Step 7 of 9
Anesthésie loco-régionale
Le rationnel de l'anesthésie loco-régionale (ALR) ou de l'anesthésie combinée est triple [14] :
- Diminuer la douleur et le support ventilatoire postopératoires ;
- Diminuer la réponse neuro-endocrine (sécrétion d’adrénaline, de cortisol, etc) et sympathique (tachycardie, hypertension) au stress ;
- Diminuer l'hypercoagulabilité périopératoire (baisse de la fibrine et fibrinolyse accrue).
Selon le niveau, les effets hémodynamiques de l'anesthésie rachidienne ne sont pas identiques. Il faut distinguer la péridurale thoracique haute (C7-D4), la péridurale médio-thoracique (D5-D10), et la péridurale lombaire.
L'anesthésie péridurale thoracique haute aux niveaux C7 à D4 bloque les afférences et les efférences du sympathique cardiaque. Ceci induit un effet inotrope négatif, une bradycardie, une vasodilatation coronarienne (↑DO2), une baisse de la consommation d’O2 myocardique (↓VO2), et une vasodilatation du système veineux capacitif et artériel thoracique [4]. La baisse de précharge est plus importante que celle de postcharge, car le réseau artériel correspondant à ces métamères est moins volumineux que le réseau veineux central. Le bloc provoque une hypotension importante qui peut compromettre la perfusion coronarienne malgré un rapport DO2/VO2 favorable [12]. Ceci est plus marqué chez les malades sous IEC, parce que le système rénine-angiotensine assure normalement le maintien de la pression artérielle lors de bloc péridural thoracique [2]. Sous anesthésie générale, l’hypotension est accentuée par l’absence de réflexe vasoconstricteur dans les zones non bloquées et par la cardiodépression additionnelle des agents d'anesthésie [1]. Le bloc entre C7 et D4 inhibe la vasodilatation pulmonaire neurogène active ; les résistances pulmonaires peuvent augmenter sensiblement. Alors qu’elle est en général bénéfique pour le coronarien, la péridurale thoracique haute ne l’est pas pour le malade en insuffisance ventriculaire.
Un bloc aux niveaux D5 à D12 interrompt la sécrétion de catécholamines par les surrénales, et provoque une vasodilatation splanchnique de tout le territoire coeliaque et mésentérique supérieur. Le bloc lombaire (D12-L5) induit une vasodilatation artérielle et veineuse du petit bassin et des membres inférieurs. La vasodilatation veineuse s'accompagne d'un stockage de sang dans les grandes veines centrales et d'une brusque baisse de précharge dans l'OD. Ceci stimule les récepteurs à la distension auriculaire (stretch-receptors) et induit alors une bradycardie (réflexe de Bezold-Jarisch) pour assurer un volume ventriculaire diastolique suffisant [5]. Ce phénomène potentialise la baisse du débit cardiaque et amplifie les effets de l'hypovolémie. Ce réflexe, particulièrement rebelle à l'atropine, survient plus fréquemment avec les blocs lombaires que thoraciques [7]. Dans les segments non bloqués, les baroréflexes déclenchent une vasoconstriction sympathique dont l'effet sur les RAS est proportionnel à l'étendue des segments libres [13]. La rachianesthésie compromet davantage l’hémodynamique que la péridurale de même niveau à cause de la grande vitesse d’installation du bloc sympathique.
Chez l'individu sain, ces phénomènes sont bien tolérés moyennant une adaptation du volume circulant et des vasopresseurs. L’amélioration du rapport DO2/VO2 myocardique est bénéfique chez les malades coronariens. La situation est différente chez les insuffisants cardiaques, dont l'hémodynamique est partiellement compensée par une stimulation sympathique permanente.
- La sympatholyse cardiaque compromet d'autant plus les performances hémodynamiques que celles-ci dépendent du tonus sympathique pour compenser l'insuffisance ventriculaire.
- En cas de bloc supérieur à D5, le réflexe cardioaccélérateur est perdu ; chez l'insuffisant cardiaque, le débit chute avec la baisse de la fréquence.
- La chute de la précharge peut décompenser une insuffisance diastolique isolée, même en l'absence d'insuffisance systolique.
- Le remplissage vasculaire rapide surcharge ces patients déjà en rétention hydro-sodée chronique.
- Le bloc péridural cervical bas ou thoracique haut (C7-D5) inhibe la vasodilatation pulmonaire active neurogène, non-dépendante du NO• ; les RAP peuvent augmenter sensiblement. D’autre part, il inhibe la réponse inotrope du VD à une augmentation de postcharge, découple le VD de la PAP et peut accélérer la défaillance droite en cas d’HTAP aiguë [11], ce que ne fait pas la péridurale lombaire [6].
