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Défaillance ventriculaire gauche aiguë périopératoire
Choc cardiogène: définitions et généralités
Le choc cardiogène (CC) est un état extrême de décompensation ventriculaire dans lequel le faible débit cardiaque est insuffisant pour assurer une perfusion satisfaisante des organes. Les critères habituels sont une PAsyst < 90 mmHg et une PAM < 60 mmHg pendant > 30 minutes, une PAPO > 18 mmHg, et des signes d'hypoperfusion organique (extrémités moites et froides, oligurie, lactacidémie > 2 mmol/L, confusion mentale) [32]. Les étiologies sont nombreuses [61,73].
- Syndrome coronarien aigu, infarctus massif (environ 70% des CC et 10% des STEMI); le délai moyen entre le début des symptômes et l'état de choc est de 5.5 heures;
- Décompensation d'une dysfonction ventriculaire chronique (environ 25% des cas);
- Syndrome post-cardiotomie après chirurgie cardiaque (2-6% des cas), lié à la sidération, à l'hibernation, à un défaut de cardioprotection ou à un problème chirurgical;
- Lésions mécaniques: IM ou IA aiguës massives (ischémiques, structurelles ou infectieuses), CIV par rupture septale, rupture pariétale d'un ventricule (ischémiques);
- Insuffisance aiguë du VD: décompensation, embolie pulmonaire massive, sepsis, mise en place d'une assistance gauche;
- Cardiomyopathie décompensée, cardiomyopathie du postpartum, myocardite fulminante;
- Tamponnade.
- Choc septique.
La rapidité d'intervention est capitale pour assurer une chance de succès à la thérapeutique. On parle de "golden hour" en référence au délai en-deçà duquel une prise en charge proactive offre une bonne probabilité de succès mais au-delà duquel les lésions myocardiques et l'hypoperfusion des organes compromettent définitivement la survie [44]. La thérapeutique est en premier lieu dirigée vers l'étiologie: revascularisation coronarienne (sous CPIA ou ECMO si nécessaire), réparation valvulaire ou myocardique, drainage d'épanchement, embolectomie pulmonaire, etc. Quelle qu'en soit la modalité (angioplastie percutanée avec stents, éventuellement pontages aorto-coronariens), la revascularisation myocardique est entreprise dès que possible dans le choc cardiogène sur infarctus, indépendamment du délai depuis les symptômes; elle concerne le vaisseau incriminé dans l'infarctus et les autres lésions coronariennes lorsqu'elles sont significatives. La fibrinolyse n'est indiquée que si la PCI n'est pas réalisable. Le patient est placé sous bithérapie antiplaquettaire (aspirine + ticagrelor, prasugrel ou clopidogrel); si la voie orale est impossible, on peut recourir à un agent intraveineux: anti-IIb/IIIa (tirofiban, eptifibatide, abciximab) ou cangrelor [32,76]. Outre l'ischémie, la correction des déséquilibres de la balance DO2/VO2 comprend le traitement de l’hypoxie et l’anémie: assistance ventilatoire (FiO2 0.5-0.8, masque O2, CPAP, NIV) ou ventilation mécanique; le but est de réduire la fréquence respiratoire < 20/min et d’augmenter la SaO2 > 90% (voir Ventilation et insuffisance ventriculaire). Le taux d'Hb est maintenu à 80-90 g/L.
Le deuxième point consiste à assurer une perfusion adéquate aux organes vitaux en maintenant la pression, le flux et le transport (O2, nutriments, élimination des déchêts). Ceci implique un support pharmacologique inotrope (catécholamines, IPDE-3, levosimendan) et hémodynamique (nor-adrénaline, vasopressine), qui présentent le défaut d'augmenter le stress de paroi et la mVO2. Les vasodilatateurs sont indiqués afin d'abaisser la postcharge du ventricule gauche pour autant que la PAsyst soit > 100 mmHg. Des signes de congestion commandent une baisse de précharge par des diurétiques ou par ultrafiltration [59,76]. Les anomalies électrolytiques et acido-basiques, ainsi que la volémie et la masse globulaire, doivent être normalisées car elles perturbent significativement l’action de toutes les substances cardio-stimulatrices.
En cas d'échec de ces mesures, viennent les supports circulatoires comme la contre-pulsion intra-aortique (CPIA), l'assistance cardiopulmonaire (ECMO extracorporeal membrane oxygenation ou ECLS extracorporeal life support) ou les différents dispositifs d'assistance ventriculaire temporaire (Impella™, TandemHeart™, etc; voir Dispositifs à court terme); ils permettent de soulager le ventricule défaillant en remplaçant mécaniquement son activité (LVAD, left ventricular assist device, ou RVAD, right ventricular assist device). Ils peuvent fonctionner comme soutien pendant une à quatre semaines en attendant la récupération, comme lors d'une myocardite fulminante, ou comme pont vers une assistance à long terme. L'assistance mécanique doit être envisagée assez tôt dans l'évolution, avant le développement d'une insuffisance multi-organique [44]. Actuellement, environ un tiers des malades transplantés est au bénéfice d'une assistance ventriculaire au moment de la greffe [25].
La base pharmacologique du traitement de l’insuffisance ventriculaire aiguë repose sur cinq éléments :
- L'équilibration de la postcharge (pression de perfusion périphérique satisfaisante, PAM minimale 65 mmHg);
- L’adéquation de la précharge (volémie, diurétique);
- L’augmentation de la contractilité (stimulation inotrope);
- La maîtrise du rythme cardiaque;
- L'assistance circulatoire.
Toutes les substances à effet inotrope positif sauf le levosimendan ont un mécanisme commun : l'augmentation des variations systoliques du Ca2+ intracytoplasmique. Leurs sites d'action sont différents (voir Figure 12.2).
