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Technique d’anesthésie pour l’OPCAB

Se passer de CEC ne raccourcit pas la durée de l'opération, qui dépend essentiellement du nombre d'anastomoses à réaliser et de l'habileté de l'opérateur. L'accélération porte essentiellement sur la période postopératoire: accélération de la récupération, diminution du temps d'intubation, raccourcissement du séjour en soins intensifs et du séjour hospitalier [6]. Ceci a poussé les anesthésistes à utiliser des techniques d’anesthésie permettant un réveil rapide (fast-track), ce qui s'est révélé sûr et économiquement rentable ; le malade est extubé immédiatement ou 1-2 heures après la fin de l'intervention dans une unité de surveillance intensive de type salle de réveil [11,27]. Pour ce faire, il ne doit pas saigner, et doit être hémodynamiquement stable, eurythmique et normotherme. L'hypothermie, qui constitue un risque indépendant de complications cardiaques [12], doit être évitée par tous les moyens possibles en cours d'intervention: chauffage de la salle d'opération, chauffage des perfusions et des gaz, couverture et matelas chauffants, etc. Comme le tronc et les membres inférieurs sont préparés chirurgicalement, les couvertures chauffantes ne sont que modestement utiles; il est plus efficace de chauffer la salle d'opération à 22-24°C [9,24]. Maintenir la normothermie est un défi d'autant plus grand que l'absence de CEC empêche de réchauffer le malade avant de sortir de pompe. Vu les fréquents changements de position de la table d'opération, il est prudent de disposer d'appuis latéraux pour empêcher les translations accidentelles du patient.
 
La technique d’anesthésie est conventionnelle, mais en veillant à réduire les doses d’opiacés et de benzodiazépines. Les substances les plus fréquemment utilisées sont le fentanyl, le propofol, l’isoflurane ou le sevoflurane (Tableau 10.1). 
 
 
 
 
Une technique ultra-courte avec extubation sur table n'accroît pas le confort du patient, bien au contraire, et n'est pas économiquement rentable, car elle immobilise du temps de salle d'opération [9,21]. Parmi les agents intraveineux, le propofol a des propriétés veinodilatatrices qui diminuent la précharge et nécessitent d'importants réajustements de volume ; il n'a que peu d'effet cardioprotecteur [8]. Comparé au fentanyl et au sufentanil, le remifentanil diminue considérablement la précharge et induit des bradycardies sévères [10] ; de ce fait, il est moins stable dans les conditions de l'OPCAB. L'induction la plus stable est obtenue avec de l'étomidate et du fentanyl. Bien que la technique d'anesthésie n'ait pas d'influence sur la mortalité et la morbidité, il semble toutefois que les halogénés soient bénéfiques à cause de leur capacité protectrice contre l'ischémie due au préconditionement pharmacologique [1,7,15]. Dans l'état actuel de nos connaissances, leur utilisation est fortement recommandée dans la chirurgie à coeur battant [4]. A noter cependant que le desflurane augmente les résistances vasculaires pulmonaires lors des modifications du dosage ; il n’est donc pas indiqué dans ce contexte. Le Tableau 10.2 est un exemple de protocole d'anesthésie utilisé par l’auteur. Quels que soient les substances utilisées, leur administration doit être réglée de manière à pouvoir extuber le patient dans l’heure qui suit la fin de l’intervention.
 
 
 
