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CEC et post-CEC
Une insuffisance aortique est souvent associée à la sténose, car la valve calcifiée ne peut plus coapter de manière étanche. Même si elle n’a aucune signification hémodynamique tant que le coeur bat, l’IA peut suffire à remplir et à dilater le VG lors de la cardioplégie en début de CEC. Le ventricule doit donc toujours être surveillé attentivement.
L'hypertrophie ventriculaire rend difficile une préservation adéquate par la cardioplégie, notamment en cas de coronopathie associée. La technique habituelle par perfusion de la racine de l’aorte peut être complétée par une cardioplégie rétrograde via le sinus coronaire, ou remplacée par une canulation directe des ostia coronariens (canules de Spencer) après ouverture de l’aorte. A cause de ces difficultés de préservation, le VG peut se révéler défaillant à la sortie de pompe, même si sa fonction préopératoire était satisfaisante. Au moment de la mise en charge, un coeur hypertrophié ischémique peut devenir contracturé et dysfonctionnel en cas d'administration de calcium (stone heart). L’importance et la portée de ce phénomène restent largement débattues.
Si la cardioplégie a été satisfaisante et le temps de clampage aortique assez court, la performance myocardique s'améliore considérablement dès la levée de l'obstacle à l'éjection, parce que le stress de paroi se normalise quasi-instantanément. Le gradient transvalvulaire est diminué, puisque la surface utile des prothèses valvulaires est de l’ordre de 1.3 - 2.5 cm2. Pour le même travail d’éjection qu’avant le RVA, le VG éjecte un volume systolique supérieur, à un régime de pression inférieur (Figure 11.120). Le travail de pression, principal consommateur d’énergie, est beaucoup plus faible qu’avant le remplacement valvulaire. Le rapport entre le travail de pression et le travail d’éjection (Tpr/Téj) s’améliore considérablement, et l’efficience mécanique du ventricule est augmentée : il consomme moins d’O2 pour la même performance systolique. Bien que sa fonction diastolique ne soit pas modifiée, la vitesse de son raccourcissement myocardique en systole (strain rate) est augmentée de 40% et son stress de paroi est diminué de 50% [1]. Cette amélioration immédiate est la raison pour laquelle on peut être très large dans les indications au RVA en cas de sténose, même chez la personne âgée ou en mauvais état général.
Figure 11.120 : Représentation schématique de l’effet de la levée de la sténose éjectionnelle lors de RVA au moyen de la boucle pression/volume (P/V). La surface de la boucle avant et après la CEC est identique. Pour le même travail d’éjection, représenté par la surface de la boucle P/V, le VG éjecte un volume systolique supérieur (VS), à un régime de pression inférieur. Le travail de pression, représenté par la surface du triangle Tpr, est beaucoup plus petit qu’avant le remplacement valvulaire. Pour le VG, l’amélioration est immédiate.
Pour le ventricule droit, la situation est différente. Il a subi les contraintes de la cardioplégie, de l'arrêt et de la reperfusion sans pour autant que ses conditions hémodynamiques ne soient améliorées puisqu'il ne bénéficie pas directement de la levée de la sténose aortique. Au contraire, la sortie de CEC s'accompagne de variations importantes de sa précharge et d'une certaine augmentation de sa postcharge (ventilation mécanique, fermeture du péricarde et du sternum, hypertension pulmonaire). Son raccourcissement systolique longitudinal (descente de l'anneau tricuspidien, strain) est diminué [1]. Sa défaillance entraîne une augmentation de la morbi-mortalité cardiovasculaire de l'ordre de 5 à 25 fois [2].
Tout gradient moyen entre le VG et l’aorte supérieur à 20 mmHg doit faire suspecter une dysfonction de la prothèse ou un défaut d’appariement entre la prothèse et le patient.
- Ailette bloquée : elle reste immobile, le plus souvent en position intermédiaire, le flux couleur ne passe que par un seul orifice.
- Taille de la prothèse trop petite par rapport à celle du patient : S < 0.85 cm2/m2 (voir Prothèses valvulaires, Discordance patient-prothèse).
Toutefois, plusieurs phénomènes peuvent induire un gradient trans-prosthétique faussement élevé [3].
- Episode momentané de haut volume systolique : hypervolémie, transfusion trop rapide depuis la machine de CEC.
- Sténose sous-aortique dynamique (effet CMO) : la levée de l’obstacle à l’éjection peut amener un ventricule hypertrophié à collaber sur lui-même en systole, car sa cavité est naturellement petite et la chambre de chasse très musclée ; le phénomène est analogue à une cardiomyopathie obstructive (CMO) (Vidéo).
Vidéo: Vue long-axe transgastrique d'une prothèse aortique St-Jude dont les deux ailettes fonctionnent normalement; le patient présente une hypertrophie concentrique sévère du VG dont les parois sont très épaisses.
Ce rétrécissement de la chambre de chasse en systole crée une obstruction dynamique qui peut représenter un gradient de 25-40 mmHg (voir ci-après Sténose sous-aortique dynamique). Ce gradient doit être soustrait du gradient transaortique total mesuré à l’écho Doppler pour obtenir le gradient propre de la prothèse (Figure 11.121).
Figure 11.121 : Calcul du gradient de pression après RVA. Au Doppler continu, on dispose d’une double enveloppe pour mesurer la Vmax dans la CCVG et dans l’ensemble CCVG + prothèse. Si l’on utilise l’équation simplifiée de Bernoulli (ΔP = 4 • Vmax2), on trouve un gradient de 22 mmHg. Si l’on utilise l’équation en tenant compte de la Vmax dans la CCVG, soit ΔP = 4 • (V22 – V12), le gradient à travers la prothèse n’est que de 10 mmHg. Dans le cas d’une bioprothèse sans monture, cette différence a un impact chirurgical direct, car 22 mmHg est un gradient excessif pour ce type de valve et peut conduire à un retour en CEC qui n’est en réalité pas justifié.
- Même sans sténose musculaire, la vélocité dans la chambre de chasse du VG peut dépasser 1.5 m/s à cause d’une stimulation sympathique importante et d’une hypervolémie passagère. Dans ce cas, l’équation de Bernoulli doit être rectifiée en tenant compte de la Vmax dans la CCVG : ΔP = 4 (V22 –V12), où V2 est la Vmax à travers la prothèse et V1 la Vmax de la CCVG. Le gradient créé dans la CCVG est ainsi soustrait du gradient total pour obtenir celui qui est propre à la prothèse.
- La récupération de pression: l'énergie cinétique se retransforme en pression au-delà de la zone d'accélération maximale où la pression est minimale; comme l'échocardiographie mesure la pression précisément par la vélocité maximale, elle a tendance à surestimer le gradient réel (voir Figure 11.116).
- La présence d'une contrepulsion intra-aortique (CPIA) abaisse considérablement la pression dans l'aorte ascendante en début de systole lorsque le ballon se dégonfle; il s'ensuit un gradient exagéré entre le VG et l'aorte; il faut mesurer le gradient pendant un arrêt momentané de la CPIA. Une dilatation importante de l’aorte ascendante a le même effet mais de moindre amplitude.
Figure 11.116 : Illustration de l’équation de continuité. A : l’équation de continuité exprime la loi de la conservation de l’énergie cinétique ; lorsque la vitesse accélère, la pression baisse, et inversement. La Vmax est atteinte juste distalement au rétrécissement (appelé vena contracta à cause de la contraction du flux) ; c’est là que la pression est la plus basse et le gradient de pression maximal. La pression est récupérée distalement (pressure recovery, pr) au fur et à mesure que la vélocité baisse parce que le conduit s’élargit ; la récupération n’est pas totale à cause de la perte de charge provoquée par les forces de friction et par la formation de tourbillons (vortex) [4]. B : L’image spectrale du Doppler continu à travers la valve aortique en cas de sténose serrée montre une double enveloppe ; superposée à la base de la Vmax (4.7 m/s, flèche jaune) à travers la valve apparaît l’image du flux dans la chambre de chasse (1.2 m/s, flèche verte). Ces deux vélocités sont l’équivalent de V1 (chambre de chasse) et V2 (valve aortique) dans l’équation de continuité.
Pour autant que la fonction préopératoire soit conservée, les suites postopératoires immédiates sont simples, même chez les patients âgés; l'extubation est précoce. Un support inotrope n'est pas toujours nécessaire après un RVA simple, vu l'amélioration fonctionnelle immédiate pour le VG. Lorsqu'elle est requise, la perfusion d'agent inotrope peut habituellement être vite interrompue. De l’air ou des débris de valve peuvent aisément se fourvoyer dans les ostia coronariens, occasionnant une image d’ischémie tronculaire avec surélévation du segment ST à la sortie de CEC. Des déficits neurologiques sont toujours possibles par embolisation de fragments calcifiés et friables lors de l'aortotomie et de la résection de la valve. Le taux d’AVC postopératoire est de 3-6%, soit 2-3 fois plus élevé que la moyenne de chirurgie cardiaque.
La proximité du nœud AV avec l’anneau aortique au niveau septal peut conduire à un bloc AV complet iatrogène après implantation de la prothèse. Si le rythme du patient doit être électro-entraîné à cause d’une bradycardie ou d’un bloc, il est préférable de le stimuler en mode auriculo-ventriculaire (DDD) pour pouvoir bénéficier de l’apport de la contraction auriculaire, car l’HVG ne régresse que lentement et la dysfonction diastolique persiste dans le postopératoire. Celle-ci maintient des pressions de remplissage anormalement élevées par rapport au volume du VG.
L’apparition d’une IM après un RVA peut être liée à plusieurs phénomènes différents.
- Réouverture de la valve mitrale à mi-systole sur sténose dynamique sous-aortique (SAM); même importante, cette IM est brêve et ne dure pas toute la systole ; elle est méso-télésystolique. C’est souvent le signe d’appel de l’effet CMO (voir ci-après).