- Les catécholamines stimulent les récepteurs β1 et β2, et augmentent la synthèse de l’AMPc (second-messenger) par stimulation de l'adényl-cyclase ;
- Les stimulants des récepteurs α1 ont un effet inotrope positif par augmentation de l’IP3 ;
- Les inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (IPDE-3) bloquent la dégradation de l’AMPc ;
- La digitale augmente l’entrée de Ca2+ au niveau des récepteurs Na/Ca2+ membranaires (inhibition de la Na+-K+-ATPase) ;
- Le levosimandan augmente la sensibilité de la troponine C au Ca2+.
Les inotropes et les vasopresseurs doivent être administrés au niveau minimum nécessaire à assurer la perfusion des organes [68]. A cause de la vasodilatation artérielle qu'ils déclenchent, les inodilatateurs comme les IPDE-3 et le levosimendan ne sont pas des médicaments de première intention dans le choc cardiogène hypotensif, sauf en cas de défaillance droite [32]. Le maintien d'une pression de perfusion satisfaisante (PAM 65-75 mmHg) est primordial pour la perfusion des coronaires et des organes, mais il doit composer avec l'augmentation de postcharge que cela représente pour le VG; l'observation du taux de lactate, de la SvO2, du travail cardiaque (LVSWI) et de la performance ventriculaire à l'écho permettent de trouver le meilleur compromis [21,56]. En cas de difficulté, on considère une assistance circulatoire. L'adrénaline est une mesure de réanimation d'urgence ou d'accompagnement à faible dose (combinaison milrinine-adrénaline), car elle est plutôt délétère en temps qu'agent principal. En comparaison avec l'association dobutamine-noradrénaline et pour les mêmes résultats hémodynamiques, elle est associée à une acidose lactique, à une hyperglycémie, à une élévation de la fréquence cardiaque et à des arythmies; de plus, la perfusion périphérique est de moins bonne qualité à cause de la vasoconstriction artérielle [33]. Dans la cardiomyopathie de stress, il est préférable d'éviter les catécholamines et, au besoin, de recourir plutôt à une assistance mécanique (CPIA, ECMO) [32].
Les béta-bloqueurs, les dérivés nitrés, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les antagonistes du récepteur de l'angiotensine n'ont pas leur place dans le choc cardiogène; ils tendent à en augmenter la mortalité. Seules les statines sont associées à un certain bénéfice [73]. L'Hb doit rester ≥ 80 g/L, sauf dans l'ischémie myocardique aiguë où il est est préférable qu'elle soit de l'ordre de 100 g/L [32].
Outre les éléments classiques (ECG, SpO2, PA), le monitorage du malade en insuffisance ventriculaire aiguë comprend un cathéter artériel, une voie centrale (PVC, SvcO2), l'échocardiographie et, selon besoin, la mesure du débit cardiaque (PiCCO, Swan-Ganz). Le cathéter de Swan-Ganz n'est indiqué que chez les patients qui ne répondent pas à la thérapeutique initiale ou chez ceux qui souffrent d'une insuffisance droite [32,44,73]. L'échocardiographie fait partie de la surveillance de routine.
Insuffisance ventriculaire après chirurgie cardiaque
Toute intervention cardiaque porte transitoirement atteinte à la fonction myocardique. La fonction systolique baisse progressivement pour atteindre son nadir vers 4-6 heures après la CEC ; c'est la période à laquelle les médiateurs inflammatoires (interleukines, TNF, etc) sont les plus élevés (voir Figure 4.2). La récupération prend en général 8 à 24 heures, mais parfois plusieurs jours; elle est d'autant plus lente que la fonction préopératoire était moins bonne. Une insuffisance ventriculaire aiguë au sevrage de la CEC survient dans environ 20% des cas [11]. Sa probabilité est prédite par plusieurs éléments pré- et peropératoires.
- Dysfonction ventriculaire (FE < 0.4), soutien inotrope ou assistance ventriculaire préopératoire ;
- Dilatation du VG (Dtd court-axe > 4.0 cm/m2) ;
- Dysfonction du VD, hypertension pulmonaire (PAPmoy > 35 mmHg) ;
- Ischémie active, infarctus menaçant ;
- Insuffisance rénale préopératoire, diabète ;
- Opération en urgence, réopération, opération complexe (résection de paroi ventriculaire, CIV, polyvalvulopathie) ;
- Clampage aortique > 2 heures, hypothermie, difficultés de cardioplégie.
A ces phénomènes s'ajoutent les conséquences hémodynamiques accompagnant la mise en charge et la fermeture de la paroi thoracique.
- Ventilation en pression positive et augmentation de la postcharge du VD (la compliance pulmonaire est abaissée en fin de CEC par oedème alvéolo-capillaire) ;
- Variations volémiques (hémorragies, hypovolémie), anémie aiguë ;
- Fermeture du péricarde et du sternum (compression externe provoquant un "effet tamponnade") ;
- Réchauffement interne (augmentation de la VO2).
Dans les corrections de valvulopathies, l'aggravation hémodynamique momentanée dépend du type de pathologie. Les lésions ayant entraîné une dilatation ventriculaire (insuffisance aortique ou mitrale) induisent des dysfonctions profondes. Une insuffisance mitrale sévère peut survenir ou s'aggraver en sortant de CEC: c'est un excellent marqueur de la dysfonction aiguë du VG. Après correction d'une insuffisance mitrale, le VG est dans une situation difficile à cause de l'augmentation brusque de sa postcharge due à la suppression de la "soupape de pression" que représentait l'insuffisance valvulaire ; il souffre également d’une baisse de précharge (recul sur la courbe se Starling) secondaire à la disparition du retour diastolique du volume de la régurgitation. Dans le cas de sténose mitrale, le problème est lié au petit volume ventriculaire gauche, dont la distensibilité est diminuée. Par contre, la baisse immédiate de la postcharge après correction de sténose aortique assure une récupération fonctionnelle rapide, dans la mesure où l'hypertrophie ventriculaire n'a pas gêné la préservation myocardique. Le taux de BNP et de NT-pro-BNP postopératoire est un bon marqueur du risque de complications cardiaques [38].
Les besoins en agents inotropes et en volume sont constamment variables après la CEC; aucun régime ne peut être défini par avance, car la situation est très évolutive. Il faut réévaluer en permanence les besoins du patient, changer d'amines selon l'hémodynamique, et suivre les besoins en vasopresseur selon les résistances vasculaires, car la réaction inflammatoire systémique est souvent responsable d'épisodes prolongés de vasoplégie [27].
Insuffisance ventriculaire après chirurgie non-cardiaque
Une défaillance ventriculaire apparaît dans 2-10% des cas de chirurgie non-cardiaque majeure, essentiellement chez les personnes âgées [36]. Sa mortalité est de 10%. Lorsqu’elle est présente en préopératoire, l’insuffisance cardiaque entraîne un taux de complications postopératoire de 30-45% (OR 1.54), en majeure partie non-cardiaques : insuffisance rénale (OR 1.85), pneumonie (OR 1.73), sepsis (OR 1.43) ; par contre, elle n’élève pas le risque d’infarctus myocardique (OR 1.07) [40]. Comparée à la coronaropathie, elle présente un risque nettement supérieur de mortalité et de complications cardiovasculaires (OR 1.63) [19]. Le poids mis depuis une quinzaine d’années sur la prise en charge de l’ischémie myocardique a relégué dans l’ombre la gestion de l’insuffisance cardiaque, devenue nettement plus dangereuse [26]. La mortalité postopératoire à 30 jours, par exemple, est de 2.9% en cas de coronaropathie, mais de 9.2% en cas d'insuffisance ventriculaire (OR 2.9) [72]. Dans une autre série, les valeurs sont respectivement de 6.6% et de 11.7% (OR 1.8) [36]. Il s'avère donc que la défaillance cardiaque est 2 à 3 fois plus dangereuse que l'ischémie myocardique [2].
Amines sympathicomimétiques
L’insuffisance cardiaque chronique et le stress prolongé (longue CEC, instabilité hémodynamique continue en soins intensifs) conduisent à un remaniement des récepteurs myocardiques à activité inotrope positive [6,8,15,60,66].
- Récepteurs β1 : leur nombre, qui représente normalement 80% de la population de récepteurs inotropes positifs, tombe à 40% ;
- Récepteurs β2 : augmentation de 10% (normalement) à 40% ;
- Récepteurs α1 : augmentation de 10% (normalement) à 20%.
Ces données ont des impacts majeurs sur la thérapeutique catécholaminergique.
- La réponse aux amines β1 est diminuée ; la dopamine et la dobutamine atteignent rapidement leur plafond d’activité. L'adrénaline, qui stimule les récepteurs β1, β2 et α1, est la seule catécholamine efficace pour le traitement de la décompensation aiguë d'une insuffisance cardiaque chronique ou dans les situations critiques après CEC. La noradrénaline (effet α1 majeur et β1 secondaire) a davantage d’effet inotrope positif que sur un coeur normal à cause de l’excès de récepteurs α1.
- La déplétion chronique en nor-adrénaline du myocarde diminue l'efficacité des amines indirectes telles la dopamine ou l'éphédrine.
- Les inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (amrinone, milrinone, enoximone) et le levosimendan sont efficaces lors d’insuffisance ventriculaire ou de β-blocage parce qu'ils agissent par une voie indépendante des récepteurs β [47].
- La combinaison adrénaline + milrinone est un stimulant inotrope efficace sur le ventricule épuisé ou chroniquement défaillant, qu’il soit gauche ou droit.
Le renouvellement des récepteurs est constant ; la demi-vie moyenne des récepteurs β est de 8 à 12 heures [8] ; leur nombre s’adapte en permanence à l’environnement neuro-humoral. De plus, toute stimulation catécholaminergique prolongée déclenche l’activation des systèmes cellulaires inhibiteurs, physiologiquement destinés à limiter ou terminer l’effet inotrope. Sur un cœur sain, la tolérance s’installe en moins d’une heure [22]. L’internalisation et la régulation à la baisse (down-regulation) des récepteurs β est l’affaire de 24-72 heures [9]. La désensibilisation β1 survient après quelques heures d’une perfusion de catécholamines β1. Il est donc naturel qu’il n’y ait pas de dosage fixe pour les catécholamines, et que l’efficacité de ces substances s’amenuise avec le temps.
Les synapses des fibres sympathiques cardiaques ont une activité importante de recapture de la nor-adrénaline. L’adrénaline est plus efficace sur un cœur dénervé, comme un cœur transplanté, que sur un cœur normalement innervé. La dopamine et la dobutamine ont au contraire un effet inhibiteur sur le système de recapture ; elles augmentent la sécrétion de nor-adrénaline dans un cœur innervé, mais non dans un cœur dénervé [7]. La recapture synaptique est déficiente dans un ventricule défaillant, qui se conduit donc comme un coeur partiellement dénervé.
Indépendamment de leur dosage, l'efficacité des catécholamines dépend de plusieurs éléments :
- La densité et la sensibilité des récepteurs membranaires ;
- La répartition des types de récepteurs ;
- L’activité de recapture synaptique ;
- La disponibilité du Ca2+ sarcoplasmique ;
- L'équilibre acido-basique (l’acidose inhibe leur action) ;
- La concentration locale de la substance, variable selon l’hémodynamique et le site d’administration (voie périphérique versus voie centrale) ;
- La durée de l’insuffisance cardiaque ou du choc cardiogène.
Bien qu’elles aient toutes une demi-vie de 2-3 minutes, les catécholamines ne sont pas toutes équivalentes, car elles présentent des différences dans la sélectivité de leurs actions au niveau des récepteurs aminergiques [14].
