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Resynchronisation
La dilatation et le remodelage du ventricule défaillant entraînent une inhomogénéité de la contraction et un retard dans la stimulation de la partie inféro-latérale du VG (voir Figure 5.51) [9]. La désynchronisation de la contraction ventriculaire réduit l'efficacité de l'éjection en provoquant un mouvement pendulaire du sang pendant la systole ; une partie du volume systolique oscille entre la région à contraction précoce (septum interventriculaire) et celle qui se contracte tardivement (paroi latérale) [8]. Ce phénomène induit ou contribue à une insuffisance mitrale, parce que la contraction des muscles papillaires est désynchronisée. La traduction électrique de ces phénomènes est un élargissement du QRS > 120 msec, ce que présentent 20-45% des patients en insuffisance cardiaque [2,7].
Une stimulation électrique localisée peut amener une meilleure coordination de la contraction ventriculaire et un enchaînement homogène de la systole et de la diastole. Alors qu'elle ne présente pas d'action inotrope en soi, la resynchronisation par pace-maker rétablit une dépolarisation physiologique chez les insuffisants cardiaques avec un QRS > 120 msec, un bloc de branche gauche et un asynchronisme mécanique. Les indices systoliques démontrent l'efficacité du pacing biventriculaire sur la fonction gauche: restauration de la rotation systolique, augmentation du volume systolique, du dP/dt et du LVSWI; les dimensions du VG et l'insuffisance mitrale diminuent, ce qui correspond à un renversement du remodelage ventriculaire lié à la défaillance systolique. La capacité d'effort et le status fonctionnel des malades sont améliorés après 3 à 12 mois de traitement. Contrairement à la stimulation catécholaminergique, il n'y a pas d'augmentation de la mVO2 [7]. Comme la moitié des décès sur insuffisance ventriculaire est due à des arythmies de réentrée, la resynchronisation par pacing ventriculaire tend à baisser la mortalité de 24-40% par réduction du taux d'arythmies [1,2,3,6]. On constate toutefois que 20-30% des patients sont réfractaires au traitement [9].
Les critères de sélection des malades sont fondés sur une série d'examens paracliniques (Figure 12.14) [9,10].
Figure 12.14: Exemples de resynchronisation évaluée à l’échocardiographie. A: vue court-axe du VG en mode TM; le pic de contraction de la paroi postéro-latérale (PPL) a un retard de 160 msec par rapport à celui de la paroi antéro-septale (PAS). B: après resynchronisation, cet écart est réduit à 50 msec [7].
- ECG: QRS > 120 msec, BBG;
- Echocardiographie 2D en mode TM: délai > 100 msec entre la contraction de la paroi antéroseptale et celle de la paroi postéro-latérale;
- Echo Doppler tissulaire: asynchronisme intraventriculaire (délai > 65 msec entre les pics de contraction de segments voisins);
- Echo par Speckle-tracking: déformation (strain) asynchrone des différents segments du VG;
- Speckle-tracking 3D: technique en investigation.
La stimulation cardiaque biventriculaire est effectuée par deux électrodes : l'une est placée dans la veine postéro-latérale via le sinus coronaire à proximité de la paroi latérale du VG, et l'autre dans le ventricule droit, contre le septum interventriculaire. Une électrode auriculaire est ajoutée en cas de bloc AV (pace-maker triple chambre). En cas d'infarctus, la position des électrodes par rapport au tissu cicatriciel est critique [12]. Les meilleurs résultats sont obtenus chez des malades de classe NYHA II-III avec une FE ≤ 0.35, un QRS ≥ 150 msec, une configuration de BBG et un rythme sinusal (recommandation classe I, niveau d'évidence A), mais cette technique s'adresse aussi aux malades de classe NYHA III/IV dont le QRS est de 120-150 ms et la FE < 0.35, souffrant de cardiomyopathie dilatée et de bloc de branche gauche (recommandation classe IIa-IIb, niveau d'évidence B). Un QRS étroit est une contre-indication [7,12]. Cette population représente 20 à 40% de tous les malades en insuffisance cardiaque terminale. Le pace-maker biventriculaire peut se combiner avec un pace-maker défibrillateur, ce qui permet de diminuer de moitié l'incidence des morts subites [4]. Le pacing biventriculaire épicardique peut faciliter la reprise fonctionnelle après CEC chez les patients souffrant de dysfonction ventriculaire gauche malgré un traitement inotrope majeur [5]. La resynchronisation est associée à la thérapie pharmacologique classique (β-bloqueur, IEC, spironolactone), mais ne la remplace pas ; elle paraît même plus efficace chez les patients β-bloqués [11].
