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Fonction ventriculaire
Fonction systolique
La fraction d’éjection (FE = (Vtd – Vts) / Vtd) exprime l’équilibre dynamique entre la précharge, la postcharge, le volume systolique et la performance contractile. Elle mesure la réserve ventriculaire mais n'est pas un indice de contractilité (voir Chapitre 5, Fraction d'éjection). Bien qu’elle soit la mesure de fonction systolique la plus courante, elle perd sa validité en cas de valvulopathie et ne peut plus être utilisée pour quantifier la performance ventriculaire dans ce cas. En effet, plusieurs phénomènes altèrent la relation entre la contractilité et la FE [8].
- Modifications de postcharge : la FE s’abaisse si la postcharge augmente (sténose aortique) et s’élève si elle diminue (insuffisance mitrale), même sans modification de la contractilité.
- Modifications de précharge : la FE s’abaisse si le volume télédiastolique (Vtd) augmente (insuffisance aortique) et s’élève s'il diminue (sténose mitrale).
- Taille du ventricule : un grand Vtd abaisse la FE parce que sa valeur est au dénominateur de la fraction; au contraire, lorsque le volume télésystolique tend vers zéro (hypovolémie, vasoplégie), la FE tend vers 1.0 (100%). Pourtant, un petit VG (sténose mitrale) a un volume systolique très limité, indépendamment de sa contractilité.
- Remodelage ventriculaire : lorsqu'il se dilate, le ventricule devient sphérique; son rapport court-axe/long-axe (normal : 0.5) devient > 0.7 ; comme elles sont basées sur une morphologie ventriculaire normale, les formules échocardiographiques utilisées pour le calcul de la FE du VG ne sont plus valides lorsque celui-ci est déformé.
- Stress de paroi: il est proportionnel à la pression et au rayon de la cavité ventriculaire, et inversément proportionnel à l'épaisseur de paroi; il varie donc avec l'hypertrophie et augmente avec la taille du ventricule sans que cela ne se traduise par une modification de la FE.
- Ischémie ventriculaire: les zones akinétiques, cicatricielles ou anévrysmales ne sont pas prises en compte dans les approximations géométriques sur lesquelles est basé le calcul de la FE à l'échocardiographie bi-dimensionnelle (formule de Teichholz). Les méthodes tri-dimensionnelles (écho 3D, IRM, angio-CT) sont plus fiables.
Dans ces circonstances, la performance ventriculaire est mieux évaluée par le volume d'éjection, l’épaisseur et la taille du ventricule (diamètre D et surface S en court-axe) [2,6,7].
- Le volume systolique représente l'éjection utile pour la perfusion de l'organisme.
- Il est restreint dans les sténoses;
- Il est inférieur au volume éjecté par le ventricule dans les insuffisances;
- Il est une meilleure évaluation hémodynamique que le débit cardiaque, qui est compensé par la fréquence.
- En cas d’insuffisance valvulaire, le meilleur critère est la dimension télésystolique (ts).
- Diamètre (Dts) normal maximal du VG : 4 cm, ou 2.5 cm/ m2;
- Surface (Sts) maximale en court-axe (ETO) : 6.5 cm2/m2.
- En cas de sténose valvulaire, le critère le plus adéquat est la dimension télédiastolique (td).
- Dtd normal maximal du VG : 7 cm, ou 4 cm/ m2;
- Std maximale en court-axe (ETO) : 12 cm2/m2.
- Degré d’hypertrophie du myocarde.
- Epaisseur normale du VG (paroi postérieure) : 0.8 - 1.2 cm.
Les indices isovolumétriques comme la pente ascentionnelle d’une insuffisance mitrale ou l’indice de Tei (voir Chapitre 25, Indices isovolumétriques) ont l’avantage d’être indépendants de la postcharge et de la géométrie ventriculaire, puisqu’ils sont mesurés avant l’ouverture de la valve aortique ou de la valve pulmonaire. Ils conservent leur pertinence lors de valvulopathie [1]. Les nouvelles mesures tissulaires de la contraction myocardique comme la vélocité de raccourcissement longitudinal (S', strain, strain rate) sont clairement plus performantes [4].