- Dopamine: amine sympathique naturelle ayant un triple effet variant selon le dosage: effet δ (augmentation du flux splanchnique et rénal) < 3 mcg/kg/min, effet β1 entre 5 et 10 mcg/kg/min, effet α prédominant > 10 mcg/kg/min. La dopamine est tachycardisante aux faibles dosages, et la vasoconstriction α s’accroit davantage que l'effet β en augmentant la dose. Cette variabilité la rend impropre à la gestion des défaillances ventriculaires sévères. Son indication essentielle est le soutien momentané lors de dysfonction ventriculaire gauche passagère en sortie de CEC. Elle n’a aucun effet “protecteur” rénal.
- Dobutamine: stimulant exclusivement les récepteurs β (β1 et β2), elle a un puissant effet inotrope positif mais tend à baisser les RAS; ses effets ne se modifient pas avec le dosage, mais obligent en général à adjoindre une perfusion de nor-adrénaline au-delà de 5 mcg/kg/min à cause de la vasodilatation artérielle. La tolérance pharmacodynamique se manifeste dès 48-72 heures d’utilisation. La dobutamine est la seule catécholamine qui maintienne le flux coronarien proportionnel à la mVO2, du moins lorsque les coronaires épicardiques peuvent se vasodilater [13].
- Adrénaline: effet équilibré α et β, très bon marché; au-delà de 0.05 mcg/kg/min, l’effet α domine sur l’effet β; elle induit une hyperglycémie et une acidose.
- Nor-adrénaline: effet essentiellement α vasoconstricteur artériolaire systémique; peu d'effet vasoconstricteur pulmonaire car les récepteurs α sont rares dans le lit pulmonaire. La noradrénaline présente un effet inotrope positif en cas d'insuffisance ventriculaire à cause de la prépondérance de récepteurs α dans le myocarde dysfonctionnel.
- Isoprénaline: le plus puissant stimulant β1 et β2; tachycardisant et vasodilatateur artériel, l'isoprénaline n’est indiquée que dans les blocs AV et les bronchospasmes.
Les substances qui ont plusieurs actions, comme la dopamine, ne permettent pas de différencier les effets entre eux, surtout lorsque leur proportion varie selon le dosage. Les catécholamines à effet "pur" (dobutamine, noradrénaline) sont plus aisées à ajuster en fonction du paramètre hémodynamique sur lequel on veut agir. L'effet β2 (dobutamine, adrénaline) est responsable d'une vasodilatation, d’une hyperglycémie et d'une acidose métabolique. Quelle que soit la substance utilisée, l'augmentation de la contractilité se solde toujours par une augmentation de la mVO2. Seules les sensibilisateurs calciques et les techniques d'assistance ventriculaire augmentent le débit sans élever le travail cardiaque. Les effets et les dosages des amines les plus couramment utilisées en clinique sont résumés dans le Tableau 12.2 et le Tableau 12.3.
Inhibiteurs des phospho-diestérases-3 (IPDE-3)
L'inhibition des phosphodiestérases-3, qui catabolisent l’AMPc, augmente le taux cytoplasmique de cette dernière, donc conduit à une stimulation inotrope par augmentation de la [Ca2+]i systolique. Cette voie ne passe pas par les récepteurs β. Elle a un impact particulier sur l’inhibition du phospholamban et sur la fonction du RS, ce qui a pour effet d’élever la [Ca2+]i systolique mais d’abaisser la [Ca2+]i diastolique, d’où une amélioration de la fonction systolique (effet inotrope) et de la fonction diastolique (effet lusitrope). Ces substances conservent une efficacité en cas de baisse du nombre ou de la réactivité des récepteurs β membranaires ou en cas de β-blocage. Les IPDE sont des inodilatateurs : ils présentent un effet inotrope positif, et un effet vasodilatateur important sur les vaisseaux de résistance systémiques et faible sur les vaisseaux de capacitance (grandes veines centrales). Ils abaissent le stress de paroi du VG, mais ne provoquent pas de tachycardie (absence d’effet chronotrope) (Tableau 12.4). Ils sont sans effet sur les résistances pulmonaires parce qu’il n’existe que des récepteurs IPDE-5 mais pas de récepteurs IPDE-3 dans les vaisseaux pulmonaires. Les indications essentielles sont [24,37,46] :
- La dysfonction gauche sévère avec dilatation ventriculaire pouvant profiter d’une baisse de postcharge systémique ;
- L’insuffisance ventriculaire droite (pas d’effet sur la postcharge du VD);
- Les coeurs sévèrement déplétés en récepteurs β tels les insuffisances ventriculaires de longue durée, les greffons cardiaques, et les cas après une CEC prolongée ;
- Les patients β-bloqués.
Leur administration nécessite un remplissage accru pour maintenir une précharge adéquate, sauf si la baisse de cette dernière est un des buts recherchés. La dose de charge n'est pas systématique ; l'éviter atténue l'effet hypotenseur systémique. L'administration d'IPDE chez des patients hypovolémiques entraîne une hypotension sévère difficile à gérer. La milrinone (Corotrop®, demi-vie 2.3 heures) s'administre en perfusion (0.4-0.75 mcg/kg/min) précédée d'une dose de charge (50 mcg/kg) si la volémie et la pression artérielle le permettent. En chirurgie cardiaque, la dose de charge se donne volontiers au réchauffement de la CEC, car l’hypotension occasionnée est facile à gérer pendant la pompe. La combinaison adrénaline + milrinone est particulièrement efficace en cas de diminution des récepteurs β intramyocardiques (insuffisance ventriculaire gauche chronique ou réfractaire, insuffisance droite accompagnée d'HTAP). La milrinone est contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale.
L'action vasodilatatrice artériolaire de la milrinone est utilisée dans le traitement de l'hypertension pulmonaire; son administration par inhalation permet d'avoir un effet pulmonaire sélectif sans vasodilatation systémique (voir Traitement de l'HTAP).
L'action vasodilatatrice artériolaire de la milrinone est utilisée dans le traitement de l'hypertension pulmonaire; son administration par inhalation permet d'avoir un effet pulmonaire sélectif sans vasodilatation systémique (voir Traitement de l'HTAP).
Sensibilisateur calcique
Le levosimendan (Simdax®) possède un effet inotrope positif et cardioprotecteur lié à plusieurs effets particuliers de la susbstance [50,69,71].
- Effet sensibilisateur de la troponine C au calcium; l'augmentation de la force de contraction a lieu sans élévation du taux de Ca2+ intracytoplasmique;
- Activité anti-phosphodiestérase-3;
- Effet vasodilatateur artériel par l'ouverture des canaux KATP des cellules musculaires lisses artériolaires;
- Cardioprotection par activation des canaux KATP des mitochondries, mécanisme analogue à celui du préconditionnement.
Le levosimendan n’entraîne pas de tachycardie ni d’augmentation de la mVO2 [53,54]. Il reste efficace chez les patients β-bloqués [31]. Son action clinique est donc particulièrement favorable dans le cadre de la chirurgie cardiaque et des soins intensifs: amélioration de la contractilité, augmentation du volume systolique du VG et du VD, baisse de la PVC, de la PAP et de la PAPO, baisse de la postcharge (vasodilatation artérielle), préservation du rapport DO2/VO2 coronarien. Sa demi-vie est de 1-1.5 heure, mais son métabolite actif (OR-1896) a une demi-vie est de 75-80 heures. Son effet se prolonge sur une semaine [70]. Ses principaux effets secondaires sont l'hypotension, les céphalées, les extrasystoles et l'hypokalémie; une inhibition plaquettaire est possible [57]. Le levosimendan est le seul agent inotrope qui soit associé à une diminution de la mortalité à long terme (voir ci-dessous Impact sur la mortalité) [4,30]. En chirurgie cardiaque, celle-ci est réduite de moitié chez les patients en insuffisance ventriculaire qui bénéficient du levosimendan (OR 0.48) [35]. Ce bénéfice est d’autant plus marqué que la fonction ventriculaire est plus mauvaise. Le risque d’insuffisance rénale postopératoire est significativement diminué [20,70].
Indications cliniques [69] :
- Insuffisance du VG avec RAS et/ou RAP élevées ;
- Insuffisance droite avec HTAP ;
- Bas débit cardiaque chez les patients β-bloqués ou déplétés en récepteurs β ;
- Sevrage de l'ECMO (dès 2.5 L/min);
- Probable inefficacité des autres agents inotropes.
Le levosimendan est efficace si certaines conditions sont remplies [69,70].
- Normovolémie et normokaliémie.
- RAS maintenues (PAsyst > 100 mmHg), si nécessaire avec de la nor-adrénaline ou de la vasopressine.
- Administration précoce dans l’évolution de la décompensation ventriculaire; en chirurgie cardiaque, l'idéal est un démarrage de la perfusion en préopératoire.
- Dose de charge (facultative) de 6 mcg/kg (de préférence pendant la CEC, à cause du risque d’hypotension). D’une manière générale, la plupart des auteurs s’accorde à dire que le bolus de charge devrait être évité à cause de l’hypotension artérielle qu’il induit. Sans dose de charge, le plein effet apparaît après 2 heures.
- Perfusion sur une seule période de 24 heures (0.05-0.3 mcg/kg/min, préférence : 0.1 mcg/kg/min) ; en chirurgie cardiaque, il est judicieux de débuter la perfusion à l’induction, au plus tard en CEC.
- Si un autre inotrope est nécessaire, la préférence est donnée à la dobutamine.
Une deuxième perfusion n’est pas envisageable avant 3-10 jours. Bien que le prix du traitement soit son principal inconvénient (une fiole de 12.5 mg revient à CHF 1’160.-), la réduction de la durée d’hospitalisation (-1.31 à -1.6 jour de soins intensifs) et de l'utilisation d'assistance circulatoire ou d'hémodialyse compense probablement son coût [28,52,70]. Le levosimendan ne devrait pas être envisagé seulement comme une intervention de sauvetage dans les cas dépassés, mais au contraire assez tôt dans les cas de défaillance ventriculaire sévère gauche et/ou droite qui peuvent bénéficier d’une inodilatation et d’une maîtrise de la consommation d’O2 [20]. Ainsi la perfusion démarrée la veille de l'intervention, ou tout le moins avant l'induction de l'anesthésie, assure le meilleur bénéfice lors de chirurgie cardiaque chez des patients souffrant de défaillance ventriculaire sévère [70]. Lors de choc cardiogène postopératoire, une perfusion pendant les premières 24 heures d'une assistance circulatoire par ECMO double les chances de sevrage (HR 0.41) et de survie à 30 jours (HR 0.52) [10]. Toutes les méta-analyses confirment que le lévosimendan diminue la mortalité de 20-30% (OR 0.69-0.82) [58].
Pourtant, ce bel optimisme est battu en brêche par deux essais contrôlés et randomisés comparant le levosimendan à un placebo en appoint au soutien inotrope traditionnel chez des malades de chirurgie cardiaque en insuffisance ventriculaire. Les deux ont utilisé un faible dosage (0.07 mcg/kg/min et 0.1 mcg/kg/min) pour éviter l'hypotension. La perfusion est démarrée après la CEC dans le premier (506 patients) [29] ou avant l'induction dans le second (849 patients) [45]. Ni l'un ni l'autre n'ont trouvé de différences entre la substance et le placebo dans la mortalité à 30 jours, dans la durée de séjour en soins intensifs, dans l'incidence d'infarctus, d'insuffisance rénale ou d'assistance circulatoire, même si le levosimendan diminue l'incidence de bas débit cardiaque. Peut-être ne fait-il la différence qu'à haute dose, ou de manière sélective entre les patients ischémiques et les patients valvulaires.
