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Principes pour l’anesthésie

Les différents mécanismes de l’IM déterminent la prise en charge hémodynamique. Dans le prolapsus mitral mineur-à-modéré (IM type II), la régurgitation diminue si le ventricule s’agrandit (voir Prolapsus mitral), alors que dans les IM de types I (fonctionnelles) et III (restrictives), elle diminue si le ventricule se rétrécit (voir Figure 11.70). Lorsqu’il arrive au stade chirurgical toutefois, le prolapsus engendre une IM massive, et le mécanisme du type II est débordé par l’importance de la régurgitation, qui ne diminue que si le VG est moins dilaté. On peut donc dire que le risque d’une aggravation de l’IM par la distension du VG pilote la prise en charge anesthésique de la chirurgie mitrale.
 

Figure 11.70 : Comportement différent de la régurgitation mitrale avec les variations de volémie selon le type d’IM. A et B: hypervolémie; le ventricule se dilate, son volume télésystolique (Vts) augmente; l'IM diminue dans le prolapsus (A) car les cordages sont tirés vers le bas, mais augmente dans les types I et III (B), car la restriction des feuillets mitraux s'accroît. C et D: hypovolémie; le ventricule se rappetisse, son volume télésystolique diminue; l'IM augmente dans le type II (C) car les cordages ont davantage de course, mais diminue dans les types I et III (D), car la restriction diminue et les feuillets arrivent presque à coapter.
 
  • Précharge: la volémie totale est augmentée pour maintenir un débit systémique efficace, vu la perte de volume dans le va-et-vient entre le VG et l'OG. L’hypovolémie diminue proportionnellement davantage le débit systémique que la fraction régurgitée, puisque la fuite auriculaire "vole" en permanence du volume dans le système à basse pression de l’OG. La tolérance à l’hypovolémie est faible, et la précharge doit être maintenue normale-à-élevée.
  • Postcharge: le VG fonctionnant comme une cavité à deux sorties, le volume régurgité est fonction directe de la résistance à l'éjection; les RAS doivent donc être impérativement basses. Une vasodilatation artérielle est nécessaire (isoflurane, nitroprussiate, phentolamine). 
  • Contractilité: elle doit être maintenue élevée pour assurer le débit systolique antérograde. Dans les IM chroniques, la postcharge basse et la précharge élevée masquent la contractilité réelle du VG, dont les indices de fonction habituels traduisent mal la diminution. Il faut donc suspecter la fonction systolique d’être abaissée, et n’utiliser que des agents inotropes dépourvus d’effet alpha (dobutamine, amrinone, milrinone, levosimendan). En cas de difficulté, la contre-pulsion intra-aortique est très efficace pour soulager le VG, diminuer l’IM et améliorer la perfusion coronarienne.
  • Fréquence: elle doit rester soutenue parce que la bradycardie augmente le temps de remplissage et le volume ventriculaire, donc fait courir le risque de dilatation du VG. L’IM ayant lieu en systole, la variation de la fréquence modifie peu sa durée. Le maintien du rythme sinusal est important pour autant que l’OG ne soit pas très dilatée ; dans ce cas, sa contractilité est faible et le volume propulsé par sa contraction est négligeable.  
  • Résistances pulmonaires: l'hypertension pulmonaires est fréquente mais en général modérée ; la musculature vasculaire pulmonaire est hyperréactive. Eviter toute vasoconstriction pulmonaire (hypoxie, hypercarbie, acidose, N2O), et maintenir une hyperventilation pour un pH de 7.5 et une PaCO2 de 32-35 mmHg.
  • Ventilation en pression positive: elle améliore le débit gauche dans la mesure où le retour veineux au coeur droit reste bien assuré. La vidange des poumons vers l’OG est accélérée, le flux mitral antérograde est augmenté et la pression transmurale de l’oreillette diminue ; la postcharge effective du VG s’abaisse (Figure 11.97) (voir Chapitre 5 Interactions cardiorespiratoires, Ventilation en pression positive). L’IPPV tend donc à diminuer l’IM ; ses effets sont transmis par le biais de la pression moyenne intrathoracique.
 

