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Introduction
Prévalence
La prévalence des maladies valvulaires dans la population générale voisine 2.5% en Europe [9]. Elle passe à 13% chez les personnes âgées de > 75 ans [6]. Or les valvulopathies sont un facteur majeur de mortalité périopératoire. En chirurgie cardiaque, la mortalité moyenne d’un remplacement valvulaire (1-2% en cas de sténose aortique et 2-4% en cas d’insuffisance mitrale) est deux à trois fois supérieure à celle de pontages aorto-coronariens (0.5-2%) [10]. Elle augmente avec l'âge: le remplacement valvulaire pour sténose aortique, par exemple, voit sa mortalité s'élever de 1.5% par tranche de 10 ans au-delà de 60 ans [6]. En chirurgie non-cardiaque, la présence d’une sténose aortique modérée multiplie le risque opératoire par trois ; celle d’une sténose sévère le multiplie par cinq, quelle que soit la catégorie de risque du patient ou le nombre de facteurs de risque associés [4,5].
Les valvulopathies chroniques sont d'évolution lente: 10 à 30 ans s'écoulent en général jusqu'au tableau clinique complet et à la décompensation cardiaque, période pendant laquelle il n'y a pas de parallélisme entre la sévérité des symptômes et le degré d'atteinte fonctionnelle cardiaque. Les valvulopathies aiguës sont peu fréquentes (10 % des cas). Ce sont en général des insuffisances brutales compromettant l'hémodynamique de manière soudaine et grave : rupture ischémique de pilier mitral, rupture de cordages (maladie de Barlow), ou destruction infectieuse de valvules aortiques ou mitrales. La survenue d’arythmie telle une fibrillation auriculaire (FA) paroxystique peut provoquer une décompensation clinique par défaut de remplissage télédiastolique et accélération exagérée du rythme de base. Bien que leur évolution puisse rester stationnaire, les valvulopathies ne guérissent jamais spontanément; seule la chirurgie offre une possibilité de guérison. Et encore ! En fait, on échange la maladie valvulaire contre une autre situation pathologique: avec une plastie, la valve est réparée mais anormale; avec une prothèse, elle dépend de l'anticoagulation et de la durée de vie limitée du matériel implanté.
Au repos, le flux sanguin est physiologiquement laminaire dans les cavités cardiaques, donc silencieux. Toute présence de tourbillon indique une accélération pathologique : sténose valvulaire, régurgitation d'une cavité à haute pression dans une cavité à basse pression, turbulence localisée au voisinage d’une sclérose, ou simple éréthisme cardiaque. Les vortex de ces tourbillons induisent des souffles audibles au sthétoscope et des perturbations visibles à l’échocardiographie Doppler. Les valves cardiaques normales peuvent accommoder des débits 5 à 7 fois supérieurs au débit de base ; une sténose doit donc être sévère pour devenir symptomatique au repos.
Risque opératoire
Par analogie avec celle de l'insuffisance cardiaque, la gravité clinique des valvulopathies est divisée en quatre stades [8].
- A: situations à risque; patients asymptomatiques avec de simples facteurs de risque.
- B: valvulopathie progressive; patients asymptomatiques avec une pathologie valvulaire mineure ou modérée.
- C: valvulopathie sévère mais asymptomatique; critères de sévérité (stade IV) présents à l'échocardiographie, à l'angio-CT ou au cathétérisme.
- C1: fonction du VG et du VD encore compensée.
- C2: décompensation ventriculaire gauche et/ou droite.
- D: valvulopathie sévère et symptomatique.
La présence ou non de symptômes est souvent difficile à trancher à cause de la lenteur d'installation de la maladie et de l'interférence de nombreuses comorbidités. D'autre part, certains patients sont peu actifs et ne se plaignent pas de limitation dans leur activité car celle-ci est très faible; ceci concerne particulièrement les personnes âgées et frêles.
L'évaluation du risque d'une intervention sur les valves cardiaques combine différents facteurs comme le status physiologique du patient, ses comorbidités et les spécificités de chaque intervention. Elle mesure le risque de mortalité et de morbidité majeure entraînant des séquelles graves (en pourcent) [8].
- Risque faible (< 4%): status satisfaisant, aucune comorbidité, opération simple.
- Risque intermédiaire (4-8%): status clinique modéré, présence d'une comorbidité majeure (dysfonction ventriculaire, hypertension pulmonaire, BPCO, insuffisance rénale, cancer, etc), opération à risque intermédiaire.
- Risque majeur (8-20%): status clinique fragile, présence de 2 comorbidités organiques, opération à risque majeur.
- Risque prohibitif (≥ 25% à 30 jours, > 50% à 1 an): status clinique très déficient, faible espérance de vie, nombreuses comorbidités majeures, opération à haut risque.
