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Insuffisance ventriculaire gauche systolique

La maladie évolue progressivement à travers quatre stades, à chacun desquels correspond un schéma thérapeutique et un pronostic différents (Figure 12.9B) [5,6,10,15,18]. 
 

Figure 12.9B : Evolution de l’insuffisance cardiaque en quatre stades, avec leurs caractéristiques symptomatiques, leurs plans thérapeutiques et leurs pronostics [d’après réf 5 et 15]. IC : insuffisance cardiaque. FE : fraction d’éjection. HTA : hypertension artérielle. IEC : inhibiteur de l’enzyme de conversion. MCo : maladie coronarienne. TTT : traitement.
 
  • Stade A (asymptomatique) : le malade ne présente ni cardiopathie structurelle ni symptômes, mais est à risque d’insuffisance cardiaque à cause de la haute probabilité d’évolution impliquée par certains marqueurs : hypertension artérielle, coronaropathie, diabète, ingestion de toxiques (alcool, cobalt, etc), anamnèse familiale positive. La FE est à la limite inférieure de la norme (0.5). Le traitement est préventif et consiste en corrections de ces marqueurs : anti-hypertenseurs, hypolipémiants, exercice physique, arrêt de l’alcool et hygiène de vie. Le pronostic est lié aux affections intercurrentes. 
  • Stade B (paucisymptomatique) : le développement d’une cardiopathie (cardiomyopathie, infarctus, syndrome coronarien aigu ou chronique, etc) conduit au deuxième stade, auquel la FE est abaissée à ≤ 50% mais le patient est peu symptomatique, sauf à l’effort soutenu. Le traitement vise la stabilisation; il est le même qu’au premier stade avec, en plus, un β-bloqueur et un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC). La mortalité est inférieure à 5%/an ; elle est corrélée à la FE.
  • Stade C (avancé) : ce stade est caractérisé par la survenue de symptômes à un effort modeste (fatigabilité) et par des signes de stase en amont (dyspnée). Au traitement du stade précédent (IEC et β-bloqueur) s’ajoute des anti-aldostérone (éplérénone, spironolactone), un diurétique si nécessaire, la restriction sodée, la nitroglycérine, et éventuellement la digitale. Le but du traitement est d'optimaliser la capacité fonctionnelle et de freiner la progression de la maladie. La mortalité est de 10-15%/an, en partie sur mort subite. Si le VG est dilaté, la mortalité est corrélée avec le degré de cette dilatation (diamètre court-axe VG en télédiastole ≥ 40 mm/m2).
  • Stade D (réfractaire) : Le patient est symptomatique au repos malgré un traitement maximal ; il est fréquemment hospitalisé à cause de ses symptômes. Outre la pharmacologie, la thérapeutique comprend un pace-maker de resynchronisation, des perfusions itératives d’agents inotropes (amélioration à court terme, mais risque d’arythmies et augmentation de la mortalité), une assistance ventriculaire et la transplantation. A l'exception de la transplantation, seule option à être curative, le traitement est essentiellement palliatif. La mortalité est de 50%/an, directement liée au degré de dilatation du VG (Dtd VG > 40 mm/m2).
 
La baisse du volume d’éjection systémique (Forward failure) provoque une stimulation du système sympathique (tachycardie, vasoconstriction périphérique) et du système rénine-angiotensine (rétention de sodium et d’eau). L’hypoperfusion des organes engendre la fatigue musculaire (particulièrement aux membres inférieurs), l’oligurie, l’insuffisance hépatique et la confusion mentale.
 
La symptomatologie clinique est diagnostique : intolérance à l’effort, fatigue, dyspnée et rétention hydro-salée (prise de poids, oedèmes, nycturie). Une toux sèche est fréquente. L’orthopnée est due au déplacement de sang du secteur extrathoracique vers le secteur intrathoracique lorsque le malade se couche. La dyspnée paroxystique survient habituellement la nuit lorsque la stimulation sympathique décroît ; elle est souvent accompagnée de bronchospasme du à la congestion de la muqueuse bronchique [3]. La dyspnée proprement dite résulte de la stase interstitielle pulmonaire secondaire à l’augmentation des pressions de remplissage ventriculaire (Backward failure). Outre l’anamnèse, le status révèle :
 
