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Insuffisance ventriculaire gauche chronique
Le traitement à long terme de l'insuffisance cardiaque a trois buts [11]:
- Soulager les symptômes;
- Ralentir ou arrêter la progression de la maladie;
- Réduire la mortalité.
Il repose actuellement sur trois axes (Tableau 12.1) [14,19,27,28,29] :
- Inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou antagoniste du récepteur de l’angiotensine II (ARA);
- β-bloquant;
- Anti-aldostérone (spironolactone, éplérénone).
Si le malade reste symptomatique, on a recours à des traitements supplémentaires: valsartan-sacubitril (IRAN: inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine, en remplacement mais jamais en association avec un IEC ou un ARA), ivabradine, diurétique, hydralazine, dinitrate d'isosorbide, pace-maker de resynchronisation. L'échec de ces thérapeutiques ne peut être résolu que par une assistance ventriculaire mécanique ou une transplantation [19].
Il s’accompagne de mesures générales (arrêt de la fumée et de l'alcool, perte pondérale, exercice physique régulier, correction de l'hyperlipidémie et de l'hypertension). Le fer est utile pour corriger l'anémie ferriprive, dans la mesure où celle-ci péjore le pronostic de l'insuffisance cardiaque [29]. L’ivabradine (Procoralan®) est recommandée si le rythme sinusal persiste au-dessus de 75 batt/min malgré le béta-blocage. La resynchronisation en plus du traitement médical est prescrite chez les malades en rythme sinusal qui ont un QRS > 150 msec, un BBG et une FE < 0.4, indépendamment de leurs symptômes (voir Resynchronisation). En cas de bloc AV complet, l’entraînement électrosystolique biventriculaire réduit significativement la mortalité (OR 0.74) [5]. Les anticoagulants ne sont pas prescrits spécifiquement dans l’insuffisance cardiaque, sauf en cas de FA. Les statines n'offrent aucun bénéfice dans l'insuffisance cardiaque; elles sont indiquées en fonction des comorbidités [19]. Globalement, le traitement a permis de réduire la mortalité annuelle des patients en classe NYHA III-IV de 40% à 10% [14,17,19]. Les résultats sont encore améliorés en le basant sur un suivi du BNP et du NT-proBNP [22]. Le traitement chronique doit maintenir le BNP < 35 pg/mL et le NT-proBNP < 125 pg/mL ; une décompensation aiguë est diagnostiquée par des valeurs de > 100 pg/mL et > 300 pg/mL, respectivement [14]. Une certaine connaissance du traitement chronique de la défaillance ventriculaire est très utile pour un anesthésiste, car elle lui permet mieux comprendre les interférences avec l’anesthésie et d’ajuster plus finement le traitement périopératoire.
β-bloqueurs
Les β-bloqueurs freinent la dérégulation et la désensibilisation des récepteurs β (down-regulation), augmentent la recapture de Ca2+ par le RS et freinent la fuite diastolique de Ca2+ ; ils diminuent la fréquence cardiaque, l'incidence d'arythmies et le taux de morts subites ; ils atténuent la sécrétion de nor-adrénaline préjonctionnelle aux synapses sympathiques, et inhibent la sécrétion de rénine [7]. Dans l’insuffisance cardiaque chronique, ils réduisent la mortalité de 35% et le taux d'hospitalisations de 20% [9]. Débutés à petite dose, ils sont augmentés progressivement jusqu'à la dose maximale tolérée par le patient ; le plein effet n’est atteint qu’après 1-3 mois [17]. Les β-bloqueurs de la première génération (propanolol) avaient un effet anti-β1 et anti-β2, alors que ceux de la deuxième génération (métoprolol, bisoprolol, aténolol) sont sélectivement anti-1. En plus de cet effet, ceux de la troisième génération (carvedilol, bucindolol) ont une activité vasodilatatrice anti-β1 qui est profitable dans l’indication de l’insuffisance ventriculaire gauche.
L’effet cardioprotecteur du β-blocage en périopératoire est significatif : la mortalité postopératoire des insuffisants cardiaques β-bloqués est abaissée à court et à long terme par rapport à ceux qui ne le sont pas (OR 0.38) [8]. Les β1-bloqueurs sont donc maintenus en préopératoire et administrés à la prémédication, bien qu’ils tendent à augmenter les épisodes d’hypotension et de bradycardie peropératoires et augmentent le taux d’AVC si l'hémodynamique n'est pas correctement réglée [6]. Le contrôle de la pression artérielle doit être très rigoureux en salle d’opération. Vu le blocage de la fréquence, le débit cardiaque devient très dépendant de la précharge et de la postcharge. Sous β1-blocage, la dobutamine (stimulant β1 et β2) a davantage d’effet β2 vasodilatateur, alors que la dopamine (stimulant β1, β2 et α) a plus d’effet vasoconstricteur α [16]. L’utilisation judicieuse de vasoconstricteur et de vasodilatateur permet de maintenir une pression artérielle stable.
Inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone
Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC : captopril, enalapril, lisinopril, etc) et les antagonistes du récepteur de l'angiotensine II (ARA : losartan, valsartan, candesartan) diminuent la postcharge par vasodilatation artérielle, et la précharge par vasodilatation des vaisseaux de capacitance. Ils abaissent le taux sérique d'aldostérone et freinent l'activité sympathique. Ils freinent le développement de l'hypertrophie, de la fibrose et du remodelage ventriculaires ; de ce fait, ils doivent être débutés tôt dans l'évolution de la maladie [13]. Les effets secondaires des IEC sont l'hypotension, les syncopes, la péjoration de la fonction rénale, l'hyperkaliémie, l'angio-oedème et une toux fréquente. Les ARA sont conseillés chez les patients ne tolérant pas les IEC. Les deux classes de médicaments diminuent la mortalité et la morbidité.
Les IEC et les ARA sont responsables d’une incidence de 22% d’hypotensions sévères à l’induction, parce que la pression devient très dépendante de la volémie [3]. En effet, le blocage du système rénine-angiotensine restreint la régulation de la pression artérielle au système sympathique et à la vasopressine; la sensibilité à l'hypovolémie augmente. Comme l'anesthésie inhibe le système sympathique, la seule régulation de la pression qui subsiste est celle de la vasopressine, qui est un système lent. La pression artérielle devient alors très dépendante de la précharge (volémie), particulièrement chez les malades qui ont une courbe de Starling redressée (fonction systolique normale, dysfonction diastolique, HVG). On conseille en général de les arrêter 24 heures avant l’intervention chez les hypertendus, car il n’y a pas d’effet rebond sur la pression artérielle. Cependant, la situation est différente en cas d’insuffisance systolique, où il est prudent de les maintenir en préopératoire, particulièrement dans le cadre de l’insuffisance ventriculaire gauche congestive. En effet, l'incidence d'hypotension à l'induction est peu importante, parce que les variations de précharge modifient peu le volume systolique du cœur défaillant (courbe de Frank-Starling aplatie) (Figure 12.13A). D’autre part, les IEC améliorent la fonction ventriculaire gauche [3,4].
Figure 12.13A: Relation schématique entre la volémie et la pression artérielle [4]. L'individu normal (1) maintient sa pression sur une large plage de volémie par l'action de l'angiotensine II: vasoconstriction des vaisseaux de résistance et de capacitance; la pression ne chute qu'en hypovolémie extrême. Chez le malade traité avec des IEC (2), la pression devient dépendante de la volémie et varie linéairement avec elle, parce que le mécanisme compensatoire de l'angiotensine II est bloqué. Le malade en insuffisance ventriculaire traité avec des IEC (3) présente une dépendance identique mais sa courbe est plus plate parce que la pente de sa courbe de Starling est plus faible.
Inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine (IRAN)
Un nouvel agent constitué de l’association de valsartan et de sacubitril (Entresto®), diminue de 20% la mortalité à deux ans par rapport au traitement d’énalapril [15]. Le sacubitril est un inhibiteur de la néprilysine, substance physiologique qui dégrade les peptides natriurétiques (ANF, BNP), la bradykinine et l’adrénomédulline. L'ANP (atrial natriuretic factor) est sécrété en fonction de la distension des oreillettes, et le BNP (brain natriuretic peptide) en fonction de celle des ventricules; leurs effets sont protecteurs en cas de défaillance cardiaque: augmentation de la diurèse et de la natriurèse, vasodilatation, sympathicolyse, frein à l'hypertrophie et à la fibrose. La néprilysine est une endopeptidase qui hydrolyse l'ANP et le BNP (mais non le NT-proBNP) [21]. L'inhiber augmente le taux de ces substrats et contrecarre ainsi le remodelage, la vasoconstriction et la rétention hydrosodée. Cette nouvelle piste est devenue un élément majeur dans le traitement de l'insuffisance ventriculaire; elle est une alternative aux IEC et aux ARA, mais ne doit pas être utilisée simultanément à ces substances ni chez les patients sujets à l'angio-oedème [23,28,29]. En l'absence de données concernant le périopératoire, il est prudent d'appliquer les mêmes règles que pour les IEC, en sachant qu'on est en présence de deux vasodilatateurs au lieu d'un et que 30% des patients ne supportent pas le traitement à cause de l'hypotension.
Diurétiques anti-aldostérone
Les diurétiques sont indiqués dès que se manifeste une rétention hydro-sodée avec une stase pulmonaire ou périphérique. La spironolactone et l’éplérénone sont les diurétiques de premier choix, car elles épargnent le potassium, freinent la fibrose myocardique, diminuent le taux de nor-adrénaline circulante, et augmentent la production de NO• endovasculaire [26]. Avec les IEC et les béta-bloqueurs, elles sont le troisième médicament qui diminue la mortalité de manière significative [18]. Les diurétiques de l'anse ou les thiazides sont plutôt indiqués à court ou moyen terme, et réservés aux périodes de décompensation.
En préopératoire, il est prudent d’arrêter les diurétiques à cause du risque d’hypovolémie. La spironolactone et l’éplérénone sont responsables d’hyperkaliémies dangereuses, particulièrement en cas d’insuffisance rénale, de diabète ou d’intervention en CEC (cardioplégie). Les bloqueurs de l’anse induisent au contraire des hypokaliémies sévères responsables d’arythmies, particulièrement en association avec la digitale.
Autres substances
L’ivabradine (Procoralan®) freine la dépolarisation spontanée du nœud du sinus. Elle est recommandée chez l’insuffisant ventriculaire si une tachycardie sinusale > 75 batt/min persiste malgré le béta-blocage [14]. C'est une substance de deuxième rang qui s'adresse aux insuffisants cardiaques résistants ou intolérants aux béta-bloqueurs, qu'elle ne remplace pas de routine [20]. Elle est sans effet sur la contractilité, le débit cardiaque, les résistances artérielles et la fonction diastolique.
En cas d'arythmies, l'amiodarone (Cordarone®) est le seul anti-arythmique qui ne soit pas associé à une augmentation de la mortalité [12]. Les anti-phosphodiestérases-5 comme le sildénafil améliorent la capacité d’exercice et la relaxation diastolique [2]. L'anticoagulation n’est plus recommandée lorsque la FE est < 0.3, sauf en cas de fibrillation auriculaire, d'antécédents d'embolie ou en présence de thrombus intracavitaire [14,19]. Elle est le plus souvent réalisée avec un antivitamine K, parce que la dysfonction rénale, souvent présente chez l’insuffisant cardiaque, est une contre-indication aux nouveaux anticoagulants oraux (anti IIa et anti Xa) ; leur utilisation éventuelle réclame un contrôle pluri-annuel de la clairance de la créatinine. La digoxine, utilisée pour ralentir le rythme sinusal ou la réponse ventriculaire en cas de FA, a souvent un effet positif sur les symptômes mais ne diminue pas la mortalité ; elle ne l’augmente pas non plus [10]. Sa faible marge thérapeutique et le risque élevé d’arythmies en cas d’hypomagnésémie, d’hypokaliémie et d’hypercalcémie justifient d’interrompre son administration en préopératoire. L’administration de stimulant inotrope (perfusions itératives de catécholamines, milrinone per os) lors d’insuffisance ventriculaire chronique ne s’est pas révélée utile ; elle tend à augmenter la morbidité et la mortalité (voir Défaillance VG aiguë, Impact des inotropes sur la mortalité) [1]. La combinaison hydralazine/nitrates peut remplacer les IEC ou les ARA lorsque ceux-ci sont contre-indiqués par une insuffisance rénale (syndrome cardio-rénal) [23].