Précharge et compliance
La précharge est la tension de paroi ventriculaire en télédiastole. Elle se mesure par la pression (Ptd) ou le volume (Vtd) télédiastoliques. Pression et volume sont liés entre eux par la compliance de la cavité cardiaque. La précharge agit à la fois sur la fonction systolique et sur la fonction diastolique, et prend d’autant plus d’importance que ces deux fonctions sont modifiées dans les valvulopathies.
L’augmentation de la précharge venriculaire améliore la performance systolique en suivant la courbe de Frank-Starling (Figure 11.15). La courbe s’aplatit à partir d’une certaine valeur (genou de la courbe), au-delà de laquelle la performance systolique n’augmente plus avec le remplissage. Chez les patients en insuffisance systolique, la courbe redescend au-delà du genou ; cette diminution de la performance systolique avec le remplissage correspond à la dilatation excessive du VG. Lorsque la fonction ventriculaire est normale, on remarque souvent une baisse de fonction identique à très haut remplissage ; elle est due au bascule du septum interventriculaire dans le VG secondaire à la distension du ventricule droit (effet Bernheim) à cause de la surcharge de volume circulant. Cet empiètement est responsable d’une diminution du volume diastolique du VG et explique cette apparente diminution fonctionnelle (Figure 11.16) [5].
Figure 11.15: Courbe de Franck-Starling du VG; courbes normales (en bleu), insuffisance systolique (pointillé rouge), insuffisance diastolique (traitillé violet). L'éjection du ventricule dépend d’autant plus de sa précharge que la courbe de Starling est verticale (partie gauche); lorsque cette dernière est aplatie (partie droite, au-delà du genou de la courbe), la performance systolique ne bénéficie plus de l'augmentation de précharge. En cartouche, la variation respiratoire de la pression artérielle en IPPV traduit la dépendance (à gauche) ou l’indépendance (à droite) du débit par rapport à la précharge. L'excessive variation respiratoire de la pression et du VS en IPPV est un excellent signe d'hypovolémie.
Figure 11.16: Dilatation et insuffisance droites. A : bascule du septum interventriculaire dans le ventricule gauche lors de surcharge pulmonaire et/ou de défaillance ventriculaire droite (effet Bernheim); l'affection primaire est la dysfonction droite. Le remplissage diastolique du VG est handicapé, et son volume systolique baisse. Le septum interauriculaire bombe dans l’oreillette gauche. B : retentissement sur les cavités droites d’une dysfonction primaire du VG ou d’une valvulopathie gauche. Le VG et l’OG sont dilatés ; la stase gauche a entraîné une hypertension pulmonaire postcapillaire (élévation de la postcharge droite). En conséquence, le VD est hypertrophié, le VD et l’OD sont dilatés. La position du septum interauriculaire et du septum interventriculaire dépend du jeu des pressions droite et gauche en systole et en diastole.
La compliance exprime la relation pression/volume d’une cavité. La courbe de compliance des ventricules est curvilinéaire. Elle est presque horizontale à bas volume : les variations de remplissage ne se traduisent que par des variations de pression négligeables. A haut volume, par contre, les variations de volume sont associées à des variations de pression importantes parce que la courbe s'est redressée. Une diminution de compliance est typique de la dysfonction diastolique : la courbe est déplacée vers la gauche et vers le haut, au même volume correspond une pression plus élevée (Figure 11.17) [3].
Figure 11.17: La courbe de compliance normale est très plate à bas remplissage: une grande variation de volume se traduit par une très faible variation de pression. Elle se redresse lorsque le ventricule se remplit ou dans l’insuffisance diastolique. Les pressions de remplissage (PVC, PAPO) traduisent correctement la précharge en hypervolémie (partie redressée de la courbe) mais non en hypovolémie (partie plate de la courbe).
La superposition des courbes de compliance et de Frank-Starling montre que la précharge modifie significativement la performance systolique lorsque le volume ventriculaire est faible (partie gauche ascendante de la courbe de Starling), ce qui se traduit par une variation significative de la pression artérielle avec la ventilation mécanique, typique de l’hypovolémie. A remplissage élevé, par contre, les variations de précharge n’influencent plus l’éjection systolique, mais la courbe de compliance est très redressée : les variations de volume (Vtd) se traduisent par de fortes variations de pression diastolique (PVC et PAPO). Le mode d’évaluation de la volémie est donc différent selon le degré de remplissage.
- En hypovolémie, les variations ventilatoires de l’éjection systolique (ΔPAsystolique, ΔVS) et du septum interauriculaire (ETO) sont les meilleurs indices ; PVC et PAPO sont peu influencées par les variations du remplissage.
- En hypervolémie, les variations de la pression auriculaire droite (PVC) ou de la pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) sont très fiables pour évaluer le degré de remplissage.
Les valvulopathies induisent des altérations hypertrophiques (sténoses) ou dilatatives (insuffisances) et modifient la relation de la fonction ventriculaire et de la précharge de deux manières.
- La dysfonction systolique caractéristique de la dilatation se traduit par un aplatissement de la courbe de Starling ; la performance systolique devient peu sensible aux variations de précharge ; le remplissage n’améliore pas le débit cardiaque.
- La dysfonction diastolique typique de l’hypertrophie ventriculaire (paroi épaisse et rigide) se caractérise par une relation pression-volume très verticale. Le volume systolique est très dépendant de la précharge et la pression de remplissage est augmentée pour le même volume ; la tolérance à l’hypovolémie est extrêmement limitée. Lorsque le ventricule est dilaté, il s’appuie contre le péricarde en diastole ; cette contrainte extérieure impose une restriction au remplissage de même type que celle de la tamponnade.
L’épaississement de la paroi ventriculaire dans le remodelage hypertrophique rend celle-ci rigide et peu compliante. La fonction diastolique est diminuée par défaut de relaxation active protodiastolique et par manque de distensibilité télédiastolique. Les pressions de remplissage sont élevées ; le patient peut être hypovolémique avec une PVC et PAPO normales. Le remplissage ventriculaire dépend d’autant plus de la contraction auriculaire que la relaxation protodiastolique est diminuée ; dans ce cas, le remplissage actif (onde A du flux mitral) contribue pour 40-50% au volume télédiastolique du VG. L'hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) concentrique augmente le risque ischémique (voir Adaptation aux valvulopathies).
Fonction du VD
La très grande majorité des maladies valvulaires concerne les valves du cœur gauche. Mais elles ne manquent pas d’affecter la fonction du ventricule droit et de la circulation pulmonaire. Deux mécanismes sont en jeu.
- La même pathologie atteint les valves droites et gauches (RAA, endocardite, dégénérescence myxoïde, etc) ou les deux ventricules (cardiomyopathie infectieuse, toxique, dégénérative, etc).
- La stase gauche (maladie mitrale, défaillance du VG) induit une hypertension pulmonaire postcapillaire, qui s’accompagne ultérieurement d’une hypertension pulmonaire précapillaire par vasoconstriction artérielle secondaire (voir Hypertension pulmonaire). L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) augmente la postcharge du VD qui se dilate, s’hypertrophie, puis défaille. L’importance de l’insuffisance tricuspidienne traduit le degré de dilatation de l’anneau tricuspidien.
La fonction du VD est déterminante pour le pronostic de la chirurgie valvulaire. La mortalité opératoire augmente de 4-5 fois en cas d’insuffisance ventriculaire droite, quelle que soit la pathologie gauche.