Ces dix dernières années, la chirurgie valvulaire a évolué en suivant trois tendances distinctes.
- Le vieillissement de la population a repoussé l’âge limite pour la réparation ou le remplacement valvulaire, particulièrement en position aortique.
- L’amélioration des résultats chirurgicaux des plasties a conduit à poser l’indication opératoire plus tôt dans l’évolution de la maladie, donc à opérer des patients en meilleur état clinique.
- Les techniques endovasculaires de remplacement ou de plastie sont passées au stade de l’application clinique et deviennent des options efficaces dans les cas à risque intermédiaire et élevé; elles offrent la possibilité d'appliquer des techniques d'anesthésie moins lourdes (fast-track) ou de procéder sous sédation-analgésie (voir Chapitre 10 Anesthésie pour TAVI).
Traitement médical
Malheureusement, il n'y a guère d'alternative à la chirurgie, car le traitement médical des valvulopathies est inexistant. Ni les statines ni les biphosphonates ne se sont avérés utiles pour freiner l'évolution de la sténose aortique. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes du récepteur de l'angiotensine (ARA) ne sont indiqués que pour le traitement de l'hypertension artérielle en temps que comorbidité majeure [7]. Dans l'insuffisance aortique, la nifédipine et les IEC/ARA diminuent le volume régurgité mais ne modifient pas le cours de l'affection. Dans la sténose mitrale, les béta-bloqueurs allongent la diastole et permettent un meilleur remplissage du VG. Lorsque le VG défaille à cause d'une valvulopathie aortique ou mitrale, le traitement pharmacologique de l'insuffisance cardiaque est nécessaire, mais là encore sans retombée sur la progression de la pathologie. L'amélioration de la fonction ventriculaire ne peut diminuer l'insuffisance mitrale que lorsque celle-ci est secondaire à la dilatation du VG [2].
L'anticoagulation à vie avec un agent anti-vitamine K est requise chez les porteurs de prothèses mécaniques; en cas de bioprothèse, elle n'est nécessaire que pendant les 3 premiers mois. Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) peuvent être prescrits en cas de fibrillation auriculaire chez les malades souffrant de sténose aortique, d'insuffisance mitrale et d'insuffisance aortique, mais ils sont contre-indiqués en cas de sténose mitrale ou de prothèse mécanique [1,3].
L'antibiothérapie, enfin, est au centre du traitement de l'endocardite, mais la prophylaxie infectieuse n'est recommandée que dans certaines situations à risque (chirurgie septique, dentisterie incluant une effraction de la muqueuse gingivale) et que chez certains patients: porteurs de valves prothétiques, antécédents d'endocardite, patients greffés, malades souffrant de cardiopathies congénitales (affections cyanotiques, porteurs de matériel prothétique pendant les 6 premiers mois, défauts résiduels autour de matériel prothétique) [8].
Préambule au Chapitre 11
Bien que les sténoses et les insuffisances ne se rencontrent pas toujours à l'état pur en clinique - il s'agit souvent de maladies valvulaires à prédominance de l'une ou de l'autre – leur description séparée permet de mieux comprendre la physiopathologie de chaque entité, ses mécanismes compensatoires et les signes qui traduisent sa décompensation. Ces notions sont capitales pour distinguer quelles sont les contraintes majeures au sein d’une hémodynamique complexe, car ces dernières vont déterminer le comportement du patient et les attitudes thérapeutiques du praticien qui doit hiérarchiser ses interventions en fonction des priorités.
La prise en charge anesthésique des malades souffrant d'une valvulopathie dépend étroitement de la physiopathologie de celle-ci. En chirurgie cardiaque, d'autre part, il est important de comprendre les indications et la technique chirurgicale pour s'adapter aux contraintes de la correction valvulaire. C'est les raisons pour lesquelles ce chapitre insiste particulièrement sur deux points:
- La nosologie cardiologique et les mécanismes de chaque valvulopathie;
- Les données chirurgicales et les techniques opératoires.
Lorsqu'on est au clair sur ces deux domaines, le choix de la technique d'anesthésie coule de source. De plus, ses connaissances en cardiologie et en chirurgie associées à ses compétences en échocardiographie font de l'anesthésiste cardiaque un partenaire indispensable dans les décisions thérapeutiques prises en salle d'opération. Cette situation, où il fait partie d'un heart team, rend sont travail quotidien bien plus intéressant et bien plus gratifiant que celui d'un simple endormeur.
Toutefois, trop d’informations tue l’information et paralyse les décisions. Pour faciliter la prise en charge des patients, particulièrement celle des malades de chirurgie non-cardiaque, un résumé a été ajouté dans un document à part (Annexe B) ; il décrit de manière simplifiée les recommandations pour l'anesthésie de chaque valvulopathie. Le Tableau 11.16 (sténoses valvulaires) et le Tableau 11.17 (insuffisances valvulaires) en font une synthèse.
