Step 4 of 10
Stratégies chirurgicales de l’OPCAB
Les différentes stratégies utilisées par l'opérateur pour manipuler le coeur modifient grandement la réponse hémodynamique du patient. Bien qu'il y ait presque autant de techniques que de chirurgiens, on peut grossièrement les diviser en trois catégories: 1) le basculement du coeur par des compresses et/ou par le stabilisateur, 2) l'énucléation du coeur par des points péricardiques postérieurs, et 3) l’aspiration apicale par une ventouse.
Bascule et compression
Lorsqu'on bascule le coeur au moyen de compresses ou à l'aide du stabilisateur, le VD, qui est mince, est écrasé entre le péricarde et le VG, plus épais, et comprimé sous le sternum (Figure 10.8).
Figure 10.8 : La situation du coeur lorsqu'il est basculé au moyen de compresses postérieures et du stabilisateur lui-même. Le VD est comprimé entre le VG et le sternum droit; la chambre de chasse droite est comprimée. (d'après Medtronics™).
L'hémodynamique est compromise, et l'ETO révèle que le septum interauriculaire bombe dans l'OG, que le VG n'est pas dilaté, et que le VD subit une obstruction au niveau de sa chambre de chasse [11]. Sur un modèle animal, on a démontré une chute du volume systolique de 42%, une augmentation de 165% de la pression télédiastolique du VD, mais une diminution de 62% de sa taille [7]. L'hémodynamique peut être améliorée en ouvrant la plèvre droite. Toutefois, on ne peut pas transposer directement à l’homme les conclusions d’une expérience faite chez les mammifères dont le thorax est à l’horizontale, parce que la position du cœur de ces animaux est longitudinale dans le thorax, alors que le nôtre présente un angle d’environ 45° par rapport aux plans frontaux et longitudinaux. La même manipulation n’a donc pas des effets identiques.
Points péricardiques postérieurs
L'énucléation du coeur peut se faire par traction sur un ou plusieurs points fixés au péricarde postérieur (Figure 10.9 et Figure 10.10) [1,13].
Figure 10.9 : Vue du péricarde postérieur et mise en place du point de traction dans le sinus oblique à la droite de la colonne, à mi-chemin entre la veine pulmonaire inférieure droite et la veine cave inférieure (technique de Ricardo Lima). Idéalement, le point devrait être suffisamment à droite pour dégager la vue de l'ETO depuis l'œsophage [Bergsland J, et al. "Single suture" for circumflex exposure in off-pump coronary artery bypass grafting. Ann Thorac Surg 1999; 68:1428-30].
Figure 10.10 : Exposition du coeur par traction sur le point péricardique postérieur. Une compresse roulée est placée dans le fil de suspension, et un tube plastic (passe-fil, en vert) maintient le point contre le péricarde. Les deux brins de la compresse sont tirés selon les besoins de l'exposition requise (flèches noires). Le coeur n'est a aucun instant comprimé (No-touch technique).
Cette approche est simple, efficace, et atraumatique pour le coeur. Sur le point fixé au péricarde postérieur, une compresse déroulée est amarrée avec un passe-fil ; elle agit comme un levier placé dans le sinus oblique. Le coeur est exposé en tirant sur la compresse dans la direction voulue sans jamais l'écraser, ce qui réduit les effets circulatoires [2,5,13]. Le débit cardiaque s’effondre momentanément lorsque le coeur est récliné par la main de l’opérateur pour exposer le péricarde postérieur et fixer le point d’ancrage entre la veine pulmonaire inférieure droite et la veine cave inférieure, mais cela dure moins de 20 secondes (Figure 10.11).
Figure 10.11 : Manoeuvre de bascule du coeur pour fixer le point de suspension péricardique postérieur. Cette manoeuvre, qui dure moins de 20 secondes, entraîne des troubles du rythme majeurs et un effondrement hémodynamique momentané (flèche rouge). Le délai de récupération de la pression artérielle lorsque le coeur est repositionné (flèche bleue) prédit la tolérance aux manipulations lors des anastomoses.