De nombreuses autres substances sont actuellement en essai clinique. Leur point d’impact est très variable [2,25].
- Mecarbil d’omecamtiv, activateur direct de la myosine qui accélère le passage de la myosine dans sa forme liée à l’actine ; il augmente la FE et le VS sans tachycardie. Comme il n’augmente pas la vélocité de raccourcissement, il n’élève pas la mVO2.
- Sérélaxine, forme recombinante d'un peptide placentaire, est un vasodilatateur lié à l'induction de la NO-synthase; elle augmente le débit cardiaque et baisse les RAS et semble diminuer la morbi-mortalité dans l'insuffisance gauche aiguë.
- Ularitide (urodilatine) et cenderitide, peptides natriurétiques qui augmentent le taux de cGMP et abaissent la PAPO et les résistances artérielles.
- Aliskirène, inhibiteur direct de la rénine ; son effet est analogue à celui des IEC.
- Neuréguline-1, facteur de croissance cardiaque sécrété par l’endothélium qui agit par un effet anti-remodelage.
La présence d'une fibrillation auriculaire (FA) aggrave le pronostic de l'insuffisance ventriculaire et implique un traitement supplémentaire d'anticoagulant. Lorsque la FA est une simple comorbidité, le contrôle de la réponse ventriculaire est en général suffisant, mais lorsque la FA est un élément majeur dans la détérioration clinique, un traitement antiarythmique est préférable: amiodarone, ablation des circuits de réentrée, ablation nodale et resynchronisation [24].
Traitement chronique de l’insuffisance ventriculaire gauche |
Le traitement repose sur 3 piliers:
- β-bloqueur: frein à la désensibilisation des récepteurs β, réduction de mortalité
- IEC ou ARA ou IRAN: vasodilatation et frein au remodelage, reduction de mortalité
- Diurétique anti-aldostérone: spironolactone, éplérénone
En préopératoire:
- β-bloqueur: maintenir le traitement malgré le risque d’hypotension et de bradycardie perop
- IEC (ou ARA): maintenir le traitement car le risque d’hypotension peropératoire est faible (risque inconnu pour l'IRAN)
- Diurétique: interrompre la veille à cause du risque d’hypovolémie, d’hyperkaliémie (spironolactone, éplérénone) ou
d’hypokaliémie (diurétique de l’anse) |
© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2019
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12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire
- 12.1 Introduction
- 12.2 Présentation clinique
- 12.3 Traitement de l'insuffisance ventriculaire
- 12.4 Assistance ventriculaire
- 12.4.1 Principes, indications et physiopathologie
- 12.4.2 Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
- 12.4.3 Extra-Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)
- 12.4.4 Dispositifs d’assistance ventriculaire à court terme
- 12.4.5 Dispositifs à long terme
- 12.4.6 Problèmes liés à une assistance ventriculaire
- 12.4.7 Rôle de l’échocardiographie dans l’assistance ventriculaire
- 12.4.8 Anesthésie et assistance ventriculaire
- 12.5 Hypertension pulmonaire
- 12.6 Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire
- 12.6.1 Contraintes
- 12.6.2 Evaluation préopératoire
- 12.6.3 Stratégies d’anesthésie
- 12.6.4 Ventilation et insuffisance ventriculaire
- 12.6.5 Agents intraveineux et halogénés
- 12.6.6 Anesthésie générale du patient en insuffisance ventriculaire gauche
- 12.6.7 Anesthésie loco-régionale
- 12.6.8 Insuffisance droite et hypertension pulmonaire
- 12.6.9 La thrombendartérectomie pulmonaire (TEAP)
- 12.7 Conclusion