Step 3 of 5
Calculs hémodynamiques
Equation de continuité
L’équation de continuité exprime la loi de conservation de l’énergie. Elle spécifie que le flux, produit de la surface et de la vélocité (S • V, en cm3/s), est identique tout au long d’un parcours:
S1 • V1 = S2 • V2
où S et V sont les surfaces et les vélocités à deux endroits différents (Figure 11.28A). Si l’on connaît S1, V1 et V2, il est possible de calculer S2 :
S2 = ( S1 • V1 ) / V2
Figure 11.28 A : L’équation de continuité exprime la loi de conservation de masse : le produit de la vélocité du flux (trait rouge) et de la surface du tube est constant. Dans la zone rétrécie, la vélocité augmente, mais la pression (trait jaune) baisse ; c’est le principe de la conservation de l’énergie cinétique. La pression remonte dans la zone distale au rétrécissement (pressure recovery), avec une perte de charge due aux frottements et aux tourbillons (P’’ < P’). L’échocardiographie mesure le gradient de pression à partir de la vélocité maximale : ΔP = 4 (V22 – V12), donc avant la récupération de pression [4].
Hormis les pertes dues à la friction, le produit de l'énergie cinétique (Ec) et de l'énergie de pression (Ep) reste constant. Au passage d'une sténose, la vitesse s'accélère (hausse de Ec) et la pression diminue (baisse de Ep); c'est la situation au niveau de la vena contacta. Après la sténose, la chambre de réception est large, la vitesse diminue et la pression réaugmente: c'est le phénomène de la récupération de pression (pressure recovery) ou reconversion de Ec en Ep distalement à la vena contracta. Cette transformation peut représenter une diminution de 20% du gradient de pression réel à travers une sténose aortique [1].
La Vmax représente la vélocité du flux à un instant précis de la systole ou de la diastole, mais ce flux peut être évolutif au cours du cycle cardiaque. De ce fait, l'utilisation de l'intégrale des vélocités (ITV, en cm) est préférable, car elle représente l'ensemble des vélocités par rapport au temps (durée du flux). Le produit de la surface S (en cm2) et de l'ITV (en cm) donne le volume (cm3) systolique ou diastolique. L'ITV est obtenue en dessinant à l'écran l'enveloppe du flux.
Si l’on recherche la surface d’une sténose aortique, par exemple, on peut la calculer à partir du volume systolique dans la chambre de chasse du VG (CCVG) et de l'ITV du flux à travers la valve aortique :
SAo = ( SCCVG • ITVCCVG ) / ITVAo
- SCCVG: surface de la CCVG calculée par son diamètre mesuré en vue long axe rétrocardiaque à 120° (en moyenne 2.0-2.2 cm). Cependant, la section de la CVG n'est pas circulaire mais ovale, et la vue échocardiographique mesure le petit diamètre de cet ovale, ce qui entraine une sous-estimation de 17% du diamètre réel; cette erreur est ensuite portée au carré dans le calcul de la surface (24% de difference) [3].
- VCCVG: vélocité maximale ou ITV de la CCVG mesuré au Doppler pulsé en vue long axe transgastrique à 0° ou 120° ; la fenêtre est positionnée 2-3 mm en amont de la valve aortique, au milieu du flux.
- VAo: vélocité maximale ou ITV à travers la valve aortique mesuré au Doppler continu en vue long axe transgastrique à 0° ou 120°. Alors que l'écho transthoracique (ETT) peut enregistrer la Vmax de la vena contracta en aval de la valve depuis le creux sus-sternal, l'ETO ne peut se positionner dans l'axe du flux aortique qu'en position transgastrique, soit en amont de la valve. L'axe Doppler doit donc traverser la sténose pour enregistrer la vena contracta, ce qui peut s'avérer très difficile lorsque la valve est sténosée, calcifiée et très remaniée. En général, la Vmax est sous-estimée par l'ETO.