La vitesse de récupération de la pression artérielle après cette manœuvre est un bon prédicteur de la stabilité hémodynamique ultérieure lors des anastomoses. Le stabilisateur n'est utilisé ensuite que pour immobiliser la zone de l'anastomose, mais non pour maintenir le coeur dans la position désirée [9]. Même si la pression télédiastolique du VD peut être élevée, l'effet prédominant de cette technique porte sur le VG: baisse de 12-23% de son volume systolique et augmentation de 10-50% de la pression de l'OG [8,15].
Ventouse apicale
L’aspiration de l'apex au moyen d'une ventouse permet de suspendre le cœur à la verticale et de l’orienter pour exposer ses différentes faces (Figure 10.12). Quoiqu’apparemment bien tolérée, cette technique provoque des modifications hémodynamiques comparables à celles des autres méthodes [6]. Il est certain que la traction apicale bloque la contraction longitudinale du VG, qui contribue pour 15-20% à l’éjection du volume systolique.
Effets hémodynamiques
L'importance des effets hémodynamiques est liée au site de l'anastomose. La chute du débit systolique et de la SvO2 est plus prononcée pendant l'exposition de la paroi latérale, parce que cette dernière présente la plus forte contribution au volume éjecté et parce que le basculement est plus accentué que pendant les anastomoses sur la paroi antérieure [8,9,15]. Un indice de contractilité comme le Preload recruitable stroke work ne diminue que pendant les anastomoses sur les parois antérieure et latérale [14]. Le flux mitral montre un aspect de type restrictif (voir Figure 10.16) [3].
Figure 10.12 : Système de ventouse pour maintenir le coeur vertical par succion de l'apex.
D’une manière générale, le VD est davantage handicapé que le VG parce que les deux ventricules sont en ligne : le VD est doublement pénalisé car il souffre de sa propre distorsion et de l’augmentation de sa postcharge due à la compression du VG, alors que la postcharge de ce dernier, située à l’extérieur de la cage thoracique, n’est pas modifiée. D’autre part, le VD est plus aisément compressible que le VG.
Habituellement, la vitesse à laquelle on procède aux modifications de position a plus d'impact que la position finale. Le chirurgien et l'anesthésiste doivent donc collaborer étroitement pour déplacer le coeur lentement et corriger l'hémodynamique en continu [4,11]. En cas d’effondrement de la pression artérielle, la première manœuvre est le repositionnement du cœur ; de petites modifications dans les angles de bascule permettent de recommencer la manœuvre plus lentement et avec plus de succès. Pour améliorer l'accès aux parois latérale et postérieure, la table d'opération est basculée vers la droite ou en position de Trendelenburg, respectivement. L'élévation des jambes est la manoeuvre la plus efficace pour augmenter la précharge. Chez un malade curarisé, cette manoeuvre augmente la pression transmurale de l'OD, alors que la position de Trendelenburg élève simultanément la pression de l'OD et la pression intrathoracique à cause du poids des viscères abdominaux sur le diaphragme, si bien que la pression transmurale ne se modifie pas [10,12]. De plus, la position tête en bas augmente la pression veineuse cérébrale ; si la pression artérielle moyenne (PAM) est très basse, il se peut que la pression de perfusion cérébrale, qui est la différence entre la PAM et la pression veineuse, devienne insuffisante.
Techniques chirurgicales de manipulation du coeur |
Les techniques sont très nombreuses, mais peuvent être groupées en 3 catégories.
- Bascule par des compresses péricardiques et par l’appui du stabilisateur ; gène
hémodynamique portant essentiellement sur le VD comprimé contre le sternum et la
plèvre droite.
- Bascule du cœur par traction au moyen d’un amarrage sur le péricarde postérieur qui évite
la compression directe et diminue les effets hémodynamiques.
- Suspension par une ventouse apicale.