Dans 10% des études publiées, on a choisi une anesthésie générale combinée avec une rachianesthésie (sufentanil-morphine ou bupivacaine) [2,20] ou une péridurale thoracique haute (bupivacaine, sufentanil) [9,14,17,19,22,25]. La péridurale thoracique haute (> D5) a certains avantages démontrés : vasodilatation des vaisseaux épicardiques, diminution de la demande myocardique en oxygène, diminution du taux d'arythmies, diminution de la stimulation sympathique cardiaque [3,18,23,26]. Elle fournit une excellente analgésie postopératoire, mais son utilisation en peropératoire peut compliquer la gestion de l'hémodynamique à cause de la baisse de précharge et de postcharge qu’elle occasionne. Malgré les avantages de la sympathicolyse cardiaque, les études randomisées qui ont comparé l'anesthésie générale et l'anesthésie combinée n'ont pas trouvé de retombées sur la morbidité, la mortalité, ni les complications postopératoires, à l'exception d'une excellente antalgie et d'une extubation plus précoce [2,17,22,26]. Certains centres tentent de pratiquer des interventions à coeur battant sous péridurale seule, sans anesthésie, ni intubation, ni ventilation mécanique [16,17,28]. Quoique apparemment bien tolérée par les patients, cette technique n'offre pas d'avantages en terme de morbidité et de mortalité. Elle relève plus de la mode ou de l'exploit que de l'efficacité clinique. Comme la chirurgie à coeur battant réclame une héparinisation inférieure à celle des interventions en CEC, le risque d'hématome épidural est réduit par rapport à celui de la chirurgie cardiaque conventionnelle ; il devrait être identique à celui de la chirurgie vasculaire. Toutefois, la tendance actuelle est de maintenir la protection des antiplaquettaires jusqu'à l'opération chez les malades porteurs de plaques instables ou de stents, ce qui contre-indique toute anesthésie loco-régionale. Comme les données de la littérature actuelle démontrent clairement que la protection par aspirine et clopidogrel est largement supérieure aux bénéfices attendus de la sympathicolyse thoracique [5], il est préférable de procéder à une anesthésie générale simple, l'antalgie étant assurée par des opiacés et des AINS. 
 
Quelle que soit la technique choisie, le rôle premier de l'anesthésiste est de prévenir les altérations hémodynamiques dues aux manipulations chirurgicales, et de traiter les évènements ischémiques peropératoires [24]. Pour avoir la disponibilité nécessaire à cet effet, l'anesthésiste doit régler le problème de l'anesthésie proprement dite afin que celle-ci fonctionne en auto-pilote et ne demande pas des réajustements répétés. La technique de choix est le maintien constant d’une fraction inspirée d’halogéné correspondant à 1.0-1.5 MAC, accompagné de l’administration de fentanyl ou de sufentanil et de pachycurare selon les besoins.
 
D’autre part, l’hémodynamique est un système multifactoriel complexe qui présente une certaine inertie. Il est donc important d’anticiper les modifications et d’opérer de petites corrections dès l’apparition de faibles changements dans la variable observée. La réaction à une hypotension, par exemple, doit être gérée en fonction de la rapidité avec laquelle chute la pression artérielle, et non par la valeur absolue de cette pression ; l’administration trop tardive de vasoconstricteur oblige à en donner davantage, entre autre parce que le temps circulatoire s’est ralenti, ce qui va induire un basculement vers une poussée hypertensive lorsque la substance arrive en masse sur ses récepteurs. Une sous-correction précoce évite l’installation d’un roulis rythmique qui entretient de larges oscillations entre l’hypo- et l’hypertension. La même attitude est recommandée face aux modifications de la PAP, de la fréquence cardiaque ou du segment ST. Il s’agit donc d’être très vigilant sur les moindres modifications des variables-clés. L’analyse du New York State Cardiac Surgery Reporting System prouve que les patients pris en charge par les anesthésistes les plus peformants ont 2-3 fois moins de morbi-mortalité que ceux qui le sont par les moins adéquats [13].
 
La différence entre l'OPCAB et les PAC en CEC sur le devenir des patients apparaît plus marquée dans les cas à haut risque; il est donc de la plus haute importance de maîtriser les processus impliqués, parce qu'une prise en charge adéquate des patients très compromis peut faire une différence sur leur taux de mortalité et de morbidité. 
 
 
 
Technique d’anesthésie 
L’élément prioritaire est le maintien de l’hémodynamique et de l’équilibre DO2/VO2. L’anesthésie peut être conduite de différentes manières.
 
Halogéné (de préférence sevoflurane) : avantage d’une protection myocardique contre l’ischémie par le préconditionnement. Propofol : pas de protection myocardique, baisse de la précharge en contradiction avec les besoins. Fentanyl/sufentanil : les plus maniables ; remifentanil : bradycardie excessive.
 
Anesthésie combinée (AG + péridurale > D4) : sympathicolyse cardiaque et excellente antalgie, mais hémodynamique peropératoire plus difficile à contrôler ; risque d’hématome spinal.
 
Maintenir rigoureusement la normothermie. Viser une extubation rapide.


© CHASSOT PG, BETTEX D,  Mars 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 

Références
 
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