veineux central ou artériel pulmonaire lorsqu'il est placé par voie sous-clavière ;
  • Dissection péri-aortique ;
  • Canulation aortique et auriculaire (tachy-arythmies fréquentes).
Les trois premières sont des stimulations douloureuses; leur gestion demande une analgésie suffisante. Les deux dernières sont des stimulations sympathiques déclenchées par le plexus péri-aortique et les manipulations de l'OD; elles sont jugulées par un approfondissement de l'anesthésie et par des agents vasodilatateurs et/ou β-bloqueurs. Face à cet aspect en dents de scie, on doit régler l'administration des agents d'anesthésie de manière à empêcher toute stimulation hémodynamique excessive pendant les phases stimulantes, sans pour autant causer une dépression circulatoire en-dehors d'elles. L'amplitude de ces variations est d'autant plus grande que la fonction cardiaque est bonne, et d'autant plus amortie que le myocarde est insuffisant. Les patients en dysfonction ventriculaire (FE < 0.3) peuvent même donner une fausse impression de stabilité hémodynamique, alors qu'ils sont dans l'impossibilité de réagir par une tachycardie ou une poussée hypertensive. La sternotomie est un moment délicat car la scie sternale peut endommager non seulement les poumons mais aussi le VD ou l'OD que seul protège le péricarde, paroi mince facilement franchie par un instrument tranchant. Ce risque est particulièrement élevé lors de reprise, surtout si le péricarde antérieur n'a pas été refermé lors de la première intervention. La paroi libre du VD et l'appendice auriculaire droit sont alors accolés au sternum par la fibrose cicatricielle. L'anesthésiste doit être prêt à faire face à un choc hémorragique majeur et à un départ en pompe accéléré.
 
L'écarteur mis en place pour faciliter le prélèvement de l'artère mammaire interne (AMI) gauche soulève le sternum ipsilatéral, mais, selon le modèle utilisé, enfonce plus ou moins le bord du sternum opposé et comprime l'OD. Le résultat est l'équivalent d'une tamponnade droite: baisse de précharge et de volume systolique, hypotension artérielle, tachycardie. Pendant le travail sur l'AMI, il peut être judicieux de diminuer le volume courant pour faciliter le travail de l'opérateur (voir ci-dessus Ventilation peropératoire). En cas de ministernotomie haute, l'écarteur peut comprimer isolément l'artère pulmonaire et occasionner une défaillance ventriculaire droite aiguë avec effondrement du débit cardiaque.
 
Si l'intervention a lieu en CEC, il est préférable de laisser dériver progressivement la température du malade, qui se refroidit de manière plus homogène si l'hypothermie s'installe lentement. Si l'opération se déroule à cœur battant, il faut au contraire veiller à maintenir le patient strictement normothermique: matelas chauffant, élévation de la température de salle d'opération, réchauffement des gaz et des perfusions, etc. Si un cathéter pulmonaire est en place, on le retire de 5-10 cm (ballonnet dégonflé) pour que son extrêmité soit en AP.
 
Avant de procéder aux canulations artérielle et veineuse, ou avant de couper et clamper l'artère mammaire interne, l'héparine est administrée par voie intraveineuse ou intracardiaque (voir Anticoagulation) et, s’il est utilisé, le N2O est arrêté, car sa présence augmente la taille des bulles éventuelles. La préparation de l'aorte pour sa canulation implique une dissection à travers le plexus péri-aortique. Cette manœuvre est responsable d'une décharge sympathique intense qui provoque une poussée hypertensive au moment où la pression artérielle devrait au contraire être abaissée pour diminuer les risques de déchirure (PAM < 70 mmHg). Si le sommeil et l'analgésie sont assurés, il est nécessaire d'administrer un hypotenseur comme la phentolamine (bolus de 1 mg), et parfois de ralentir la fréquence avec un β-bloqueur comme l'esmolol (bolus 10 mg). Dès que la canule aortique est en place et soigneusement débullée (contrôle visuel par le chirurgien et l'anesthésiste), le perfusionniste peut administrer du volume par aliquot de 50-100 mL (liquide d'amorçage de la CEC) pour rétablir la pression; il en est de même en cas d'hypotension sur hypovolémie. Le placement correct de la canule dans la lumière aortique est contrôlé par la présence dans la canule d'une pression pulsatile de même valeur que celle du cathéter artériel; une pression non-pulsatile fait craindre une dissection aortique.
 
La canulation de l'OD déclenche en général une tachyarythmie susjonctionnelle par stimulation mécanique. Beaucoup de malades passent en FA à ce moment. Bien que la pression artérielle et le débit cardiaque chutent considérablement, la seule parade est l'interruption des manoeuvres chirurgicales et le démarrage rapide de la CEC. Il n’y a pas lieu d’instaurer un traitement médicamenteux. Pour restreindre l’hémodilution, il est routinier de remplacer une partie du volume d’amorçage de la CEC (800-1500 mL de cristalloïdes) par le sang du patient, en drainant celui-ci dans le circuit de CEC par la canule artérielle implantée dans l’aorte (retro-priming). Cette manière de procéder occasionne une hypovolémie momentanée qui peut nécessiter l’administration de vasopresseur. 
 
Le diagnostic différentiel et le traitement de l'hypotension et de l'hypertension artérielle peropératoire sont résumés dans le Tableau 4.10 et le Tableau 4.11, respectivement. 
 
 




 
Période avant la CEC
L’anesthésie est conduite en fonction de la cardiopathie dont souffre le patient. Chez le coronarien, surveiller et traiter tout épisode d’ischémie myocardique et maintenir le rapport PAM/FC > 1. En cas d’insuffisance ventriculaire, administrer une catécholamine selon besoin.
Moments de forte stimulation (approfondir l’anesthésie et l’analgésie) : incision, sternotomie et écartement du sternum, dissection périaortique, canulation. Baisser la PAM à 50-60 mmHg pendant la canulation aortique (risque de déchirure).
Administration liquidienne restrictive ; traiter l’hypovolémie de préférence par des vasopresseurs.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 

Références

 
  1. AVIDAN MS, JACOBSOHN E, GLICK D, et al. Prevention of intraoperative awareness in a high-risk surgical population. N Engl J Med 2011; 365:591-600
  2. JAIN U, LAFLAMME CJA, AGGARWAL A, et al. Electrocardiographic and hemodynamic changes and their association with myocardial infarction during coronary artery bypass surgery. Anesthesiology 1997; 86:576-91
  3. LAZAR HL, McDONNELL M, CHIPKIN SR, et al. The Society of Thoracic Surgeons Practice Guideline Series: blood glucose management during adult cardiac surgery. Ann Thorac Surg 2009; 87:663-9
  
04. Spécificités de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque