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Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
L’idée de baisser la postcharge du VG tout en augmentant la pression diastolique s’est concrétisée en 1968 déjà sous la forme de la contre-pulsion intra-aortique (CPIA) inventée par A. Kantrowitz [1]. Le système déplace 30 à 50 mL de sang à chaque cycle cardiaque en gonflant pendant la diastole et en dégonflant pendant la systole un ballon en polyuréthane placé dans la partie proximale de l'aorte descendante, 2 cm au-dessus de la carène sur une radio thoracique (Figure 12.16A). Ce processus augmente le débit cardiaque de 0.5 L/min. Le ballon, dans lequel circule de l’hélium ou du CO2, est introduit par voie fémorale et remonté jusqu'à la jonction entre la crosse aortique et l'aorte descendante. Le système est déclenché par l'ECG (inefficace en cas d'arythmie non-régularisée par un pace-maker ou de tachycardie > 120/min) ou par le pic de la courbe de pression artérielle. Les conditions de fonctionnement sont une valve aortique compétente, une fréquence cardiaque normale et un rythme régulier. La CPIA permet :
Figure 12.16A: Contre-pulsion intra-aortique (CPIA). Introduit par voie fémorale, le ballon est placé dans l'aorte descendante distalement (2 cm) au départ de l'artère sous-clavière gauche. Son gonflement en diastole augmente la pression de perfusion en amont, notamment dans les coronaires. Lorsqu’il se dégonfle juste avant l’éjection aortique, il baisse la postcharge pour le VG puisque l’aorte ascendante est relativement vide au moment où le volume systolique y pénètre.
- Une augmentation du flux coronarien pendant la diastole (↑DO2) lorsque le ballon se gonfle.
- Une diminution de la postcharge du VG pendant la systole puisque le ballon se dégonfle tout à la fin de la diastole et que la pression dans l’aorte ascendante est très basse lorsque la valve aortique s’ouvre; cette baisse de postcharge rend l'IABP impropre en cas d'obstruction dynamique de la chambre de chasse du VG ("effet CMO").
- Une diminution de la tension de paroi du VG en télédiastole et en télésystole (↓ mVO2).
- Une baisse des RAS via les barorécepteurs.
- Une diminution de l'insuffisance mitrale fonctionnelle due à la dilatation du VG grâce à la baisse de la postcharge systolique et à la diminution de la taille du ventricule.
L'expérience clinique a montré que cette technique réduit en général la PtdVG et l’insuffisance mitrale de 40% et augmente le dP/dt de 25% ; le flux coronaire double [1]. Malheureusement, ces bénéfices ne se traduisent pas par une diminution de la mortalité dans le cadre de l'infarctus ou de l'angioplastie coronarienne [8]. Sur le tracé de la pression artérielle, on voit que la surface sous la courbe, qui est proportionnelle au volume systolique, est presque doublée par rapport à une systole non assistée (Figure 12.16B).
Figure 12.16B : Profil d'une courbe de pression artérielle lors de contre-pulsion intra-aortique (CPIA). La premier cycle cardiaque n'est pas assisté (1). Le ballon (CPIA) se gonfle au cours de la diastole du deuxième cycle (2); la surface sous la courbe artérielle, proportionnelle au volume sanguin mis en mouvement, est nettement plus grande en B que en A; la pression télédiastolique (Ptd) est abaissée par décharge du VG. La troisième systole est assistée par la CPIA; la pression systolique est abaissée car la postcharge du VG est moindre; en effet, la pression aortique est très basse au moment où le ballon se dégonfle.
La CPIA améliore essentiellement le rapport DO2/VO2 du myocarde en cas d’ischémie subintrante, mais ne modifie que modestement le débit cardiaque (+ 0.5 L/min) et la pression artérielle [5]. Elle permet de sortir des cercles vicieux ischémie → bas débit → tachycardie → ↑ mVO2, et ischémie → hypotension → vasopresseurs → ↑ mVO2, ce que le traitement médical ne peut pas faire. L'hypovolémie réduit considérablement l'efficacité de la CPIA, car le volume déplacé est directement fonction du volume circulant dans l’aorte. L'anticoagulation (10’000 UI héparine/24 heures) doit maintenir un aPTT égal ou supérieur à deux fois sa valeur de base et un taux anti-Xa de 0.3-0.6 UI.
Le ballon doit se gonfler au moment de la fermeture de la valve aortique, c'est-à-dire sur l'onde dicrote de la pression aortique centrale. S'il est trop précoce, il augmente la postcharge du VG et provoque une fermeture prématurée de la valve aortique ; s'il est retardé, la pression de perfusion coronaire est diminuée (Figure 12.17). Le dégonflement, qui a lieu en fin de diastole juste avant la contraction isovolumétrique, doit se faire assez tôt pour ne pas augmenter la postcharge systolique du VG, mais sans réduire l'augmentation diastolique pour autant. Le volume de gonflement du ballon doit être approximativement le même que le volume systolique du coeur défaillant, soit 30 à 50 mL. L'inflation ne doit pas occlure plus de 75% à 90% de la lumière aortique. La jambe, par la fémorale de laquelle est introduit le cathéter, doit être surveillée régulièrement pour repérer tout signe d'ischémie.
Figure 12.17 : Quatre cas de mauvaise synchronisation dans le gonflement du ballon de contrepulson intra-aortique (CPIA) selon le même schéma que celui de la Figure 12.16 [d'après référence 2]. A: Ballon dégonflé trop tôt; l'augmentation diastolique est insuffisante, la pression diastolique est peu modifiée; la systole suivante est de même amplitude que la systole non-assistée. B: Ballon dégonflé trop tard; la pression télédiastolique est inchangée, mais la réduction de la postcharge est nulle, car la systole suivante commence alors que le ballon est encore gonflé; il y a en réalité augmentation de postcharge: le dP/dt de la systole suivante est très abaissé. C: Ballon gonflé trop tôt; le gonflement a lieu avant le dicrotisme artériel et interrompt l'éjection aortique; la valve aortique peut fuire a retro; le stress de paroi du VG est augmenté; la systole suivante est abaissée. D: Ballon gonflé trop tard; le gonflement a lieu après le dicrotisme artériel, l'augmentation diastolique est insuffisante; la perfusion coronaire est suboptimale; la systole suivante n'est pas améliorée.
L'indication à la CPIA est le traitement du choc cardiogène ne répondant pas à la stimulation pharmacologique : infarctus aigu, cardiomyopathie, rejet de transplant, sortie de CEC impossible, CIV, insuffisance mitrale aiguë, stabilisation préopératoire [1]. Les résultats sont d'autant meilleurs que le délai est plus court entre le début du choc cardiogène et l'installation de la contrepulsion. Les contre-indications sont l'insuffisance valvulaire aortique (degré > I/IV), la dissection, l'anévrysme, l'athéromatose ou le traumatisme de l'aorte, l'obstruction dynamique de la chambre de chasse du VG (effet CMO) et les vasculopathies sévères de l'axe fémoro-ilio-aortique empêchant l’introduction du cathéter par voie fémorale. Dans ces cas, le cathéter peut être introduit directement dans l’aorte ascendante par la sternotomie.
Le sevrage se fait en diminuant le rapport des cycles cardiaques assistés par rapport aux cycles spontanés sous forme d’une étape de 30 minutes à 1:3 ; si ce faible degré d’assistance est toléré, la CPIA est retirée. Ceci est possible lorsque l'index cardiaque est supérieur à 2.2 l/min/m2, la PAPO < 15 mm Hg et la pression artérielle normale. Les risques thrombotiques sont trop grands pour laisser le ballon inactif en place. Les complications sont les infections (25%), les lésions artérielles du membre inférieur avec thromboses et embolies (15-30%), les troubles de la crase avec hémorragie (4-10%) et les échecs techniques (5%) [5].
Il y a une quinzaine d’années, il a semblé que la mortalité du sevrage difficile de CEC baissait à 26% et celle du choc cardiogène postopératoire à 39% grâce à la CPIA [7]. Des études contrôlées ultérieures n’ont pas retrouvé ce bénéfice sur la mortalité dans le cadre de l'ischémie coronarienne. La plus récente (600 patients en choc cardiogène post-infarctus randomisés entre adjonction ou non de CPIA en plus d’un traitement médical optimal et d’une revascularisation précoce) n’a montré aucun gain sur la mortalité, la durée de séjour en soins intensifs, la fonction rénale, la sepsis ou le risque d’AVC [8], ni sur la survie ou la qualité de vie à long terme [9]. Est-ce à dire que la CPIA est futile ? Probablement non dans des cas particuliers de souffrance ischémique et de décompensation sur insuffisance mitrale. Car les études randomisées concernent des populations sélectionnées qui sont réparties en deux classes de traitements de manière indiscriminée et qui sont assez diffférentes de celles de la "vraie vie". Même s’il n’est pas gigantesque, un bénéfice est probable dans certaines situations où une assistance de courte durée permet de passer un cap tourmenté, comme la sortie de CEC difficile ou la PCI à haut risque ; dans ces circonstances, la CPIA diminue de 34% la mortalité et de > 50% le taux de complications immédiates [6]. Dans le cadre de la chirurgie coronarienne, la CPIA diminue significativement la mortalité lors de sortie de pompe difficile (RR 0.27-0.38); elle est moins efficace dans les pontages à cœur battant (RR 0.56) [3,4].