- L’alternative à la loco-régionale implique la ventilation mécanique, mais cette dernière est bénéfique pour l’insuffisance ventriculaire gauche ; en cas d’insuffisance droite, la situation est plus complexe (voir ci-après Insuffisance droite).
- L’utilisation de plus en plus fréquente d’antiplaquettaires et d’anticoagulants chez l’insuffisance cardiaque limite drastiquement les possibilités de pratiquer une ALR rachidienne.
Malgré la diminution des thromboses artérielles après pontages artériels périphériques et la baisse de l'incidence des thrombo-embolies après chirurgie générale, l’anesthésie rachidienne ou l’anesthésie combinée ne modifient pas significativement la morbidité ni la mortalité postopératoires, sauf dans certaines situations particulières [3,8,9,10]. L’insuffisance cardiaque n’est pas en soi une indication à la loco-régionale rachidienne ni à l’anesthésie combinée. Par contre, l’analgésie péridurale postopératoire est un avantage certain pour la réduction du stress, pour la reprise ventilatoire et pour le confort du patient. Une bonne solution est de placer le cathéter péridural avant l’induction, mais de ne mettre en route la péridurale qu’à la fin de l’intervention, sans dose de charge. L’adjonction d’un opiacé à l’anesthésique local réduit les effets hémodynamiques. N’ayant pas d’effets hémodynamiques significatifs, les blocs périphériques sont particulièrement bien adaptés au malade en insuffisance ventriculaire.
Insuffisance ventriculaire gauche: ALR |
Les effets hémodynamiques de l’ALR rachidienne dépendent du niveau et de l’extension du bloc.
Péridurale thoracique haute (C7-D5):
- Sympathicolyse cardiaque, risquée lorsque le DC dépend de la stimulation sympathique
- Amélioration du rapport DO2/VO2 bénéfique en cas de coronaropathie
- Effet inotrope négatif, baisse de précharge plus importante que la baisse de postcharge
- Diminue les RAS au niveau thoracique mais ne baisse pas les RAP; peut les augmenter
- Pas d’intérêt pour l’insuffisance ventriculaire systolique (VG et VD)
- Désavantage pour l’insuffisance diastolique
Péridurale thoracique basse (D6-D12):
- Inhibition de la sécrétion surrénalienne
- Vasodilatation splanchnique, baisse de précharge et de postcharge
Bloc lombaire (péridurale ou rachianesthésie):
- Vasodilatation veineuse et baisse du retour veineux, bradycardie
- Pas d’effet cardiaque bénéfique en cas d’insuffisance ventriculaire
Blocs périphériques: bonne indication car absence d’effets hémodynamiques significatifs.
L’intérêt de l’ALR rachidienne réside essentiellement dans la qualité de l’antalgie postopératoire.
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© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour, Novembre 2018
Références
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- WILLIAMS JP. Effects of thoracic epidural anesthesia on the coagulation system. Bail Clin Anesthesiol 1999; 13:31-56
12 Anesthésie et insuffisance ventriculaire
- 12.1 Introduction
- 12.2 Présentation clinique
- 12.3 Traitement de l'insuffisance ventriculaire
- 12.4 Assistance ventriculaire
- 12.4.1 Principes, indications et physiopathologie
- 12.4.2 Contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPIA)
- 12.4.3 Extra-Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)
- 12.4.4 Dispositifs d’assistance ventriculaire à court terme
- 12.4.5 Dispositifs à long terme
- 12.4.6 Problèmes liés à une assistance ventriculaire
- 12.4.7 Rôle de l’échocardiographie dans l’assistance ventriculaire
- 12.4.8 Anesthésie et assistance ventriculaire
- 12.5 Hypertension pulmonaire
- 12.6 Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire
- 12.6.1 Contraintes
- 12.6.2 Evaluation préopératoire
- 12.6.3 Stratégies d’anesthésie
- 12.6.4 Ventilation et insuffisance ventriculaire
- 12.6.5 Agents intraveineux et halogénés
- 12.6.6 Anesthésie générale du patient en insuffisance ventriculaire gauche
- 12.6.7 Anesthésie loco-régionale
- 12.6.8 Insuffisance droite et hypertension pulmonaire
- 12.6.9 La thrombendartérectomie pulmonaire (TEAP)
- 12.7 Conclusion