  • Bruits cardiaques étouffés, gallop B3 ;
  • Oedèmes périphériques, distension jugulaire ;
  • Hépatomégalie, ascite, épanchement pleural ;
  • Cardiomégalie ;
  • Râles de stase, congestion pulmonaire ;
  • ECG : prolongation du QRS ;
  • Réduction de la capacité vitale pulmonaire ;
  • FE < 0.4, insuffisance mitrale (< III/IV) ;
  • Capacité d’effort réduite (distance marchée en 6 minutes < 400 m) ;
  • Hémodynamique :
    • PAsyst abaissée (< 120 mmHg) ;
    • PA diff (PAsyst – PAdiast) < 25% PAsyst ;
    • Tachycardie ;
    • Index cardiaque < 2.2 L/min/m2 ;
    • SvO2 < 55%.
Le diagnostic est habituellement confirmé par l’échocardiographie : dysfonction ventriculaire gauche (FE < 0.4) (IVG), dilatation ventriculaire (DtdVG > 4 cm/m2), insuffisance mitrale, éventuelle insuffisance droite associée. De très nombreux indices permettent d'avoir une estimation précise de la contractilité myocardique (voir Chapitre 25, Fonction systolique du VG). La dilatation du VG ne donne plus une course suffisante aux cordages pour permettre l’affrontement des feuillets mitraux ; ces derniers sont alors retenus en dessous du plan de l’anneau mitral pendant la systole, et la valve fuit ; cette insuffisance mitrale est dite restrictive (Vidéos et Figure 12.10). Elle est proportionnelle à la postcharge et au degré d’insuffisance ventriculaire gauche. 


Vidéo: Défaillance du VG en vue 4-cavités 0°; le ventricule est dilaté, arrondi, sévèrement hypocontractile (FE < 15%), ses mouvements sont rigides; seul le segment basal latéral a une activité significative; les mouvements de la valve mitrale sont très faibles. Le VD est normal.


Vidéo: Défaillance du VG en vue long-axe 130° dans le même cas que la vidéo précédente; la pose d'une assistance ventriculaire est impérative.


Vidéo: Défaillance biventriculaire; le VG est dilaté, arrondi et sévèrement hypocontractile; présence d'une insuffisance mitrale de type restrictif. Le VD est dilaté, sa paroi libre se contracte insuffisamment. L'apex du coeur est constitué par le VD.
 

Figure 12.10: Normalement, les feuillets mitraux s’affrontent par leurs bords libres sur une certaine hauteur (8-10 mm) : leur étanchéité est assurée par la pression intraventriculaire qui les plaquent l’un contre l’autre (flèches vertes). L’insuffisance du VG conduit à 3 phénomènes : la sphéricisation du VG, sa dilatation, et la dilatation de l’anneau mitral. L’écartement des piliers ne donne plus une course suffisante aux cordages pour permettre l'affrontement des feuillets mitraux; ces derniers sont alors retenus en dessous du plan de l'anneau mitral pendant la systole, et la valve fuit; l'insuffisance mitrale est dite restrictive. L'importance et la variation de l'insuffisance mitrale (IM) sont un bon critère du degré d'insuffisance ventriculaire gauche.

Il arrive que l'insuffisance systolique se résolve sous l'effet de la thérapeutique. Ce peut être le cas notamment dans la cardiomyopathie métabolique (grossesse, alcool, tachycardie persistante) ou dilatative. Cette rémission concerne en général des patients jeunes. Il est néanmoins recommandé de maintenir le traitement pharmacologique à long terme [3].
 
Biomarqueurs
 
Les peptides natriurétiques BNP et NT-proBNP sont des molécules sécrétées par les cardiomyocytes ventriculaires en fonction de la distension du VG ; leur effet physiologique est d’augmenter la filtration glomérulaire (inhibition de la rétention de sodium) et d’induire une vasodilatation artérielle et veineuse. Leur concentration sérique est directement fonction du degré de distension du ventricule et de l’oreillette ; elle s’élève aussi en cas de dysfonction diastolique [8]. Les valeurs-seuil pour le diagnostic d’insuffisance ventriculaire augmentent avec l’âge du patient [9]. En urgence, le diagnostic différentiel de l’insuffisance cardiaque chez le malade en dyspnée aiguë repose essentiellement sur le dosage du BNP et du NT-pro-BNP. Des taux de BNP et de NT-proBNP aussi peu élevés que 100 pg/mL et 300 pg/mL, respectivement, sont déjà des marqueurs d’une dysfonction ventriculaire majeure [11]. Les valeures considérées comme seuils de signification avec une sensibilité et une spécificité > 95% pour la défaillance cardiaque sont [2]:
 