Implications pour l'anesthésie
Le pacing de resynchronisation est programmé pour entraîner les ventricules en permanence en suivant le rythme auriculaire. L'ajustement en asynchrone à une fréquence supérieure à la fréquence de base n’est pas requis en peropératoire, car l’hémodynamique est mieux conservée par le rythme sinusal spontané que par un entraînement ventriculaire asynchrone (sauf dans le cas de BAV complet) [7]. Un aimant ne doit pas être utilisé en peropératoire, car l’effet du champ magnétique est variable d’un modèle à l’autre et peut totalement dérégler l’appareil. Lors d'interventions chirurgicales, l'électrocoagulation inhibe ces systèmes comme les pace-makers habituels, mais les périodes d'interruption sont bien tolérées car le rythme sous-jacent est maintenu ; d’autre part, le gain sur la fonction ventriculaire est un bénéfice à moyen et long terme qui affecte peu la performance immédiate. En préopératoire, la fonction défibrillatoire, le mode RR (rate-responsive) et le mode antitachycardie doivent être impérativement désactivés, car l’appareil interprêterait la coagulation comme une arythmie et déclencherait un choc. La fonction défibrillatoire est remplacée par des patches externes collés sur le malade et reliés à un défibrillateur externe. Comme la coagulation peut dérégler le stimulateur, il faut le contrôler et le réajuster en postopératoire, et ré-enclencher les fonctions qui ont été modifiées.
Resynchronisation par pace-maker |
Environ 30% des patients en insuffisance systolique gauche et dilatation ventriculaire ont un retard de contraction de la paroi inféro-latérale du VG, ce qui désynchronise la contraction et altère l’efficacité de l’éjection. A l’ECG, ils présentent un QRS élargi (> 120 msec) ou un BBG.
Un pace-maker triple-chambre (électrode auriculaire, électrode contre le septum du VD et électrode dans le sinus coronaire placée au niveau de la paroi latérale du VG) permet de resynchroniser la contraction, d’améliorer la fonction du VG et de soulager les symptômes du patient.
Le pace-maker est programmé pour une entraînement ventriculaire continu. La coagulation inhibe momentanément la stimulation, mais cela ne modifie pas significativement l’hémodynamique. La fonction défibrillatoire doit être interrompue pour l’opération et remplacée par un défibrillateur externe (patches collés au malade).
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2018
Références
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- LEYVA F, NISAM S, AURICCHIO A. 20 years of cardiac resynchronization therapy. J Am Coll Cardiol 2014; 64:1047-58
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12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire
- 12.1 Introduction
- 12.2 Présentation clinique
- 12.3 Traitement de l'insuffisance ventriculaire
- 12.4 Assistance ventriculaire
- 12.4.1 Principes, indications et physiopathologie
- 12.4.2 Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
- 12.4.3 Extra-Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)
- 12.4.4 Dispositifs d’assistance ventriculaire à court terme
- 12.4.5 Dispositifs à long terme
- 12.4.6 Problèmes liés à une assistance ventriculaire
- 12.4.7 Rôle de l’échocardiographie dans l’assistance ventriculaire
- 12.4.8 Anesthésie et assistance ventriculaire
- 12.5 Hypertension pulmonaire
- 12.6 Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire
- 12.6.1 Contraintes
- 12.6.2 Evaluation préopératoire
- 12.6.3 Stratégies d’anesthésie
- 12.6.4 Ventilation et insuffisance ventriculaire
- 12.6.5 Agents intraveineux et halogénés
- 12.6.6 Anesthésie générale du patient en insuffisance ventriculaire gauche
- 12.6.7 Anesthésie loco-régionale
- 12.6.8 Insuffisance droite et hypertension pulmonaire
- 12.6.9 La thrombendartérectomie pulmonaire (TEAP)
- 12.7 Conclusion