Figure 11.97 : Interactions cardio-respiratoires de la ventilation en pression positive (IPPV) en cas de valvulopathie mitrale. Représentation schématique des effets de l’augmentation de la pression intrathoracique (Pit) par l’inspirium de l’IPPV et la PEEP. L’élévation de la Pit et de la pression intrapulmonaire (flèches violettes) augmente la postcharge du VD, le remplissage de l’OG et la précharge du VG, comprime les cavités cardiaques, freine le retour veineux de la veine cave inférieure (VCI) et facilite l’éjection du VG puisque sa postcharge ne se modifie pas (elle est à l’extérieur de la cage thoracique). Tant que le débit du cœur droit est compensé, la situation est améliorée par rapport à la ventilation spontanée parce que le flux antérograde à travers la valve mitrale est facilité et la stase pulmonaire diminuée.
 
L’échocardiographie transooesophagienne peropératoire est capitale pour élucider les mécanismes de l’IM et planifier la stratégie de prise en charge [2]. Toutefois, l’évaluation d’une IM est modifiée par l’anesthésie, qui tend à en diminuer l’importance parce qu’elle baisse la pression artérielle et le remplissage. Ainsi l’IM s’abaisse de 25-40% chez la moitié des patients du simple fait d’être endormis [1,3]. Toute quantification de l’IM doit se faire après avoir rétabli une hémodynamique normale (PAM ≥ 80 mmHg), au besoin par des vasopresseurs. 
 
Le cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est très utile pour toute la chirurgie mitrale afin de régler l’administration liquidienne, de surveiller l’évolution des pressions dans l’OG et de pouvoir évaluer le volume systolique antérograde (VS obtenu par la thermodilution pulmonaire) ; la SvO2 permet de juger l’adéquation du débit systémique aux besoins de l’organisme. Sur la courbe de PAPO, l’importance de l’onde "v" n’est pas directement proportionnelle à celle de l’IM car elle dépend de la compliance de l’oreillette ; lorsqu’elle est dilatée, l’OG absorbe l’à-coup de pression et tamponne l’onde "v". Les mesures de débit peuvent être biaisées en présence d’une insuffisance tricuspidienne secondaire importante. Après la CEC, la correction de la fuite mitrale impose des conditions difficiles au VG : augmentation de postcharge, baisse de précharge. Dans ces conditions, le cathéter de Swan-Ganz est très utile pour gérer le soutien hémodynamique.  
 
Technique d’anesthésie pour la chirurgie mitrale en cas d’IM
 
  • L’induction peut être réalisée au moyen de plusieurs agents selon le degré de dysfonction ventriculaire gauche et d’hypertension pulmonaire :
    • Etomidate : agent le plus sûr, dénué d’effets hémodynamiques; 
    • Midazolam : baisse bénéfique du tonus sympathique, mais induction et réveil lents;
    • Propofol : baisse de précharge et, à un moinde degré, de postcharge ; adéquat à dosage réduit et administration lente dans les cas non-décompensés;
    • Adjonction de fentanyl ou de sufentanil pour diminuer la réponse sympathique;
    • Eviter une poussée hypertensive à l’intubation avec une anesthésie topique du larynx et de la trachée;
    • Thiopental, kétamine : déconseillés à cause de l’effet inotrope négatif (thiopental, kétamine) et de la stimulation sympathique avec hausse des RAS (kétamine).
    • L’hypertension est plus dangereuse que l’hypotension.
  • Maintien de l’anesthésie :
    • Préférence à l’isoflurane (↓ RAS) ; sevoflurane adéquat;
    • Perfusion de propofol;
    • Desflurane : déconseillé (↑ RAS et RAP);
    • IPPV + PEEP bénéfiques. 
  • Maintenir les RAS basses, éviter l’hypertension artérielle (douleur, éveil).
  • Maintenir le volume circulant (perfusions) et éviter la baisse de précharge (prévenir l’hypovolémie).
  • Maintenir la contractilité (la détérioration de la fonction systolique est masquée par l’IM) :
    • Préférence à la dobutamine ; dopamine adéquate si dosage < 5 mcg/kg/min;
    • Milrinone (± adrénaline) si HTAP, dilatation ou défaillance chronique du VG.
  • Eviter la bradycardie (risque de dilatation du VG) ; la tachycardie n’est pas dangereuse.
  • En cas de défaillance gauche, la CPIA est très efficace pour diminuer l’IM.
  • Monitorage ETO : 
    • Mécanismes et variations de l’IM;
    • Taille et fonction du VG, fonction du VD;
    • Evaluation de la volémie; 
    • Post CEC : évaluation de la plastie, diagnostic du SAM, fonction du VG.
  • Cathéter artériel pulmonaire : plus utile après la CEC qu’avant à cause de la dysfonction postopératoire du VG. Lors du positionnement en Pcap, superposer la courbe de PAP à celle de la PA systémique de manière à différencier la PAPsyst et l’onde "v" géante par leur synchronisation avec le pic de la PA systémique, car leur valeur peut être très voisine; la PAPsyst est synchrone avec le pic de PAsyst, alors que l’onde "v" est synchrone avec le dicrotisme artériel (voir Figure 6.21).
    • PAP en cas d’HTAP;
    • PAPO (ajustement des perfusions);
    • Mesure du VS antérograde (VS effectif) et de la SvO2 (adéquation du DC aux besoins métaboliques); 
    • VS et DC en post-CEC ; mesure des RAS.
  • ScO2 : évaluation de la perfusion périphérique effective. 
  • La mesure du DC par analyse de la courbe artérielle (PiCCO™) peut remplacer la Swan-Ganz dans la mesure où l'on exploite les données comme l'eau totale pulmonaire et la précharge globale, et où l'on ré-étalonne régulièrement le système par thermodilution transpulmonaire. Mais il ne fournit pas de renseignement sur la PAP ni sur la PAPO.  
 

Figure 6.21 : La différentiation entre la courbe d'artère pulmonaire (AP) et celle de la pression bloquée (PAPO) peut parfois être difficile, notamment lorsque l'onde "v" est très importante dans une insuffisance mitrale massive. En superposant la courbe de la Swan-Ganz (jaune) à celle du cathéter artériel systémique (rouge), la différence devient plus évidente: alors que le pic de pression d'AP est synchrone avec celui de l'artrère systémique, l'onde "a" survient avant celle de la pression artérielle, et l'onde "v" a lieu au moment du dicrotisme artériel. A: superposition de la courbe artérielle systémique et de celle de l'AP. B: superposition de la courbe artérielle systémique et de celle de la PAPO. Les échelles de pression vont de 0 à 120 mmHg pour l'artère systémique et de 0 à 30 mmHg pour la Swan-Ganz. 
 
 
Hémodynamique recherchée en cas d'insuffisance mitrale
Volémie normale à élevée
Vasodilatation systémique
Stimulation inotrope sans effet alpha (amines β, inodilatateurs)
Fréquence normale - haute
Vasodilatation pulmonaire selon HTAP
Ventilation en pression positive bénéfique
 
Plein - Tonique - Ouvert


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Novembre 2019
 
 
 
Références
 
  1. GREWAL KS, MALKOWSKI MJ, PIRACHA AR, et al. Effect of general anesthesia on the severity of mitral regurgitation by transesoophageal echocardiography. Am J Cardiol 2000; 85:199-203
  2. MICHELENA HI, ABEL MD, SURI RM, et al. Intraoperative echocardiography in valvular heart disease: An evidence-based appraisal. Mayo Clin Proc 2010; 85:646-55
  3. SANFILIPPO F, JOHNSON C, BELLAVIA D, et sl. Mitral regurgitation grading in the operating room: a systematic review and meta-analysisi comparing preoperative and intraoperative assessments during cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:1681-91
11. Anesthésie et valvulopathies