Fonction ventriculaire et valvulopathie |
Fonction systolique en cas de valvulopathie
- FE non pertinente à cause du remodelage et de l’altération des conditions de charge
- Les dimensions télédiastolique (td) et télésystolique (ts) sont de meilleurs critères
- Dans les insuffisances: diamètre télésystolique du VG (normal maximal: 2.5 cm/cm2)
- Dans les sténoses: diamètre télédiastolique du VG (normal maximal: 4 cm/cm2)
- HVG: épaisseur de paroi postérieure > 1.2 cm.
Fonction diastolique
- Dysfonction sur hypertrophie et/ou dilatation ventriculaire
- Le débit cardiaque devient dépendant de la précharge et de la fréquence
HVG concentrique
- Fonction systolique préservée, mais dysfonction diastolique
- Risque d’ischémie myocardique
Toutes les valvulopathies ont une très faible tolérance à l’hypovolémie; la précharge doit donc rester préférentiellement élevée.
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© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Novembre 2019
Références
- BETTEX D, CHASSOT PG. Echocardiographie transoesophagienne en anesthésie-réanimation. Paris: Masson, Williams & Wilkins, 1997, 454 pp
- BORROW K, GREEN LH, MANN T, et al. End-systolic volume as a predictor of postoperative left ventricular performance in volume overload from valvular regurgitation. Am J Med 1980; 68:655-60
- HAYASHIDA W, KUMATA T, KOHNO F, et al. Left ventricular regional relaxation and its non-uniformity in hypertrophic non-obstructive cardiomyopathy. Circulation 1991; 84:1496-2003
- KEMPNY A, DILLER GP, KALESCHKE G, et al. Longitudinal left ventricular 2D strain is superior to ejection fraction in predicting myocardial recovery and symptomatic improvement after aortic valve implantation . Int J Cardiol 2013; 167:2239-43
- MOORE TD, FRENNEAUX MP, ROZSA SAS JJ, et al. Ventricular interaction and external constraint account for decreased stroke work during volume loading in CHF. Am J Physiol 2001; 281:H2385-H2391
- NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease. Circulation 2014; 129:e521-e643
- OH JK, SEWARD JB, TAJIK AJ. The echo manual. 3rd edition. Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins, 2006, 189-242
- ROBOTHAM JL, TAKATA M, BERMAN M, et al. Ejection fraction revisited. Anesthesiology 1991; 74:172-83
11. Anesthésie et valvulopathies
- 11.1 Introduction : prévalence et risques des valvulopathies
- 11.2 Rappel physiopathologique général
- 11.3 Imagerie valvulaire
- 11.4 Situations particulières
- 11.5 Chirurgie valvulaire
- 11.6 Insuffisance mitrale
- 11.6.1 Etiologie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.2 Physiopathologie
- 11.6.3 Manifestations cliniques
- 11.6.4 Echocardiographie de l'insuffisance mitrale
- 11.6.5 Indications et résultats opératoires
- 11.6.6 Principes pour l'anesthésie
- 11.6.7 CEC et post CEC
- 11.6.8 IM primaire sur maladie de Barlow
- 11.6.9 IM secondaire sur ischémie myocardique
- 11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG
- 11.7 Sténose mitrale
- 11.8 Sténose aortique
- 11.8.1 Nosologie
- 11.8.2 Physiopathologie
- 11.8.3 Manifestations cliniques
- 11.8.4 Echocardiographie de la sténose aortique
- 11.8.5 Indications et résultats opératoires
- 11.8.6 Principes pour l'anesthésie en chirurgie cardiaque
- 11.8.7 CEC et post-CEC
- 11.8.8 Sténose sous-aortique dynamique
- 11.8.9 Anesthésie pour la chirurgie non-cardiaque
- 11.9 Insuffisance aortique
- 11.10 Maladie aortique
- 11.11 Pathologie tricuspidienne
- 11.12 Pathologie de la valve pulmonaire
- 11.13 Polyvalvulopathies
- 11.14 Conclusions