- Comme les défauts d'axe Doppler sont approximativement les mêmes dans la CCVG et dans la sténose aortique, le rapport VCCVG /VAo présente l'intérêt d'éliminer cette source d'erreur. Normalement, ce rapport est ≥ 0.8; lorsque la sténose aortique est serrée, il est ≤ 0.25, ce qui signifie que la Vmax à travers la valve est au moins 4 fois supérieure à celle dans la CCVG.
Ce calcul peut se faire de la même manière à différents endroits du flux sanguin, mais toujours en prenant soin de placer l’axe Doppler au centre du flux pour éviter les variations de vélocités liées aux parois et aux courbures. D'une manière générale, il est plus adéquat de remplacer la Vmax par l'intégrale des vélocités (ITV) dans le calcul.
Equation de Bernoulli
L’équation de Bernoulli permet la mesure du gradient instantané de pression (ΔP) à travers un orifice ou entre deux cavités. Comme on utilise la Vmax pour ce calcul, on mesure en fait le gradient maximal, qui a lieu pendant le pic de vélocité. Ce ΔPmax est toujours plus élevé que le gradient pic-à-pic mesuré par cathétérisme, car ce dernier ne correspond pas à des pressions simultanées (Figure 11.28B). Le gradient moyen, qui est la moyenne de tous les gradients instantanés, est identique lorsqu’on le mesure par échocardiographie ou par cathétérisme.
Figure 11.28 B : Gradients de pression. Illustration des différents gradients de pression en cas de sténose aortique. 1 : Gradient instantané maximal (échocardiographie Doppler) ; il survient pendant la phase d’accélération protosystolique du flux. 2 : Gradient pic-à-pic (courbe de retrait au cathétérisme, ponction à l’aiguille en amont et en aval de la valve) ; ce gradient n’existe pas réellement, car il est mesuré entre des points qui ne sont pas simultanés 3 : Gradient moyen (moyenne de tous les gradients maximaux instantanés). Le gradient instantané maximal est plus élevé que le gradient pic-à-pic, mais le gradient moyen est à peu près identique quelle que soit la technique de mesure.
Dans l’équation de Bernoulli, on néglige les facteurs liés à l’accélération locale, qui n’est significative que pour les longues sténoses, et à la friction, qui n’a d’importance que pour des hématocrites > 60%. On obtient une équation modifiée :
ΔP = 4 • (V22 – V12)
où V1 est la vélocité en amont de l’orifice et V2 la vélocité en aval. Si V1 est < 1.5 m/s, on peut négliger ce facteur, et l’équation simplifiée devient :
ΔP = 4 • (Vmax) 2
L’abandon de V1 est très pratique pour le calcul, mais peut surestimer gravement le gradient si la vélocité d’amont est élevée. Ceci est particulièrement important en position aortique ; ne pas tenir compte de la vélocité dans la chambre de chasse conduit à une surestimation du gradient à travers la valve aortique de 9 à 30 mmHg. L’équation de Bernoulli simplifiée est très précise sauf dans trois circonstances :
- Vmax d’amont (V1) > 1.5 m/s ; utiliser alors l’équation complète : ΔP = 4 • (V22 – V12);
- Présence de deux sténoses successives;
- Longue sténose (effet tunnel) ou hématocrite élevé (Ht > 60%).
L’axe de mesure Doppler doit toujours être le plus voisin possible de celui du flux mesuré. Le calcul du gradient entre deux cavités permet de mesurer la pression dans l'une lorsqu'on connaît celle de l'autre. Par exemple, la Vmax d’une insuffisance tricuspidienne donne le gradient de pression entre le VD et l’OD en systole; si l’on ajoute la POD à ce gradient, on obtient la pression systolique du VD, en principe équivalente à la PAP systolique: PAPs = 4 • (Vmax IT) 2 + POD (voir Insuffisance tricuspidienne, Calcul de la PAP).
Conditions hémodynamiques
Les mesures faites à partir des flux Doppler sont évidemment influencées par l'état hémodynamique du patient. Pour la même surface d'ouverture, le gradient à travers une valve augmente si :
- Le volume systolique/diastolique augmente;
- La pression d'amont s'élève;
- La pression d'aval s'abaisse.
Le gradient s'abaisse dans les conditions inverses. Lorsqu'on procède à des mesures quantitatives (surface d'une sténose ou orifice de régurgitation d'une insuffisance, par exemple), il est de la plus haute importance de rétablir des conditions hémodynamiques aussi proches que possible de la norme (normovolémie, normotension, contractilité satisfaisante), quitte à imposer momentanément un test d'effort au malade avec un vasoconstricteur et/ou un agent inotrope. D'autre part, il est toujours préférable de se baser sur les mesures les moins dépendantes de l'hémodynamique, comme la planimétrie bidimensionnelle (lorsqu'elle est faisable) ou le diamètre de la vena contracta.
D'une manière générale, les valvulopathies causées par des lésions organiques sont moins dépendantes de l'hémodynamique que les insuffisances fonctionnelles. Mais en salle d'opération, le patient est dans une situation très différente de celle d'un cabinet de cardiologie. Il est endormi et ventilé en pression positive, son tonus sympathique est diminué (baisse des RAS et du débit cardiaque), le régime de pression à l'intérieur de sa cage thoracique est anormal. Dans ces conditions, une insuffisance mitrale peut diminuer de moitié [2].
Calculs hémodynamiques |
Gradient de pression entre 2 cavités (équation de Bernoulli)
ΔP = 4 • (V22 – V12)
Si V1 < 1.5 m/s : ΔP = 4 • (Vmax) 2
Equation de continuité
S1 • V1 = S2 • V2 d’où : S2 = (S1 • V1) / V2
Flux (dans un vaisseau ou à travers un orifice)
F = S (cm2) • Vmax (cm/s)
Volume systolique
VS = S (cm2) • ITV (cm)
(ITV : intégrale des vélocités mesurées par l’enveloppe du flux spectral au Doppler pulsé ou continu)
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© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
Références
- BAX JJ, DELGADO V. Advanced imaging in valvular heart disease. Nat Rev Cardiol 2017; 14:209-23
- GREWAL KS, MALKOWSKI MJ, PIRACHA AR, et al. Effect of general anesthesia on the severity of mitral regurgitation by transesoophageal echocardiography. Am J Cardiol 2000; 85:199-203
- O'BRIAN B, et al. Integration of 3D imaging data in the assessment of aortic stenosis: impact on classification of disease severity. Circ Cradiovasc Imaging 2011; 4:566-73
- ZOGHBI WA, ADAMS D, BONOW RO, et al. Recommendations for noninvasive evaluation of native valvular regurgitation: a report from the ASE developed in collaboration with the SCMR. J Am Soc Echocardiogr 2017; 30:303-71
11. Anesthésie et valvulopathies
- 11.1 Introduction : prévalence et risques des valvulopathies
- 11.2 Rappel physiopathologique général
- 11.3 Imagerie valvulaire
- 11.4 Situations particulières
- 11.5 Chirurgie valvulaire
- 11.6 Insuffisance mitrale
- 11.6.1 Etiologie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.2 Physiopathologie
- 11.6.3 Manifestations cliniques
- 11.6.4 Echocardiographie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.5 Indications et résultats opératoires
- 11.6.6 Principes pour l'anesthésie
- 11.6.7 CEC et post CEC
- 11.6.8 IM primaire sur maladie de Barlow
- 11.6.9 IM secondaire sur ischémie myocardique
- 11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG
- 11.7 Sténose mitrale
- 11.8 Sténose aortique
- 11.8.1 Nosologie
- 11.8.2 Physiopathologie
- 11.8.3 Manifestations cliniques
- 11.8.4 Echocardiographie de la sténose aortique
- 11.8.5 Indications et résultats opératoires
- 11.8.6 Principes pour l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 11.8.7 CEC et post-CEC
- 11.8.8 Sténose sous-aortique dynamique
- 11.8.9 Anesthésie pour la chirurgie non-cardiaque
- 11.9 Insuffisance aortique
- 11.10 Maladie aortique
- 11.11 Pathologie tricuspidienne
- 11.12 Pathologie de la valve pulmonaire
- 11.13 Polyvalvulopathies
- 11.14 Conclusions