Contre-pulsion intra-aortique (CPIA) |
Système de ballon intra-aortique permettant une assistance de quelques jours, mis en place après CEC, infarctus ou réanimation; autre indication: soutien pendant une intervention percutanée à haut risque. La CPIA augmente la perfusion coronarienne diastolique et baisse la postcharge du VG, mais modifie peu le débit cardiaque (augmentation ≤ 0.5 L/min).
- Ballon (30-50 mL) positionné en aval de la sous-clavière gauche
- Gonflement en diastole (augmentation du flux coronarien)
- Dégonflement en systole (baisse de la postcharge du VG)
- Amélioration du rapport DO2/VO2 myocardique, régression de l’IM fonctionnelle
- Durée 2 – 5 jours
- Pas de gain significatif sur la mortalité, hormis lors de sevrage difficile de CEC
- Anticoagulation (aPTT ≥ 2 x la norme)
- Prérequis: valve aortique sans fuite, rythme stable, absence d'athéromes aortiques
La CPIA offre un gain sur la mortalité lors de sortie de CEC difficile, mais non dans le cadre du choc cardiogène sur infarctus.
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2018
Références
- KANTROWITZ A, CARDONA RR, AU J, FREED PS. Intraaortic balloon pumping in congestive heart failure. In: HOSENPUD JD, GREENBERG BH. Congestive heart failure. Springr-Verlag, New York, 1994, p. 522-547
- KIRKLIN JK, NAFTEL DC, KORMOS RL, et al. Sixth INTERMACS annual report: a 10’000 patient database. J Heart Lung Transplant 2014; 33:555-64
- MacKAY EJ, PATEL PA, GUTSCHE JT et al. Contemporary clinical niche for intra-aortic balloon counterpulsation in perioperative cardiovascular practice: an evidence-based review for the cardiovascular anesthesiologist. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:309-20
- NAIDU SS. Novel percutaneous cardiac assist devices. The science of and incications for hemodynamic support. Circulation 2011; 123:533-43
- PERERA D, STABLES R, CLAYTON D, et al. Long terme mortality data from the balloon pump-assisted coronary intervention study (BCIS-1): a randomized controlled trial of elective balloon counterpulsation during high-risk percutaneous coronary intervention. Circulation 2013; 127:207-12
- STONE GW, OHMAN EM, MILLER MF, et al. Contemporary utilization and outcomes of intra-aortic balloon counterpulsation in acute myocardial infarction. J Am Coll Cardiol 2003; 41:1940-6
- THIELE H, ZEYMER U, NEUMANN FJ, et al. Intraaortic balloon support for myocardial infarction with cardiogenic shock. N Engl J Med 2012; 367:1287-96
- THIELE H, ZEYMER U, NEUMANN FJ, et al. Intra-aortic balloon counterpulsation in acute myocardial infarction complicated by cardiogenic shock (IABP-SHOCK II): final 12 months results of a randomised, open-label trial. Lancet 2013; 382:1638-45
12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire
- 12.1 Introduction
- 12.2 Présentation clinique
- 12.3 Traitement de l'insuffisance ventriculaire
- 12.4 Assistance ventriculaire
- 12.4.1 Principes, indications et physiopathologie
- 12.4.2 Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
- 12.4.3 Extra-Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)
- 12.4.4 Dispositifs d’assistance ventriculaire à court terme
- 12.4.5 Dispositifs à long terme
- 12.4.6 Problèmes liés à une assistance ventriculaire
- 12.4.7 Rôle de l’échocardiographie dans l’assistance ventriculaire
- 12.4.8 Anesthésie et assistance ventriculaire
- 12.5 Hypertension pulmonaire
- 12.6 Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire
- 12.6.1 Contraintes
- 12.6.2 Evaluation préopératoire
- 12.6.3 Stratégies d’anesthésie
- 12.6.4 Ventilation et insuffisance ventriculaire
- 12.6.5 Agents intraveineux et halogénés
- 12.6.6 Anesthésie générale du patient en insuffisance ventriculaire gauche
- 12.6.7 Anesthésie loco-régionale
- 12.6.8 Insuffisance droite et hypertension pulmonaire
- 12.6.9 La thrombendartérectomie pulmonaire (TEAP)
- 12.7 Conclusion