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Physiopathologie

L'augmentation des résistances à l'éjection entraîne une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) progressive de type concentrique qui, en accord avec la loi de Laplace, permet de maintenir le stress de paroi dans les limites de la norme (voir Adaptation aux valvulopathies). Celle-ci s’accompagne d’un épaississement pariétal (l'épaisseur moyenne de la paroi postérieure du VG en diastole est supérieure à 1.2 cm), d’une augmentation de la masse ventriculaire gauche et d’un rétrécissement de la cavité ventriculaire (Figure 11.105) (Vidéo).


Vidéo: Vue court-axe transgastrique du VG dans un cas de sténose aortique serrée; l'hypertrophie concentrique est massive, la cavité du VG est rétrécie.

L’HVG est caractérisée cliniquement par une préservation de la fonction systolique, par une dysfonction diastolique et par un risque ischémique aggravé.
 
     

Figure 11.105 : Images anatomo-pathologiques d'hypertrophie ventriculaire gauche concentrique sur sténose aortique serrée. A: coupe longitudinale du VG; on aperçoit une hypertrophie massive du septum inteventriculaire; la pincette soulève le feuillet antérieur de la valve mitrale, et la flèche souligne l’étroitesse de la chambre de chasse. B: coupe transverse (court-axe) du VG.
 
Fonction systolique
 
La valeur de la fraction d'éjection (FE) est normale ou même supranormale (FE > 0.7), parce que le volume télésystolique est très petit. Toutefois, la performance systolique par unité de masse myocardique n’est pas augmentée ; elle peut même être diminuée. La durée de l’éjection est prolongée (téj > 250 msec) à cause du rétrécissement à la sortie du VG, ce qui diminue la puissance nominale du ventricule. Les critères habituels d’évaluation de la fonction systolique étant dépendants des conditions de charge, il est difficile de quantifier la contractilité réelle du ventricule lorsque les pressions de remplissage sont élevées à cause de la dysfonction diastolique, et que la postcharge est très augmentée par la résistance à l’éjection. Les dimensions ventriculaires sont un meilleur critère fonctionnel : un diamètre télédiastolique du VG en court-axe supérieur à 4 cm/m2 signe une décompensation. A un stade encore asymptomatique, le Doppler tissulaire met en évidence des modifications subtiles de la contraction : réduction de la contraction longitudinale sous-endocardique, exagération de la torsion systolique, diminution de la succion protodiastolique [3].
 
Le volume systolique est limité par le débit à travers la sténose et par la durée de la systole. Il est relativement fixe, car la réserve contractile est nulle. La pression artérielle systémique, qui correspond au produit du débit cardiaque et des résistances artérielles systémiques (PA ≈ DC • RAS), dépend essentiellement des RAS, qui doivent rester élevées.
 
Lorsqu’il est compensé, un VG de sténose aortique serrée présente une HVG concentrique avec une cavité ventriculaire de petite  taille et une FE élevée. Il génère un gradient trasnvalvulaire élevé: 
 
  • ΔPmoy > 40 mmHg;
  • ΔPmax > 100 mmHg;
  • Vélocité du flux aortique > 4.0 m/s;
  • Intégrale des vélocités (ITVVAo) > 100 cm.
Le rétrécissement au niveau de la valve aortique est responsable d’une accélération du flux sanguin. Lorsque la sténose est serrée, la Vmax y est au moins quadruplée par rapport à celle de la chambre de chasse : le rapport entre la vélocité dans la CCVG (VCCVG) et la vélocité à travers la valve aortique (VVAo) est < 0.25, alors qu’il est de > 0.4 dans une sténose mineure et > 0.8 lorsque la valve est normale [1]. On utilise le plus souvent l’intégrale des vélocité (ITV) de préférence à la Vmax, parce que la mesure est plus fiable et moins dépendante de l’hémodynamique.
 
Sténose aortique serrée :  ITVCCVG  / ITVVAo  <  0.25
 
Lorsque la fonction systolique du VG diminue ou que le volume systolique est plus petit (hypovolémie), le gradient transvalvulaire est plus faible pour le même degré de sténose. Toutefois, le rapport ITVCCVG / ITVVAo reste une évaluation fiable de la sténose car les variations de débit affectent de la même manière les deux termes de l’équation ; le rapport ne se modifie que si la surface valvulaire fonctionnelle varie [6]. Si le débit aortique systolique augmente, comme c’est le cas lorsqu’une insuffisance valvulaire est associée, le gradient sera artificiellement élevé pour le même degré de sténose parce que le volume éjecté est plus important, mais le rapport ITVCCVG / ITVVAo restera stable.
 
Dysfonction diastolique
 
Un ventricule épais et hypertrophié est peu compliant. L’effet de succion protodiastolique de la phase de relaxation active est déficient. A l’analyse du flux mitral, l'onde E du remplissage passif est de plus basse vélocité que l'onde A du remplissage actif de la contraction auriculaire (rapport E/A < 1); la phase de relaxation isovolumétrique (tRI) est prolongée; la décélération de l'onde E (tDE) est raccourcie (Figure 11.106). Le VG, très épais, réclame une pression télédiastolique élevée pour atteindre son volume de remplissage. La POG augmente et l’oreillette se dilate. 
 

Figure 11.106 : Modification du flux mitral en cas d’hypertrophie ventriculaire concentrique. Flux mitral enregistré à l’ETO Doppler. A gauche (A), image du flux normal; à droite (B), image du flux en cas d’HVG: le flux A est plus important que le flux E, ce qui illustre la dépendance du remplisssage ventriculaire par rapport à la contraction auriculaire. Le temps de relaxation isovolumétrique (tRi) augmente, car la mitrale s’ouvre tardivement en début de diastole par défaut de relaxation ventriculaire; le temps de décélération du flux E est raccourci.
 
Comme la relaxation active protodiastolique est insuffisante, la contribution de la contraction auriculaire au remplissage ventriculaire devient de plus en plus importante (30-50% du volume télédiastolique) et permet l'augmentation de la pression télédiastolique ventriculaire sans augmentation de la pression auriculaire moyenne ni de la pression veineuse pulmonaire. Ceci nécessite un intervalle PR d'au moins 0.1 - 0.15 seconde pour être efficace. Sur la courbe du cathéter pulmonaire de Swan-Ganz, l'onde "a" de la PAPO devient proéminente. La perte du rythme sinusal (rythme nodal peropératoire, passage en fibrillation auriculaire) effondre le débit cardiaque parce que le VG perd soudainement 40-50% de son mécanisme de remplissage.
 
Risque ischémique
 
Plusieurs phénomènes entrent ligne de compte pour expliquer l’augmentation du risque d’ischémie myocardique lors de sténose aortique (Figure 11.107) [2,4].
 
  • Une maladie coronarienne coexistante diminue l’apport d’oxygène à cause de sténoses cliniquement significatives ; l’association de coronaropathie et de sténose aortique calcifiée est fréquente puisque les deux affections partagent le même terreau étiopathogénique.
  • Une baisse de pression artérielle ne s'accompagne pas d'une baisse de pression intraventriculaire parce que la sténose aortique est fixe ; la pression de perfusion coronarienne (PPC) chute sans compensation lorsque la PA diastolique aortique diminue, puisque PPC = PAM - PtdVG.
  • L’augmentation de la masse ventriculaire ne s’accompagne pas d’une augmentation équivalente du réseau coronarien ; il existe un défaut relatif de réseau capillaire intramyocardique, et la réserve coronarienne est très limitée. 
  • L’hypertrophie ventriculaire concentrique est défavorable à la perfusion coronarienne sous-endocardique parce que la paroi est épaisse, donc longue à traverser, et parce que le muscle comprime le réseau coronarien.
  • Le ralentissement de l’éjection (300-350 msec) à travers la sténose prolonge la systole et raccourcit la durée de la diastole ; le rapport temps systolique / temps diastolique se rapproche de 1:1. D’autre part, le petit volume systolique éjectable implique une fréquence minimale assez haute pour maintenir le débit cardiaque.
  • L’augmentation massive du travail de pression élève la consommation d’oxygène myocardique (mVO2) pour fournir le même travail externe d’éjection (voir Figure 11.109). Avec un ΔPmax de 100 mmHg, la pression systolique intraventriculaire doit être 200-250 mmHg pour maintenir la pression de perfusion systémique.
  • Les vortex créés à la sortie du rétrécissement valvulaire au niveau des sinus de Valsalva se forment en regard des orifices coronariens droit et gauche. Comme ils sont des zones de dépression, ces vortex aspirent le sang dans leur tourbillon par effet Venturi ; il peut ainsi arriver que le flux dans les troncs coronariens s’inverse pendant la systole. 
     

Figure 11.107 : Mécanismes de l'ischémie dans la sténose aortique. 1: plaque athéromateuse. 2: ischémie sous-endocardique liée à l'épaisseur du muscle à perfuser, à la compression des vaisseaux intramyocardiques et à la pression intracavitaire télédiastolique élevée du VG (PtdVG). 3: une baisse de la PA diastolique au niveau de l'aorte (hypotension systémique) ne s'accompagne pas d'une baisse de la pression intracavitaire du VG puisque la sténose aortique est fixe ; la pression de perfusion coronarienne (PPC) chute. 4:  En systole, le jet éjectionnel de haute vélocité (Vmax > 4 m/s) abaisse la pression dans les sinus de Valsalva par effet Venturi, et aspire le sang qui se trouve dans les troncs coronariens; ainsi la perfusion systolique est supprimée (perte importante pour le VD), et la perfusion diastolique doit commencer par remplir les troncs épicardiques, ce qui diminue d'autant la perfusion intramyocardique distale. 5: La diastole est raccourcie par rapport au temps d’éjection qui est prolongé; de plus, le petit volume systolique implique une fréquence minimale pour maintenir le débit cardiaque.
 
Adaptations cliniques
 
Pour garantir une éjection adéquate face à l’obstacle aortique, le VG utilise pleinement sa réserve de précharge en se déplaçant vers le haut et vers la droite de la courbe de Starling. Lors de dysfonction diastolique, la courbe de compliance est très redressée, ce qui signifie que de petites variations de précharge se traduisent par d’importantes variations du volume éjecté. Cliniquement, cela implique que le VG dépend étroitement des pressions de remplissage et n’a aucune tolérance à l’hypovolémie. La baisse de retour veineux associée à l’induction d’une anesthésie ou à l’installation d’un bloc rachidien entraîne des chutes considérables du débit cardiaque, ce qui se traduit en pratique par des épisodes d’hypotension sévère. Les possibilités d'adaptation aux demandes périphériques en variant le débit cardiaque sont faibles parce que le volume systolique est relativement fixe, et parce que la tachycardie est limitée par le ralentissement de la phase d’éjection et la durée obligatoire de la diastole pour assurer le remplissage. La pression artérielle dépend donc étroitement des résistances périphériques (RAS).
 
La silhouette cardiaque est caractérisée par un ventricule gauche à la paroi très épaisse dont la cavité est de petite taille, et par une oreillette gauche modérément dilatée à cause de l’augmentation de la PtdVG (figure 11.108). La boucle pression-volume lors de sténose aortique pure illustre bien ces modifications caractéristiques (Figure 11.109).
 
  • L’augmentation de postcharge déplace la boucle PV vers le haut et vers la droite. La pente de l’élastance maximale (Emax) est inchangée, mais la boucle devient plus étroite pour conserver la même surface (travail externe inchangé). De ce fait, le volume systolique (VS) est plus petit.
  • La pente ascentionnelle systolique (contraction isovolumétrique) est droite, indiquant une fonction éjectionnelle conservée; lorsque le myocarde atteint ses limites fonctionnelles (pour une pression télésystolique de 250-300 mm Hg), cette pente s’incline, la fraction éjectée baisse et le volume systolique est encore réduit.
  • La courbe de compliance diastolique est surélevée et plus inclinée; pour le même volume diastolique, la pression de remplissage est plus élevée. La lecture de la PAPO induit donc en erreur et sous-estime le remplissage réel du VG; un patient peut être hypovolémique avec une PAPO normale. L’échocardiographie est un meilleur critère pour juger de la volémie, car elle visualise directement le volume des cavités cardiaques.
  • La surface du triangle compris entre la pente Emax, la courbe de compliance et la boucle P/V représente le travail de pression (Tpr) ; cette surface est très agrandie, représentant une augmentation massive de la mVO2, alors que le volume éjecté est diminué ; l’efficience du myocarde (Téj/Tpr) est très faible. 
 
     

Figure 11.108 : Représentation schématique du remodelage des cavités gauches lors d'une sténose aortique serrée. A : cœur normal. B : sténose aortique ; l'oreillette gauche est modérément dilatée, le VG subit une hypertrophie concentrique, sa paroi est très épaissie mais sa cavité est petite.



Figure 11.109 : Boucle pression-volume en cas de sténose aortique. L’augmentation de postcharge déplace la boucle PV vers le haut et vers la droite. La pente de l’élastance maximale (Emax) est inchangée, mais la courbe de compliance est anormale. A surface équivalente (travail externe inchangé), la boucle est plus étroite, donc le volume éjecté est plus petit (VS : volume systolique). Alors que la performance éjectionnelle diminue, le travail de pression est très augmenté, comme le montre l’augmentation de la surface du triangle contenu entre l’Emax, la compliance et la boucle PV (pointillé bleu pâle). L’efficience dynamique est très diminuée, même si la pression développée est plus haute.
 
Lorsque la surface valvulaire devient de plus en plus petite, l’hypertrophie ventriculaire et l’épaisseur de paroi augmentent moins que la postcharge: la situation est dite d’afterload mismatch [7]. Comme les possibilités de compensation sont dépassées, la fonction systolique diminue. Ceci se traduit par une baisse des indices fonctionnels et par une progressive dilatation de la cavité ventriculaire gauche. 
 
Lorsqu'une insuffisance aortique (IA) est associée à la sténose, une charge différente est imposée au ventricule. L'IA est à l'origine d'une surcharge de volume, qui tend à dilater le ventricule. Par l'analyse morphologique du ventricule à l'ETO, l'anesthésiste possède le meilleur moyen de déterminer l'atteinte valvulaire dominante.
 
  • Lorsque la sténose domine, la cavité ventriculaire est petite, le myocarde est très épaissi; la dysfonction diastolique est importante, la fraction d'éjection est élevée (FE > 0.6).
  • Lorsque l'insuffisance est prédominante, le ventricule gauche est dilaté et sphérique, moins épaissi, la fonction diastolique est moins altérée, la fraction d'éjection est abaissée (FE: 0.5) à cause de la dilatation. L’agrandissement de la cavité est défavorable au rendement énergétique, car il contraint le VG à travailler sur un grand rayon de courbure; selon la loi de Laplace, le stress de paroi augmente pour développer la même pression.
La présence d’une insuffisance mitrale (IM) d’accompagnement mineure-à-modérée est fréquente [5]. Elle est liée à trois phénomènes. 
 
  • L’augmentation de la postcharge induit des pressions systoliques intraventriculaires auxquelles la mitrale ne peut plus être étanche ; cette composante disparaît avec la correction de la sténose aortique.
  • La dilatation ventriculaire qui survient lorsque le VG est défaillant distend l’anneau mitral et écarte les piliers; les feuillets mitraux ne peuvent plus se joindre en systole; cette IM restrictive signe la décompensation ventriculaire. Elle régresse progressivement lorsque l’obstacle à l’éjection est levé.
  • La valve mitrale peut souffrir d’une pathologie propre (dégénérescence fibro-élastique, prolapsus), ou la maladie calcifiante aortique peut s’étendre au feuillet antérieur et à l’anneau de la valve mitrale, qui ne se contracte plus en systole ; ces éléments perturbent les mécanismes d’occlusion. Cette composante organique ne se modifie pas avec le remplacement de la valve aortique.
     
 
Caractéristiques hémodynamiques de la sténose aortique
HVG concentrique, fonction systolique conservée
Dysfonction diastolique du VG
Volume systolique très dépendant de la précharge
Volume systolique fixe (PA systémique dépend des RAS)
Débit cardiaque très dépendant de la fréquence et du rythme sinusal
Risque ischémique élevé
Critère de dysfonction du VG : diamètre télédiastolique > 4 cm/m2


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
 
 
Références
 
  1. BONOW RO, CARABELLO B, CHATTERJEE K, et al. 2008 focused update incorporated into the ACC/AHA 2006 guidelines for the management of patients with valvular heart disease. J Am Coll Cardiol 2008; 52:e1-e142
  2. CARABELLO BA. Clinical practice: aortic stenosis. N Engl J Med 2002; 346:677-82
  3. GIORGI D, DI BELLO V, TALINI E, et al. Myocardial function in severe aortic stenosis before and after aortic valve replacement: a Doppler tissue imaging study. J Am Soc Echocardiogr 2005; 18:8-14
  4. GOULD KL, CARABELLO BA. Why angina in aortic stenosis with normal coronary arteriograms? Circulation 2003; 107:3121-4
  5. MOAZAMI D, DIODATO MD, MOON MR, et al. Does functional mitral regurgitation improve with isolated aortic valve replacement ?. J Card Surg 2004; 19:444-8
  6. OH JK, SEWARD JB, TAJIK AJ. The echo manual. 3rd edition. Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins, 2006, 189-242
  7. RUEL M, KULIK A, RUBENS FD, et al. Late incidence and determinants of reoperation in patients with prosthetic heart valves. Eur J Cardiothorac Surg 2004; 25:364-70
11. Anesthésie et valvulopathies