- Rétraction du feuillet antérieur par des points d’ancrage de la prothèse ; la proximité de l’anneau aortique et de l’anneau mitral au niveau du trigone fait que des points un peu larges à cet endroit exercent une traction sur le feuillet antérieur et peuvent l’empêcher d’occlure correctement (Vidéo).
Vidéo: Proximité de la valve mitrale et de la prothèse aortique dans une vue transgastrique court-axe de la valve mitrale; la prothèse St-Jude aortique est située en bas à gauche de l'image à l'écran; on voit le mouvement des deux ailettes au cours du cycle cardiaque.
- Perforation à la base du feuillet antérieur lors de la décalcification de l'anneau et de la coulée calcique sur la mitrale.
- Dysfonction du VG ; l’IM est un signe d’accompagnement habituel d’une dilatation ou d’une ischémie aiguë du VG.
- Peristence d’une IM présente avant la CEC, qu’elle soit organique (maladie calcifiante, dégénérescence, remaniemens dus à l’âge) ou fonctionnelle (calcifications de l’anneau mitral dysfonction ou dilatation du VG). Le plus souvent, la levée de l’obstacle à l’éjection diminue suffisamment le stress de paroi du VG pour que l’IM soit moins importante qu’en préopératoire.
Si l’appariement de la taille de la prothèse avec celle du malade est satisfaisant, l’HVG régresse pendant les 3 premiers mois, mais le VG ne récupère pas totalement du remodelage imposé par la sténose.
Chirurgie de la sténose aortique: post-CEC |
Le RVA lève l’obstacle à l’éjection, ce qui soulage immédiatement le VG et apporte une nette amélioration à sa fonction. La sortie de CEC est en général aisée, sauf en cas de dysfonction ventriculaire préopératoire, d’ischémie associée ou de problème de cardioplégie. Le pronostic fonctionel du RVA est excellent, même chez la personne âgée. Cependant, la dysfonction diastolique due à l’HVG persiste dans le postopératoire (pressions de remplissage élevées).
Plusieurs problèmes peuvent toutefois se présenter.
- Gradient excessif (ΔPmoy > 20 mmHg) : taille de la prothèse insuffisante (S < 0.85 cm2/m2), ailette bloquée
- Effet CMO : augmenter la précharge, vasoconstricteur, réduire les catécholamines β, esmolol
- IM nouvelle : dysfonction, traction sur le feuillet antérieur, SAM
- Fuite paravalvulaire : retour en pompe si elle est majeure
- Dysfonction VG : défaut de cardioplégie, ischémie
- Bloc AV
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© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
Références
- DUNCAN AE, SARWAR S, KASHY BK, et al. Early left and right ventricular response to aortic valve replacement. Anesth Analg 2017; 124:406-18
- HADDAD F, DENAULT AY, COUTURE P, et al. Right ventricular myocardial performance index predicts perioperative mortality or circulatory failure in high-risk valvular surgery. J Am Soc Echopcardiogr 2007; 20:1065-72
- RAJANI R, MUKHERJEE D, CHAMBERS JB. Doppler echocardiography in normally-functioning replacement aortic valve: a review of 129 studies. J Hesart Valve Dis 2007; 16:519-35
- ZOGHBI WA, ADAMS D, BONOW RO, et al. Recommendations for noninvasive evaluation of native valvular regurgitation: a report from the ASE developed in collaboration with the SCMR. J Am Soc Echocardiogr 2017; 30:303-71
11. Anesthésie et valvulopathies
- 11.1 Introduction : prévalence et risques des valvulopathies
- 11.2 Rappel physiopathologique général
- 11.3 Imagerie valvulaire
- 11.4 Situations particulières
- 11.5 Chirurgie valvulaire
- 11.6 Insuffisance mitrale
- 11.6.1 Etiologie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.2 Physiopathologie
- 11.6.3 Manifestations cliniques
- 11.6.4 Echocardiographie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.5 Indications et résultats opératoires
- 11.6.6 Principes pour l'anesthésie
- 11.6.7 CEC et post CEC
- 11.6.8 IM primaire sur maladie de Barlow
- 11.6.9 IM secondaire sur ischémie myocardique
- 11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG
- 11.7 Sténose mitrale
- 11.8 Sténose aortique
- 11.8.1 Nosologie
- 11.8.2 Physiopathologie
- 11.8.3 Manifestations cliniques
- 11.8.4 Echocardiographie de la sténose aortique
- 11.8.5 Indications et résultats opératoires
- 11.8.6 Principes pour l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 11.8.7 CEC et post-CEC
- 11.8.8 Sténose sous-aortique dynamique
- 11.8.9 Anesthésie pour la chirurgie non-cardiaque
- 11.9 Insuffisance aortique
- 11.10 Maladie aortique
- 11.11 Pathologie tricuspidienne
- 11.12 Pathologie de la valve pulmonaire
- 11.13 Polyvalvulopathies
- 11.14 Conclusions