L’instabilité hémodynamique est proportionnelle à la vitesse du changement de position du cœur. Procéder très lentement, et repositionner le cœur si la pression artérielle devient insuffisante.
|
© CHASSOT PG, BETTEX D, Mars 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
Références
- BENETTI FJ, NASELLI G, WOOD M, GEFFNER L. Direct myocardial revascularization without extracorporeal circulation. Experience in 700 patients. Chest 1991; 100: 312-6
- BERGSLAND J, KARAMANOUKIAN HL, SOLTOSKI PR, SALERNO TA. "Single suture" for circumflex exposure in off-pump coronary artery bypass grafting. Ann Thorac Surg 1999; 68: 1428-30
- BISWAS S, CLEMENTS F, DIODATO L, et al. Changes in systolic and diastolic function during multivessel off-pump coronary bypass grafting. Eur J Cardiothorac Surg 2001; 20:913-7
- CHASSOT PG, VAN DER LINDEN P, ZAUGG M, MUELLER XM, SPAHN DR. Off-pump coronary artery bypass surgery: Physiology and anaesthetic management. Brit J Anaesth 2004; 92:400-13
- D'ANCONA G, KARAMANOUKIAN H, LIMA R, et al. Hemodynamic effects of elevation and stabilization of the heart during off-pump coronary surgery. J Cardiac Surg 2000; 15: 385-91
- GEORGE SJ, DHADWAL K, KAPETANAKIS EI, et al. A three dimensional echocardiograpgic comparison of a deep pericardial stitch versus an apical suction device for heart positioning during beating heart surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2007; 32:604-10
- GRUNDEMAN PF, BORST C, VERLAAN CW, et al. Exposure of circumflex branches in the tilted, beating porcine heart: echocardiographic evidence of right ventricular deformation and the effect of right or left heart bypass. J Thorac Cardiovasc Surg 1999; 118: 316-23
- MATHISON M, EDGERTON JR, HORSWELL JL, AKIN JJ, MACK MJ. Analysis of hemodynamic changes during beating heart surgical procedures. Ann Thorac Surg 2000; 70: 1355-60
- MUELLER XM, CHASSOT PG, ZHOU J, et al. Hemodynamics optimization during off-pump coronary artery bypass: the 'no compression' technique. Eur J Cardiothorac Surg 2002; 22: 249-54
- NAKAJIMA Y, MIZOBE T, MATSUKAWA T, et al. Thermoregulatory response to intraoperative head-down tilt. Anesth Analg 2002; 94: 221-6
- NIERICH AP, DIEPHUIS J, JANSEN EW, BORST C, KNAPE JT. Heart displacement during off-pump CABG: how well is it tolerated? Ann Thorac Surg 2000; 70: 466-72
- REUTER DA, FELBINGER TW, SCHMIDT C, et al. Trendelenburg positioning after cardiac surgery: effects on intrathoracic blood volume index and cardiac performance. Eur J Anaesthesiol 2003 ; 20 : 17-20
- RICCI M, KARAMANOUKIAN HL, D'ANCONA G, BERGSLAND J, SALERNO TA. Exposure and mechanical stabilization in off-pump coronary artery bypass grafting via sternotomy. Ann Thorac Surg 2000; 70:1736-40
- TORRACCA L, SCHREUDER JJ, QUARTI A, ISMENO G, FRANZE V, ALFIERI O. Acute effects of beating heart coronary surgery on left ventricular performance. Ann Thorac Surg 2002; 74:S1348-52
- WATTERS MP, ASCIONE R, RYDER IG, et al. Haemodynamic changes during beating heart coronary surgery with the 'Bristol Technique'. Eur J Cardiothorac Surg 2001; 19: 34-40
10. Anesthésie pour la chirurgie cardiaque à coeur battant
- 10.1 Pontages aorto-coronariens (OPCAB)
- 10.1.1 Introduction
- 10.1.2 Résultats chirurgicaux de l’OPCAB
- 10.1.3 Perturbations hémodynamiques associées aux manipulations chirurgicales
- 10.1.4 Stratégies chirurgicales de l’OPCAB
- 10.1.5 Ischémie myocardique peropératoire
- 10.1.6 Anticoagulation
- 10.1.7 Techniques de surveillance
- 10.1.8 Prise en charge hémodynamique
- 10.1.9 Technique d’anesthésie pour l’OPCAB
- 10.1.10 OPCAB : résumé
- 10.2 Le MIDCAB
- 10.3 Laser transmyocardique
- 10.4 Implantation valvulaire aortique (TAVI)
- 10.5 Plastie mitrale percutanée
- 10.6 Autres interventions sans CEC