Autres substances
La solution Glucose-Insuline-Potassium (GIK) stimule le métabolisme du glucose et freine celui des acides gras libres, ce qui contrecarre les altérations métaboliques qui surviennent dans les tissus ischémiés [18]. Elle semble profitable essentiellement aux patients ischémiques avec dysfonction ventriculaire sévère et diminution des récepteurs β myocardiques [74]. Après avoir été abandonnée, elle a trouvé un regain d’intérêt suite à une étude préhospitalière sur les syndromes coronariens aigus, qui a démontré un bénéfice en terme de taille de l’infarctus et d’incidence d’arrêt cardiaque (OR 0.39-0.48), à la condition que la solution soit administrée le plus tôt possible [63]. Le régime peropératoire conseillé est : insuline 2-4 U/h, K+ 10-20 mmol/h, glucose 20% 10-15 g/h (50-75 mL/h). Le but est de maintenir une glycémie peropératoire de 6-8 mmole/L [48].
Le glucagon induit la formation d’AMPc dans le foie et le coeur ; il a un effet inotrope et chronotrope positif qui n’utilise pas la voie des récepteurs β. Ses inconvénients sont l’hypoglycémie, l’hypokaliémie, les nausées, les vomissements et la tachycardie. Le dosage est 25-75 mcg/min. Son efficacité est marginale et n’a jamais été prouvée dans de grandes études randomisées.
La thyroxine (T3) (tri-iodo-thyronine) améliore la performance ventriculaire par stimulation de l’adénylyl-cyclase (augmentation de l’AMPc) et par des voies différentes de l’AMPc ; elle est utile chez les malades dont le système neuro-humoral est épuisé, comme les malades de soins intensifs, les donneurs d'organe ou après les longues CEC [50]. Son action est contre-carrée par les anti-calciques. Les doses sont de 0.03-0.5 mg/kg/min, ou de 0.0275 mcg/kg en 4 doses.
Le calcium (dose: 2-4 mg/kg) élève la concentration de Ca2+ extracellulaire et antagonise les effets de l'hyperkaliémie intra-myocardique après cardioplégie, mais n'améliore la fonction cardiaque que chez les patients hypocalcémiques (transfusion rapide de sang citraté) ou sous anticalciques. Il présente un antagonisme avec les stimulants β et un synergisme avec les stimulants α (augmentation de la pression, mais pas d'effet inotrope). Une hypercalcémie aiguë lors de la revascularisation peut provoquer une surcharge intracellulaire aggravant les lésions ischémiques et la dysfonction diastolique, rigidifiant le myocarde (stone heart), et induisant une vasoconstriction des greffons artériels. En cas de normocalcémie, les risques sont supérieurs aux bénéfices escomptés: bradycardie sinusale, ralentissement de la conduction AV, antagonisme avec les stimulants de l’AMPc (β-agonistes), spasme artériel, augmentation de la toxicité de la digitale.
Quelques pistes nouvelles se profilent pour le futur [14]. Le mecarbil d’omecamtiv est un activateur sélectif de la myosine qui augmente le nombre de molécules de myosine liées à l’actine ; il prolonge la contraction plutôt que de l’accélérer, ce qui évite une augmentation de la mVO2 ; il ne provoque pas de tachycardie [75]. L’istaroxime stimule la SERCA2a, enzyme qui augmente le Ca2+ du reticulum sarcoplasmique ; c’est aussi un inhibiteur de la pompe KATP. Il agit comme un agent inotrope et lusitrope positif sans effet chronotrope. Il est administré en perfusion (1.5 mcg/kg/min) pendant 6-12 heures. La susbstance est en phase II des essais cliniques [23].
Les agents inotropes sont assurément un élément clef dans la prise en charge de l’insuffisance ventriculaire systolique aiguë avec hypoperfusion des organes-cibles. Mais ils ne sont pas une panacée, car ils augmentent tous (sauf le levosimendan) la mVO2 et la concentration cytoplasmique de Ca2+. Malgré leur bénéfice manifeste à court terme, il s’est avéré ces dernières années que leur utilisation tend à augmenter la mortalité à long terme. Les études dans ce domaine sont difficiles à conduire, car il est évident que l’on ne peut pas randomiser des malades entre un placebo et une substance que l’on estime nécessaire à leur survie. On ne verra jamais de comparaison en double aveugle entre l’adrénaline et le NaCl dans la réanimation cardiovasculaire! De ce fait, les travaux cliniques consistent en général en confrontation entre la substance analysée et un placebo en sus du traitement conventionnel. En cardiologie, les perfusions itératives de dobutamine au cours d’insuffisance cardiaque chronique sévère augmentent la mortalité de près de 50% (OR 1.47) [46,67]. La mortalité des défaillances ventriculaires aiguës est moindre (4.1%) lorsque celles-ci sont traitées par vasodilatateurs (nitroglycérine ou neseritide) que par inotropes (dobutamine ou milrinone) (OR 0.46-0.69) [1]. Par rapport aux vasodilatateurs, la dopamine ou la dobutamine élèvent la mortalité hospitalière de 50% (OR 1.59) et l’adrénaline ou la noradrénaline de 2.5 fois (OR 2.49) [42,43,67]. Après chirurgie cardiaque en CEC, la mortalité hospitalière est plus que doublée (OR 2.3-3.0) chez les malades exposés à un agent inotrope, après appariement en fonction de la gravité des cas; le taux d’insuffisance rénale est presque triplé (OR 2.7) [12,64]. Dans un registre danois, la mortalité à 1 an ajustée en fonction du risque est également doublée (OR 2.5) chez les malades sous inotropes; l’utilisation de ces agents augmente le risque d’infarctus (HR 2.1), d’ictus (HR 2.4), d’arythmie (HR 3.1) et d’insuffisance rénale (OR 7.9) [49]. Dans ces travaux, ne sont pris en compte que les perfusions d’inotropes de plus de 3 heures. Plus récemment, une vaste méta-analyse portant sur 177 études (28’280 patients) s’est révélée moins pessimiste [3]. Dans cette étude, les agents inotropes ne modifient pas la mortalité (RR 0.98), sauf le lévosimendan qui la diminue (RR 0.80); dans les situations particulières de la vasoplégie, de la sepsis et de la chirurgie cardiaque, ils tendent même à améliorer la survie (RR 0.73, 0.76 et 0.70, respectivement). Le levosimendan est le seul agent inotrope qui soit systématiquement associé à une diminution de la mortalité à long terme (OR 0.35-0.82) en cardiologie, en soins intensifs ou en chirurgie cardiaque, et à une baisse de l’incidence d’insuffisance rénale postopératoire [3,16,20,28,39,43,57,58]. A l’évidence, les catécholamines sont néfastes dans le cadre de l’insuffisance cardiaque chronique, mais la situation n’est pas vraiment claire après une intervention de chirurgie cardiaque. Leur administration devrait probablement rester limitée à l’amélioration à court terme de la défaillance cardiaque lorsque celle-ci entraîne une dilatation ventriculaire et/ou une hypoperfusion organique (Figure 12.13B) [3].
Figure 12.13B: Mortalité postopératoire cumulée à 1 an après chirurgie cardiaque en fonction de l’utilisation des agents inotropes (dopamine, dobutamine, milrinone, adrénaline) dans un registre de 6’005 patients consécutifs appariés en fonction de la gravité des cas (1’170 avec inotropes et 1’170 sans inotropes) [d’après réf 49]. 1: absence d’inotropes. 2: utilisation d’agents inotropes seulement en peropératoire (≤ 3 heures). 3: utilisation per- et postopératoire. 4: utilisation seulement dans le postopératoire. L’utilisation d’inotropes à court terme en salle d’opération pour la sortie de CEC ne modifie pas significativement la mortalité. Par contre, la prolongation de ces agents dans le postopératoire est liée à une augmentation significative de la mortalité (OR à 30 jours: 3.7, OR à 1 an: 2.5). Les évènements suivants se sont révélés liés à l’utilisation des inotropes: infarctus (OR 2.1), ictus (OR 2.4), et insuffisance rénale (OR 7.9). Cet exemple est illustratif des risques liés à l’utilisation indiscriminée des catécholamines et des IPDE-3.
Il faut cependant éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain. L'utilisation routinière d'agents inotropes pendant plus d'une dizaine d'heures est certes pénalisante en terme de mortalité. Il n'en reste pas moins que ces agents sont nécessaires pour assurer la survie dans la défaillance ventriculaire aiguë liée à la chirurgie cardiaque, à la sepsis ou à diverses situations graves en peropératoire ou aux soins intensifs [57].
Quel est l’agent inotrope le plus bénéfique sur le plus long terme ? Une méta-analyse en réseau (Bayesian network meta-analysis) permet la comparaison frontale de deux substances évaluées séparément dans différentes études [17]. Pour la mortalité, les résultats sont les suivants.
- Levosimendan versus placebo OR 0.48
- Levosimendan versus dobutamine OR 0.39
- Levosimendan versus milrinone OR 0.43
- Dobutamine versus placebo OR 1.45
- Dobutamine versus milrinone OR 1.29
- Milrinone versus placebo OR 1.12
En terme de survie, ces données confirment la supériorité du levosimendan et la péjoration liée à la dobutamine, la milrinone étant relativement neutre. Il faut toutefois garder à l’esprit que le levosimendan bénéficie de l’effet-nouveauté puisqu’il est le dernier en date sur le marché. D’autre part, son coût doit relativiser ses indications.
Le bénéfice attendu des agents inotropes doit donc être soigneusement mis en balance avec leur risque de morbi-mortalité. Dans le postopératoire de chirurgie cardiaque, en particulier, ils tendent à aggraver les lésions d’ischémie-reperfusion par surcharge de Ca2+ cytoplasmique et par augmentation de la mVO2. Ceci pénalise particulièrement les patients subissant une revascularisation coronarienne. D’autre part, une composante d’hypovolémie et de vasoplégie est souvent présente après CEC, pour laquelle les inotropes ne sont d’aucun apport. L’ETO est d’un grand secours pour discriminer ces différentes étiologies. Le besoin réel en inotropes est estimé à environ 25% des cas [11]. Malheureusement, l’absence de protocoles institutionnels est très générale et dans 90% des cas, ils sont prescrits selon les préférences de l’anesthésiste et selon son intuition clinique.
Vasodilatateurs
L'utilisation des vasodilatateurs dans l'insuffisance cardiaque repose sur l'amélioration de la vidange du ventricule défaillant lorsqu’on diminue sa postcharge. La baisse de la précharge induite simultanément est un avantage dans la mesure où elle améliore la compliance ventriculaire, la tension de paroi télédiastolique et la mVO2; elle devient un inconvénient dans la mesure où elle réduit trop la pression de remplissage et fait reculer le myocarde vers la gauche sur la courbe de Starling. Le traitement consiste donc en un équilibre entre la vasodilatation artérielle et le remplissage vasculaire par perfusion. La vasodilatation est indiquée essentiellement dans l'oedème pulmonaire (OAP), l'infarctus aigu, les régurgitations valvulaires, les cardiomyopathies dilatatives, et l'hypertension pulmonaire causant une insuffisance droite. Les substances utilisées sont les dérivés nitrés et le nitroprussiate de sodium (donneurs de NO•). Les IEC n’ont pas de place dans le traitement aigu [41,59]. Les anticalciques peuvent déprimer gravement la contractilité; même si la vasodilatation qu'ils provoquent diminue la postcharge, tous sont susceptibles de précipiter une défaillance myocardique et sont contre-indiqués en cas d'insuffisance cardiaque congestive.