  • BNP > 400 pg/mL;
  • NT-proBNP > 450 pg/mL (< 50 ans) à > 900 pg/mL (> 50 ans);
  • Chaque augmentation de 100 pg/mL est associée à une augmentation de mortalité relative de 35%.
En périopératoire, l’élévation de ces deux marqueurs est associée de manière indépendante avec la mortalité, le taux de décompensation ventriculaire et le risque d’infarctus ; elle est plus pertinente pour évaluer le pronostic que la fraction d’éjection du VG [12]. Les complications cardio-vasculaires surviennent chez 22% des patients dont la valeur préopératoire est au-dessus du seuil (BNP 92 ng/L, NT-proBNP 300 ng/L), comparé à 4.9% lorsque cette valeur est inférieure à ces seuils (OR 3.4) [13]. Le risque est proportionnel au taux des biomarqueurs: l'incidence de complications est de 5.1%, 11.6% et 26.3% lorsque le BNP est respectivement < 100, 100-250 ou > 250 ng/L; elle s'élève jusqu'à 39.5% lorsque le NT-proBNP est > 3000 ng/L [13]. La capacité discriminante du BNP et du NT-proBNP est du même ordre de grandeur que celle d'un test d'effort, comme le montre leur valeur prédictive: ROC 0.75 et 0.81, respectivement [7]. L’ajustement du traitement en fonction de l’évolution du taux de BNP/NT-proBNP améliore le pronostic et diminue la mortalité (OR 0.76) [14]. 
 
Les troponines I et T sont relarguées par les cellules myocardiques nécrotiques et sont liées à la présence d’un infarctus, mais les tests de haute sensibilité (hsTnT) ont donné des résultats positifs dans l’insuffisance venriculaire aiguë chez la plupart des malades, même sans ischémie active [1]. Des niveaux détectables de troponines sont associés à un doublement de la mortalité (HR 2.08-2.55), aussi bien dans l'insuffisance aiguë que l'insuffisance chronique [2]. Les hsTnT s'élèvent même dans la défaillance diastolique [17].
 
D’autres biomarqueurs sont élevés dans la défaillance cardiaque : CRP, aldostérone, adrénomédulline, marqueurs du stress inflammatoire et oxydatif (cytokines, ST2, Galectine-3) [2]. L'insuffisance rénale secondaire se traduit par la présence de marqueurs spécifiques comme le NGAL ou la cystatine C, et l'insuffisance hépatique par l'élévation de la bilirubine et des enzymes hépatiques (LDH, ALAT, etc) [16].
 
 
 
Clinique de l’insuffisance ventriculaire gauche
Insuffisance systolique: bas débit (IC < 2.2 L/min/m2 ), PAdiff ≤ 30 mmHg (ou ≤ 25% PAs), FE < 0.35, hypoperfusion et fatigabilité, oligurie, extrémités froides,
Insuffisance diastolique: stase, dyspnée, PVC ≥ 15 mmHg et PAPO ≥ 18 mmHg, FE conservée, extrémités moites.
Evolution:
    - Stade A: asymptomatique mais présence de facteurs de risque
    - Stade B: présence de cardiopathie asymptomatique ou paucisymptomatique
    - Stade C: fatigabilité et dyspnée à l’effort
    - Stade D: symptômes au repos
Echocardiographie:
    - Dilatation VG (diameter télédiastolique VG > 4 cm/ m2)
    - Dilatation de l’OG
    - FE < 0.4, indices fonctionnels abaissés
    - IM secondaire à la dilatation
Laboratoire: BNP > 400 pg/mL, NT-proBNP > 450 pg/mL (< 50 ans) à > 900 pg/mL (> 50 ans)


© BETTEX D, CHASSOT PG,  Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
 
 
Références 
 
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  2. CHOW SL, MAISEL AS, ANAND I, et al. Role of biomarkers for the prevention, assessment and management of heart failure. A scientific statement from the AHA. Circulation 2017; 135:e1054-91
  3. CLELAND JGF, VAN VELDHUISEN DJ, PONIKOWSKI P. The year in cardiology 2018: heart failure. Eur Heart J 2019; 40:651-62
  4. GIVERTZ MM, COLUCCI WS, BRAUNWALD E. Clinical aspects of heart failure; Pulmonary edema, high-output failure. In: ZIPES DP et al, Eds. Braunwald’s Heart Disease. A textbook of cardiovascular medicine. Philadelphia:Elsevier Saunders, 2005,539-68
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  8. KEMP M, DONOVAN J, HIGHAM H, HOOPER J. Biochemical markers of myocardial injury. Br J Anaesth 2004; 93:63-73
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12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire