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Prise en charge hémodynamique

L’élément central dans la prise en charge d’une revascularisation à coeur battant est le maintien d’un rapport optimal entre l'apport et la consommation d'oxygène du myocarde. On le fait habituellement en abaissant la mVO2 autant que possible et en maintenant la pression artérielle moyenne (PAM) au-dessus de 70-75 mmHg [3,6,11]. On tolère une baisse du débit cardiaque pour autant que la SvO2 reste supérieure à 55% et qu'une acidose métabolique ne se développe pas. Toutefois, il n'est pas rare que la SvO2 descende momentanément à 50%; cette valeur est la limite inférieure en dessous de laquelle il faut améliorer le débit cardiaque par des catécholamines à effet béta et/ou par une accélération de la fréquence cardiaque (pace-maker auriculaire). Par analogie avec les résultats obtenus en CEC, on peut aussi approfondir la curarisation pour diminuer la consommation d'oxygène de l'organisme et freiner l'acidose métabolique [9]. Le rapport de Buffington est un guide utile. Il stipule que les malades souffrant de sténoses coronariennes sont à risque d'ischémie myocardique lorsque leur PAM est inférieure à leur fréquence cardiaque (PAM / FC < 1) [1]. 
 
Hypotension artérielle
 
Le patient devient fréquemment hypotendu lorsque le coeur est basculé dans une nouvelle position. 
 
  • La première mesure est le repositionnement du cœur, suivi d’un deuxième essai plus lent en variant quelque peu l’angle d’énucléation. 
  • La précharge est augmentée par élévation des jambes et par administration de cristalloïdes ou de colloïdes. La quantité totale de liquides perfusés est très similaire à celle utilisée dans les interventions en CEC [12].  
  • Des vasopresseurs de type alpha comme la phényléphrine ou la nor-adrénaline sont indiqués lorsque la pression demeure basse malgré l'apport liquidien, pour éviter une surchage en volume et une augmentation de l'eau totale pulmonaire. Il est rare que l’on puisse se passer d’une perfusion de nor-adrénaline. L'ETO est utile pour évaluer une éventuelle dilatation du VG. 
  • La tachycardie est freinée par un β-bloqueur, le plus fréquemment de l'esmolol, après avoir exclu qu'elle ne soit pas due à une hypovolémie ou à un réveil. Un agoniste α2 comme la dexmédétomidine peut être utile dans les cas réfractaires [15]. 
  • En cas de bradycardie excessive (fréquence < 50 batt/min), des fils de pace-maker branchés sur l'OD ou le VD permettent de régler la fréquence à 55-60 battements par minute [13,17]. Il faut s’assurer qu’une électrode ventriculaire soit en place avant de procéder à une intervention sur le tronc de la CD, car le risque de bloc AV complet est important lorsqu’on occlut cette artère ; ce risque est plus grand lorsque la sténose est modérée (70-80%), car la collatéralisation est pauvre. 
  • Il est préférable de renoncer à toute stimulation béta tant que le myocarde n'est pas revascularisé pour éviter une ischémie par demande excessive en oxygène [3,16]. Le bien-fondé de ce concept logique n'a toutefois pas encore été démontré cliniquement par des études contrôlées. 
 
Ischémie aiguë
 
Lorsque survient une ischémie aiguë (surélévation du segment ST, akinésie segmentaire), la prise en charge doit être immédiate.
 
  • Relâchement de la suture qui clampe la coronaire, si le stade de l’intervention le permet ;
  • Mise en place ou repositionnement du shunt intracoronarien ;
  • Administration de vasopresseur pour assurer une PAM > 80 mmHg ;
  • Perfusion de nitroglycérine ;
  • En cas de tachycardie, administration d’esmolol (après contrôle de la profondeur de l’anesthésie).
 
Conversion en CEC
 
A quel moment la chirurgie à coeur battant n'est-elle plus possible ? Les indications à passer en CEC sont mal définies et très intuitives. Les limites sont en général placées aux valeurs suivantes, pour autant qu'elles persistent inchangées pendant plus de 10 minutes malgré un traitement agressif  [17] : 
 
  • Index cardiaque < 1.5 L min-1 m-2 ;
  • SvO2 < 50% ;
  • PAM < 50 mm Hg ;
  • Arythmies ventriculaires malignes ; 
  • Modifications ST > 2 mm ;
  • Dilatation ou dysfonction persistantes du VG ;
  • Altérations majeures et étendues de la cinétique segmentaire ;
  • Collapsus circulatoire. 
Le taux de conversion en CEC oscille entre 1% et 4.9% [2,8,17]. Les patients qui ont nécessité une CEC ont une mortalité deux à six fois supérieure à celle du coeur battant (5-12%), probablement à cause d’une tendance à une conversion trop tardive après un trop long épisode de choc cardiogène [14]. Une excellente communication entre l'anesthésiste et le chirurgien est absolument essentielle, car le repositionnement du coeur est la première mesure à prendre en cas de choc [6]. La présence d'un perfusioniste et d'une machine de CEC en attente dans la salle d'opération est de routine. Les principaux facteurs associés à une instabilité hémodynamique requérant une CEC sont la cardiomégalie, la compression latérale pendant une anastomose sur la CX ou une marginale, et l'ischémie aiguë pendant l'occlusion de la CD [17]. 
 