Le nesiritide (Norataka®) est un nouvel agent dérivé du BNP (rBNP, Human recombinant Brain Natriuretic Peptide). Il est un vasodilatateur artériel direct qui agit sur la guanylate-cyclase et augmente la production de GMPc, d’où une relaxation de la musculature lisse, une vasodilatation des artères systémiques, pulmonaires et coronaires, et une veinodilatation ; il baisse la sécrétion d’aldostérone, augmente la diurèse et la natriurèse, et a un effet lusitrope positif [65]. Il n’y a pas d’effet inotrope ni de tachycardie ni d’arythmies, mais un risque d’hypotension (15% des cas). Après un bolus (facultatif) de 2 mcg/kg, la substance s’administre en perfusion à raison de 0.01 mcg/kg/min (max 0.03 mcg/kg/min) pendant 24 à 48 heures. L’inconvénient est un coût élevé (600 € pour 1.5 mg). Le nesiritide n’est indiqué qu’en cas d’insuffisance congestive avec pression capillaire pulmonaire élevée (insuffisance cardiaque stade IV) mais sans hypoperfusion ; dans ce cas, il pourrait baisser la mortalité et le taux de réhospitalisation jusqu’à 25% [77], mais de’autres travaux laissent craindre une augmentation de mortalité et d’insuffisance rénale à long terme [62]. Il est contre-indiqué en cas d’hypotension et de choc cardiogène. Une étude randomisée (7'141 patients) comparant le nesiritide à un placebo en sus du traitement conventionnel n’a trouvé aucune différence de mortalité ni d’insuffisance rénale, mais une incidence plus élevée d’épisodes hypotensifs [51].
Vasoconstricteurs
Sécrétée par la post-hypophyse, la vasopressine ne participe guère au maintien de la pression en situation normale, mais elle permet de maintenir les RAS en cas de vasoplégie résistant aux catécholamines α ou de vasodilatation massive post-CEC (PAM < 55 mmHg, RAS < 600 dynes cm-5) [34]. A raison de 1-5 U/h, la vasopressine provoque moins de vasoconstriction coronarienne, rénale et splanchnique que la noradrénaline pour le même résultat sur la pression systémique [55] ; elle n’induit pas de vasoconstriction pulmonaire [5]. De plus, elle restaure la sensibilité des récepteurs α1 à la noradrénaline.
Les dosages des principales substances utilisées dans le traitement de la défaillance ventriculaire sont résumés dans le Tableau 12.5.
Traitement de la défaillance ventriculaire gauche aiguë |
La prise en charge comporte plusieurs volets:
- Traitement étiologique: revascularisation coronarienne, correction de valvulopathie, etc
- Stimulation inotrope: catécholamines β (dopamine, dobutamine, adrénaline), inhibiteur des phosphodiestérases-3, levosimendan
- Equilibration de la postcharge: inodilatateurs, vasopresseur
- Equilibration de la précharge: diurétique, ultrafiltration
- Correction du DO2: ventilation, transfusion (SaO2 > 95%, Hb 80-90 g/L)
- En cas d'échec: assistance circulatoire
L’insuffisance ventriculaire chronique, le stress prolongé (soins intensifs) et les longues CEC diminuent la densité des récepteurs β (demi-vie: 8-12 heures), donc l’efficacité des catécholamines β1 (dopamine, dobutamine). Les mêmes situations provoquent une déplétion du myocarde en nor-adrénaline, donc diminuent l’efficacité des amines indirectes (dopamine, éphédrine). Les substances stimulant les récepteurs α (adrénaline, nor-adrénaline) conservent leur efficacité, de même que celles qui utilisent d’autres voies: milrinone (inhibition des phosphodiestérases-3), levosimendan (sensibilisation de la troponine au Ca2+).
La combinaison adrénaline + milrinone reste efficace chez les patients déplétés en récepteurs β ou β-bloqués. Contrairement aux autres agents inotropes, le levosimendan est le seul qui n'augmente pas la mVO2; il a un effet cardioprotecteur en plus d'améliorer la sensibilité de la troponine au Ca2+ et baisse la mortalité. La thyroxine peut être bénéfique chez les patients dont le système neuro-humoral est épuisé. Le calcium est un vasoconstricteur qui n’est utile qu’en cas d’hypocalcémie, d’hyperkaliémie ou de traitement anticalcique.
Les agents inotropes sont un élément vital dans la prise en charge de la défaillance gauche systolique avec dilatation ventriculaire et hypoperfusion systémique, mais la durée du traitement doit être aussi brève que possible et la dose réduite car les inotropes sont suspectés d’augmenter la mortalité à long terme, à l’exception du levosimendan. Leur utilisation routinière et indiscriminée est préjudiciable.
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
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12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire
- 12.1 Introduction
- 12.2 Présentation clinique
- 12.3 Traitement de l'insuffisance ventriculaire
- 12.4 Assistance ventriculaire
- 12.4.1 Principes, indications et physiopathologie
- 12.4.2 Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
- 12.4.3 Extra-Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)
- 12.4.4 Dispositifs d’assistance ventriculaire à court terme
- 12.4.5 Dispositifs à long terme
- 12.4.6 Problèmes liés à une assistance ventriculaire
- 12.4.7 Rôle de l’échocardiographie dans l’assistance ventriculaire
- 12.4.8 Anesthésie et assistance ventriculaire
- 12.5 Hypertension pulmonaire
- 12.6 Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire
- 12.6.1 Contraintes
- 12.6.2 Evaluation préopératoire
- 12.6.3 Stratégies d’anesthésie
- 12.6.4 Ventilation et insuffisance ventriculaire
- 12.6.5 Agents intraveineux et halogénés
- 12.6.6 Anesthésie générale du patient en insuffisance ventriculaire gauche
- 12.6.7 Anesthésie loco-régionale
- 12.6.8 Insuffisance droite et hypertension pulmonaire
- 12.6.9 La thrombendartérectomie pulmonaire (TEAP)
- 12.7 Conclusion