Comme elle est l'imagerie de routine en salle d'opération, l'échocardiographie transoesophagienne (ETO) sera utilisée comme principale source d'illustration des pathologies valvulaires. L'examen échocardiographique des valves et de leur pathologie est décrit plus en détail dans le Chapitre 26 (ETO 2ème partie).
Valvulopathies |
La prévalence moyenne des valvulopathies est de 2.5% dans la population générale. Elle augmente avec l'âge. La gravité clinique des valvulopathies est divisée en quatre stades:
- A: simples facteurs de risque, asymptomatique
- B: pathologie mineure à modérée, asymptomatique
- C: pathologie sévère, mais asymptomatique (C1: fonction ventriculaire normale, C2: fonction ventriculaire abaissée)
- D: pathologie sévère, symptomatique
L'évaluation du risque d'une intervention sur les valves cardiaques combine différents facteurs comme le status physiologique du patient, ses comorbidités et les spécificités de chaque intervention: - Risque faible: < 4%
- Risque intermédiaire: 4-8%
- Risque majeur: > 8-20%
- Risque prohibitif: ≥ 25% (≥ 50% à 1 an)
Le traitement médical des valvulopathies ne concerne que celui des comorbidités, seule la chirurgie est thérapeutique.
L'évolution de la chirurgie valvulaire suit 3 tendances:
- Vieillissement de la population
- Plastie valvulaire au lieu de remplacement par une prothèse
- Techniques endovasculaires percutanées
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© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
Références
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- BORER JS, SHARMA A. Drug therapy for heart valve diseases. Circulation 2015; 132:1038-45
- DOHERTY JU, GLUCKMAN TJ, HUCKER WJ, et al. 2017 ACC expert consensus decision pathway for periprocedural management of anticoagulation in patients with nonvalvular atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2017; 69:871-98
- FLEISHER LA, FLEISCHMANN KE, AUERBACH AD, et al. 2014 ACC/AHA Guideline on perioperative cardiovascular evaluation and management of patients undergoing noncardiac surgery: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. Circulation 2014; 130:e278-e333
- KERTAI MD, BOUTIOUKOS M, BOERSMA M, et. Aortic stenosis: An underestimated risk factor for perioperative complications in patients undergoing noncardiac surgery. Am J Med 2004; 116:8-13
- KODALI SK, VELAGAPIDI P, HAHN RT, et al. Valvular heart disease in patients ≥ 80 years of age. J Am Coll Cardiol 2018; 71:2058-72
- MARQUIS-GRAVEL G, REDFORS B, LEON MB, GENEREUX P. Medical treatment of aortic stenosis. Circulation 2016; 134:1766-84
- NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease: Executive summary. Circulation 2014; 129:2440-92
- NKOMO VT, GARDIN JM, SKELTON TN, et al. Burden of valvular heart diseases: a population-based study. Lancet 2006; 368:1005-11
- STS – Society of Thoracic Surgeons National Cardiac Surgery Database, 2017. https://www.sts.org/site/defaut/files/documents/ ACSD_ExecutiveSummary2017Harvest4_RevisedReport.pdf
11. Anesthésie et valvulopathies
- 11.1 Introduction : prévalence et risques des valvulopathies
- 11.2 Rappel physiopathologique général
- 11.3 Imagerie valvulaire
- 11.4 Situations particulières
- 11.5 Chirurgie valvulaire
- 11.6 Insuffisance mitrale
- 11.6.1 Etiologie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.2 Physiopathologie
- 11.6.3 Manifestations cliniques
- 11.6.4 Echocardiographie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.5 Indications et résultats opératoires
- 11.6.6 Principes pour l'anesthésie
- 11.6.7 CEC et post CEC
- 11.6.8 IM primaire sur maladie de Barlow
- 11.6.9 IM secondaire sur ischémie myocardique
- 11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG
- 11.7 Sténose mitrale
- 11.8 Sténose aortique
- 11.8.1 Nosologie
- 11.8.2 Physiopathologie
- 11.8.3 Manifestations cliniques
- 11.8.4 Echocardiographie de la sténose aortique
- 11.8.5 Indications et résultats opératoires
- 11.8.6 Principes pour l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 11.8.7 CEC et post-CEC
- 11.8.8 Sténose sous-aortique dynamique
- 11.8.9 Anesthésie pour la chirurgie non-cardiaque
- 11.9 Insuffisance aortique
- 11.10 Maladie aortique
- 11.11 Pathologie tricuspidienne
- 11.12 Pathologie de la valve pulmonaire
- 11.13 Polyvalvulopathies
- 11.14 Conclusions