Technique hybride
 
En cas de dysfonction gauche sévère (FE ≤ 0.3), la chirurgie peut se faire à coeur battant sous assistance d'une contre-pulsion intra-aortique (CPIA) pour éviter la conversion d'urgence en CEC [5,10]. On peut aussi procéder à une canulation standard et utiliser la CEC comme une simple assistance momentanée. Il n’y a pas de cardioplégie et le coeur continue à battre en décharge. Cette attitude permet de confectionner le même nombre d'anastomoses qu'avec une CEC conventionnelle, mais avec une réduction du nombre d'infarctus (OR 0.32), d'assistance par CPIA (OR 0.51) et de pertes sanguines (-180 mL) [4]. De la même manière, une pompe centrifuge ou les mini-pompes axiales peuvent fournir un support hémodynamique au VD ou au VG pendant les anastomoses [7]. L’assistance isolée du VD ne nécessite ni oxygénateur ni canulation de l’aorte. Toutefois, ces techniques hybrides contraignent à une anticoagulation plus profonde, ce qui abolit un des intérêts majeurs du coeur battant. 
 
 
 
Prise en carge hémodynamique 
En cas d’hypotension :
    - Repositionnement du cœur 
- 500 mL cristalloïde 
    - Phényléphrine (bolus) ou noradrénaline (perfusion) 
    - Si bradycardie : pace-maker 
    - Si tachycardie (non due à l’hypovolémie) : esmolol
 
En cas d’ischémie :
    - Maintenir le rapport PAM/FC > 1 ;
    - Augmenter la PAM > 80 mmHg (vasopresseurs) ;
    - Baisser la fréquence < 65 batt/min (esmolol) ;
    - Perfusion de nitroglycérine ;
    - Déclampage coronarien (si le stade de l’opération le permet) ;
    - Mise en place d’un shunt intracoronarien.
 
Indication à la conversion en CEC : persistance des valeurs suivantes pendant > 10 minutes malgré un traitement agressif.
    - PAM < 50 mmHg ;
- IC < 1.5 L/min/m2 ;
    - SvO2 < 50% ;
    - Arythmies malignes, bloc AV complet ;
    - Dilatation du VG, akinésie étendue persistante.


© CHASSOT PG, BETTEX D,  Mars 2008, dernière mise à jour, Octobre 2018
 
 
Références
 
  1. BUFFINGTON CW. Hemodynamic determinants of ischemic myocardial dysfunction in the presence of coronary stenosis in dogs. Anesthesiology 1985; 63: 651-62 
  2. CARTIER R, BLAIN R. Off-pump revascularization of the circumflex artery: technical aspect and short-term results. Ann Thorac Surg 1999; 68: 94-9 
  3. CHASSOT PG, VAN DER LINDEN P, ZAUGG M, MUELLER XM, SPAHN DR. Off-pump coronary artery bypass surgery: Physiology and anaesthetic management. Brit J Anaesth 2004; 92:400-13
  4. CHAUDHRY UAR, HARLING L, SEPEHRIPOUR AH, et al. Beating-heart versus conventional on-pump coronary artery bypass grafting: a meta-analysis of clinical outcomes. Ann Thorac Surg 2015; 100:2251-61
  5. CRAVER JM, MURRAH CP. Elective intraaortic balloon counterpulsation for high-risk off-pump coronary artery bypass operations. Ann Thorac Surg 2001; 71: 1220-3 
  6. DO QB, GOYER C, CHAVANON O, et al. Hemodynamic changes during off-pump CABG surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2002; 21: 385-90 
  7. GUYTON RA, THOURANI VH, PUSKAS JD, et al. Perfusion-assisted direct coronary artery bypass: selective graft perfusion in off-pump cases. Ann Thorac Surg 2000; 69: 171-5 
  8. HART JC, SPOONER TH, PYM J, et al. A review of 1,582 consecutive Octopus off-pump coronary bypass patients. Ann Thorac Surg 2000; 70: 1017-20 
  9. IRISH CL, MURKIN JM, CLELAND A, et al. Neuromuscular blockade significantly decreases systemic oxygen consumption during hypothermic cardiopulmonary bypass. J Cardiothorac Vasc Anesth 1991; 5:132-7
  10. KIM KB, LIM C, AHN H, YANG JK. Intraaortic balloon pump therapy facilitates posterior vessel off-pump coronary artery bypass grafting in high-risk patients. Ann Thorac Surg 2001; 71: 1964-8 
  11. MISHRA M, MALHOTRA R, MISHRA A, MEHARWAL ZS, TREHAN N . Hemodynamic changes during displacement of the beating heart using epicardial stabilization for off-pump coronary artery bypass graft surgery. J Cardiothor Vasc Anesth 2002; 16 : 685-90 )
  12. MUELLER XM, CHASSOT PG, ZHOU J, et al. Hemodynamics optimization during off-pump coronary artery bypass: the 'no compression' technique. Eur J Cardiothorac Surg 2002; 22: 249-54 
  13. ONO N, ONO T, ASAKURA T, OHASHI T, SIN T. Usefuleness of unipolar epicardial ventricular electrogram for triggering of intraaortic balloon counterpulsation during off-pump coronary artery bypass surgery in patients with hemodynamic instability complicating acute coronary syndrome, Anesth Analg 2005; 100:937-41
  14. REEVES BC, ASCIONE R, CAPUTO M, ANGELINI GD. Morbidity and mortality following acute conversion from off-pump to on-pump coronary surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2006; 29:941-7
  15. RUESCH S, LEVY JH. Treatment of persistent tachycardia with dexmedetomidine during off-pump cardiac surgery. Anesth Analg 2002; 95: 316-8 
  16. SHANEWISE JS, RAMSAY JG. Off-pump coronary artery surgery: how do the anesthetic considerations differ ? Anesthiol Clin N Am 2003; 21:613-23
  17. VASSILIADES TA, JR., NIELSEN JL, LONQUIST JL. Hemodynamic collapse during off-pump coronary artery bypass grafting. Ann Thorac Surg 2002; 73: 1874-9